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Critique de film
Le film

Sierra

L'histoire

Alors qu’il conduit un troupeau de chevaux sauvages, le juvénile Ring Hassard (Audie Murphy) tombe sur une jeune femme qui semble s’être perdue. Cette dernière, Riley Martin (Wanda Hendrix), était venue dans ce coin reculé pour y trouver un certain Lonesome. En attendant de la conduire à ce dernier, Ring l’emmène (non sans lui avoir bandé les yeux) dans la cabane isolée qu’il habite avec son père, Jeff (Dean Jagger). Les deux hommes se sont terrés ici après que, voici une quinzaine d’années, Jeff a été accusé de meurtre. Depuis, reclus, ils gagnent leur vie grâce au commerce de chevaux, passant par l’intermédiaire de Lonesome (Burl Ives) pour vendre leurs bêtes. Jeff s’étant grièvement blessé et croyant n'avoir que peu de temps à vivre, il confesse à son fils être totalement innocent du crime dont on l’accuse. Il refuse qu’on aille chercher un médecin en ville de peur de perdre à jamais la tranquillité dont ils profitent suite à leur exil dans ces montagnes. Riley jure qu’elle ne dévoilera jamais le secret de leur cachette, croit fermement à l’innocence du mourant et insiste pour que Jeff se fasse soigner. Elle retourne donc chercher du secours à Sierra Vista accompagnée de Ring. Seulement, par mégarde, ce dernier fait part de sa véritable identité : il est le fils de l’homme recherché depuis des années par les notables de la ville. Jeff est  arrêté et mis en prison jusqu’à ce que le procès ait lieu. Ayant fait des études de droit, Riley se propose d’être son avocate pour sa première affaire. Un gang de voleurs de chevaux va encore compliquer l’affaire, Ring se retrouvant en fâcheuse posture, à son tour sur le point d’être condamné à mort...

Analyse et critique

Sierra fait partie des trois premiers westerns Universal interprétés par Audie Murphy, tous sortis en cette année 1950 - les deux autres étant Le Kid du Texas (The Kid from Texas) de Kurt Neumann et Kansas en feu (Kansas Raiders) de Ray Enright. Le western deviendra dès lors le genre de prédilection du plus grand héros américain de la Seconde Guerre mondiale, constituant la majeure partie de sa filmographie. Ce film est également l’un des trois seuls westerns ainsi que l’un des derniers longs métrages du cinéaste Alfred E. Green, déjà auteur en 1948 du sensible et très plaisant Four Faces West avec Joel McCrea, une incursion totalement inhabituelle dans le genre puisque sans aucuns morts, privé de personnages fourbes ou malsains, sans batailles ni bagarres et, plus étonnant encore, sans coups de feu, pas même un seul tiré en l’air ! Alfred E. Green fut un réalisateur très prolifique qui a signé d’innombrables films depuis l’époque du muet ; mais son plus grand titre de gloire pourrait être d’avoir réuni Groucho Marx et Carmen Miranda dans Copacabana en 1947. Autant dire que son œuvre n’aura pas laissé de souvenirs impérissables. Four Faces West aurait pu marquer quelques esprits et pourquoi pas devenir un petit classique s’il n’était pas passé aussi inaperçu malgré une bonne réception par la critique. Il est en revanche plus facile à comprendre pourquoi Sierra n’est aujourd'hui encore guère plus connu car s’il s’agit d’un honnête divertissement, il n’a pas grand-chose de surprenant ni de très original à nous proposer. Malgré tout, certains de ses éléments viennent renforcer le capital de sympathie qu’on lui porte d’emblée par le fait de ressentir une sincère envie de la part des auteurs de vouloir avant tout, sans chercher en aucun cas à révolutionner le genre, procurer un plaisir immédiat aux spectateurs avides de films colorés et plein de bons sentiments. On s’étonne alors de l’adjectif "épouvantable" qui lui a été accolé sous la plume de Clive Hirschhorn dans son "catalogue" Universal.

En effet, nous sommes au contraire immédiatement confortés dans l’idée que nous nous retrouvons bel et bien en pleine période faste du studio, la compagnie faisant alors bénéficier à ses films de série B de moyens financiers encore relativement conséquents et d’équipes techniques chevronnées (ce qui ne sera plus vraiment le cas à la mi-décennie) : des couleurs éclatantes dans un Technicolor flamboyant, presque uniquement de splendides décors naturels pour les extérieurs, très peu de transparences, des scènes d’action efficaces (ici une bagarre à poings nus très teigneuse comme à chaque fois qu’Audie Murphy en fait partie), une certaine opulence dans les décors intérieurs et les costumes... Non seulement le budget est bien utilisé mais le scénario s’avère attachant même si très conventionnel et la mise en scène tout à fait correcte, en tout cas très professionnelle à défaut d’être inventive, efficace ou lyrique. Parmi les détails qui rendent donc ce western encore plus agréable, il faut signaler quelques chansons très sympathiques (comme par exemple l’amusante The Ballad of Suzie the Whale) entonnées par la voix chaude de Burl Ives qui s’accompagne lui-même à la guitare sèche, un décor quasi surréaliste mais ô combien intriguant - l’habitation des protagonistes principaux, perchée sur un replat en haut d’un promontoire rocheux et en contrebas d'une falaise, un lieu confiné auquel on accède par un canyon caché dans lequel s’écoule un filet d’eau (un décor qui aurait très bien pu inspirer Nicholas Ray pour celui de la cabane de Joan Crawford dans Johnny Guitare, tous deux aussi étonnants par leur emplacement que par la manière dont on y arrive). Parmi les autres plaisantes surprises, on peut également croiser, le temps de quelques secondes (contrairement à ce qu’on aurait pu croire au vu de la jaquette du DVD), de futurs stars du petit ou du grand écran comme James Arness ou Tony Curtis auxquels on a attribué une ou deux répliques chacun.

Concernant les têtes d’affiche, nous avons le plaisir de retrouver le toujours très bon Dean Jagger dans le rôle du père injustement accusé de meurtre, l'imposant Burl Ives pour une fois dans la peau d’un protagoniste extrêmement sympathique (lui qui interprètera souvent par la suite les patriarches impitoyables et parfois haïssables), réussissant grâce à sa voix douce et chaude à endormir les geôliers en leur interprétant ses chansons, ou encore la charmante Wanda Hendrix, madame Audie Murphy à la ville (la fin du tournage allant malheureusement marquer leur séparation). Au vu de sa prestation, on peut affirmer que ce n’était pas spécialement une comédienne très douée mais elle possédait assez d’entrain pour nous rendre crédible son personnage d’avocate amoureuse de son client, l’alchimie qui existe encore au sein du couple arrivant à se faire ressentir. Quant à Audie Murphy, à seulement 26 ans, on ne peut pas non plus dire en regardant Sierra que son talent dramatique crève l’écran. Il parait même ici ne pas toujours savoir quoi faire ; mais lui aussi se révèle néanmoins loin d'être désagréable, ses hésitations servant finalement assez bien son personnage relativement naïf. Il avait été quelques semaines plus tôt un Billy the Kid assez terne dans The Kid from Texas ; dans Kansas Raiders qui sortira après Sierra, il s'avèrera en revanche immédiatement très à l'aise en Jesse James sans avoir besoin d'en faire trop, son jeu étant d’une grande sobriété (certains parleront sans doute de fadeur). Au vu de ses débuts dans le cinéma et malgré sa très petite morphologie, il faut désormais se rendre à l'évidence : même si l'on ne peut pas en parler comme d'un grand acteur, Audie Murphy porte le costume de l’Ouest avec une grande classe et son regard acier n'est pas sans efficacité. En tout cas, dans le style de rôle qui lui a été attribué, il aura été constamment convaincant. Sierra sera donc l'un des premiers d’une longue série d’une quarantaine de westerns avec le comédien au visage poupin, quasiment tous tournés sous l’égide de la Universal pour qui il fut une immédiate et formidable manne financière, l’une de ses stars les plus rentables. Si dans ces débuts son jeu dramatique ne nous convainc pas entièrement, sa souplesse, ses gestes, sa démarche et sa vitesse d’exécution lors des séquences d’action nous le font trouver immédiatement très à l’aise dans ce domaine ; un genre qui lui ira comme un gant et à qui il ne fera quasiment jamais d'infidélité.

Le roman de Stuart Hardy, The Mountains are my Kingdom avait d'abord été adapté en 1938 par Wyndham Gittens déjà pour les studio Universal ; il s’agissait d’un film nommé Forbidden Valley avec dans les rôles principaux, Noah Berry Jr. et Frances Robinson. Sierra en est une seconde version, avec cette fois l'apport d'un glorieux Technicolor utilisé à merveille par le chef-opérateur Russell Metty, qui nous dévoile dans toute leur splendeur les magnifiques paysages de Kanab (Utah) ainsi que les amples déplacements des troupeaux de chevaux sauvages, le tout porté par une plaisante musique de Walter Scharf. Les auteurs/producteurs ont visiblement recherché le divertissement avant tout ; le film, assez naïf, s'acquitte de cette mission avec les honneurs même s’il sera aussi vite oublié que vu. Ne boudons cependant pas notre plaisir !
 

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 21 juin 2014