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Critique de film
Le film
Affiche du film

Shanghaï Express

(Shanghai Express)

L'histoire

À bord du Shanghaï Express, la belle et impétueuse Shanghaï Lily retrouve un vieil amant, le capitaine Donald Harvey. Leur réconciliation est perturbée par la guerre civile qui fait rage quand le train est arrêté par le dangereux Chang. Il prend en otage Harvey, mais tombe sous le charme de Lily...

Analyse et critique


Shanghaï Express est le quatrième et plus gros succès de la mythique collaboration entre Marlene Dietrich et Josef von Sternberg. Le réalisateur emmène son équipe désormais bien établie (Jules Furthman au scénario, Lee Garmes à la photo, Travis Banton aux costumes, Hans Dreier à la direction artistique) dans une aventure librement inspirée d’un fait divers survenu en Chine le 6 mai 1923. Un chef de guerre chinois stoppa le train Shanghaï-Pékin et prit en otage 25 Occidentaux et 300 Chinois dans l’attente d’une rançon. Sur ce postulat, Sternberg tisse une intrigue lorgnant sur le Boule de Suif de Guy de Maupassant (bien que Sternberg nia l’inspiration) avec également un groupe de personnages stoppés et isolés dans une zone de conflit. Il s’agira donc ici d’observer, dans l’isolement du train, les attitudes que révèlent les situations extraordinaires chez l’individu.


Von Sternberg introduit dans des motifs formels similaires le groupe de passagers, dans un travelling accompagnant leur avancée sur le quai puis leur montée dans le train. L’attitude méprisante envers les autochtones (presque tous), la toilette recherchée - Shanghaï Lily (Marlene Dietrich) et Hui Fei (Anna May Wong) -, le tempérament hypocondriaque d'Eric Baum (Gustav von Seyffertitz), tout cela vise à figer un archétype destiné à duper les autres ou à montrer une authenticité désinvolte. Von Sternberg s’en amuse dans son introduction puis en fait peu à peu un élément narratif et dramatique captivant. Les personnages « vrais » sont les seuls capables d’initiative tout au long du récit tandis que ceux dissimulant quelque chose seront tôt ou tard en difficulté. Dès l’arrestation d’un agent chinois, ce point est établi. La noirceur de cette dichotomie s’affirme à travers Henry Chang (Warner Oland) qui assume son métissage sino-américain malgré les sarcasmes, qu’il fera chèrement payer par la suite.


Le versant lumineux s’incarne avec Shanghaï Lily et Hui Fei, qui méprisent les conventions moralisatrices et se trouvent être les figures les plus actives et courageuses lorsque le drame va se nouer. Face à ces entités franches, les autres protagonistes révèlent une facticité dans l’ornement (les faux diamants arborés par Sam Salt (Eugene Palette)), le port (le militaire déchu joué par Emile Chautard) ou les activités (Eric Baum qui s’avère un trafiquant d’opium) qui les rend forcément faibles. La tumultueuse romance entre Harvey (Clive Brook) et Shanghaï Lily constitue un fil rouge de cette thématique puisqu'ils forment un couple déchiré entre posture et vérité. Les étapes même du voyage illustrent ce va-et-vient : le départ et des retrouvailles qui rappellent le doute, l’arrêt qui ravive la passion mais réveille la suspicion et enfin l’arrivée qui rétablit enfin la confiance. Les motifs de la rupture initiale reposent sur ce contretemps permanent, Shanghaï Lily en rendant Harvey jaloux, et ce dernier se croyant trompé sans l’ombre d’un doute puisqu'il a pu observer une confiance mutuelle friable. Les conséquences en seront un éloignement d'autant plus important avec la vie dissolue de Shanghaï Lily et le cynisme désabusé de Harvey, mais sans que leur connexion amoureuse se brise complètement - dans une magnifique scène de baiser notamment.


La sophistication du décor (le luxe des tapisseries et des ornements du train comme lignes du mensonge) reflète les contrevérités et les sentiments refoulés. Le baiser entre Harvey et Shanghaï Lily intervient ainsi à l’extérieur du wagon loin des regards et des artifices, la vraie mise à l’épreuve de leurs sentiments aura lieu dans le repère de Chang. La blancheur des draperies de cette geôle exprime donc cette fois de façon paradoxale la pureté du mensonge (Shanghaï Lily faisant mine de céder à Chang pour faire échapper Harvey) quand le dépouillement des lieux ranime l’incompréhension et le fossé du couple. L’épure n’intervient que dans la sincérité et la dévotion la plus totale et désintéressée (forcément hors du regard de celui à laquelle elle est destinée) avec ce somptueux plan de Shanghaï Lily dans la pénombre de son compartiment, ne laissant apparaître que les mains qu’elle joint dans sa prière pour Harvey. Ce glissement intervient aussi chez d’autres personnages puisque Von Sternberg joue à la fois sur le mystère de l’Orient et le raffinement associé à Anna May Wong, notamment sur ses mains, pour lui faire adopter la vengeance la plus brutale envers Chang qui l’a violée. Marlene Dietrich trouve l'un de ses rôles les plus poignants chez Von Sternberg, pour lequel son apparat fastueux n’est qu’un masque de son dépit amoureux.


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La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 27 août 2019