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Critique de film
Le film

Seul sur l'océan pacifique

(Taiheiyô hitoribocchi)

L'histoire

En 1962, Kenichi Horie, un jeune Japonais, s’embarque seul dans une aventure hors norme. Ayant construit en hâte un modeste voilier de 6 mètres de long, il quitte le port d’Osaka. Son objectif : traverser en solitaire l’Océan Pacifique pour se rendre à San Francisco...

Analyse et critique

En compétition au Festival de Cannes de 1963 et lauréat du Geijutsu sai (prix artistique) la même année, Seul sur l’océan Pacifique, douceur acidulée de Kon Ichikawa, justifie pleinement cet intérêt à priori inattendu. Le récit, tiré de l’histoire vraie de Kenichi Horie, nous est conté sous la forme d’un carnet de voyage entrecoupé de flash-back précédant l’embarquement de notre aventurier. Il dépeint un monde dans lequel ce jeune étudiant ne se reconnaît pas. L’occasion d’émettre une critique envers une société restrictive et formatée, où l’incohérence côtoie un bond en avant difficile à appréhender. Les retours en arrière nous montrent une famille guidée par la peur et souhaitant à tout prix ne pas sortir d’un cadre bien défini. Dans un même temps, le scénario profite de ce contexte particulier pour dévoiler les raisons ayant poussé Kenichi à entreprendre ce périlleux voyage.

Membre d’un club de voile, Kenichi n’a de plus profond désir que de réaliser son rêve. Une démarche marquée par un égoïsme caractérisé et clairement assumé. Peu importe qu’il ne soit pas compris, son objectif n’est pas là. A aucun moment il ne se projette vers l’avenir, ou alors sans inquiétude majeure. Comme si son futur lui importait peu. Confiant en ses capacités, il souhaite simplement se prouver qu’il peut réussir. Réaliser un rêve tout en vivant une expérience unique, dans le but de trouver une satisfaction personnelle, et non la gloire ou l’admiration de son entourage. Le dépassement de soi comme adrénaline, mais aussi et surtout une porte de sortie, seule susceptible de le mener loin de ce monde oppressant. Solitaire dans l’âme, il trouvera dans cet isolement l’oxygène nécessaire pour que vivent enfin des émotions trop longtemps étouffées.

Si une bonne humeur ambiante règne sur ce périple, l’enthousiasme forcené et communicatif de Kenichi y est pour beaucoup. Attachant et authentique, il ne cherche pas à jouer sur les apparences et reste égal à lui-même en toute circonstance. Il en résulte un humour ravageur, plein d’autodérision et de finesse d’esprit. Son caractère indéboulonnable apporte lui aussi son lot de sourires sincères, et ajoute au plaisir de le voir transgresser les règles établies. Au gré du vent et des péripéties, il convoie ses désirs de liberté vers un horizon nouveau, et nous avec. Toutes ces petites choses habilement mélangées rendent ce parcours intimiste attendrissant en de nombreuses occasions, et lui confère une humanité bienvenue.

Durant son épopée, la souffrance physique sera de mise, les efforts étant à la hauteur de l’exploit. Mais c’est bel et bien le facteur psychologique qui se taillera la part du lion. L’usure mentale fera tanguer son esprit et ce dernier mettra à rude épreuve, provoquant une lutte intérieure indispensable à sa survie. Kenichi passera ainsi par différentes phases, mais sans pour autant que cet aspect devienne un enjeu majeur de l’histoire. En effet, il ne se départira jamais de sa bonhomie caractérisée et gardera un moral d’acier. Le meilleur moyen pour y arriver ? Plaisanter et jouer de son esprit moqueur. L’occasion pour nous de sourire à nouveau face à quelques pointes d’humour corrosives. Car si le fond est ouvertement pessimiste, la forme est pour sa part toujours axée sur une note plus légère. Ainsi, le voyage se passe tout en douceur pour le spectateur, alors qu’en parallèle, les traditionnels imprévus se mêlent aux aléas propres à un tel parcours du combattant pour tenir éveillé notre anti-héros. Ces instants espérés autant que redoutés le forceront à trouver les ressources nécessaires à la bonne marche de son entreprise. Pour que survive son rêve.

La musique du film est entraînante et les images, mises en valeur par le format cinémascope, se révèlent douces et chaleureuses. Sans révolutionner le genre, la réalisation est efficace, et le montage dynamique de Tsujii Masanori permet d’imprimer une tension supplémentaire à cette traversée. A noter la superbe interprétation de Yûjirô Ishihara, plus vrai que nature dans ce rôle atypique. Porter un film sur ses épaules n’est pas chose facile, et il s’en tire avec maestria. Bravo l’artiste !

Avoir rendu cette histoire, pessimiste en son for intérieur, aussi plaisante et chaleureuse s'avère un véritable tour de force. La simplicité de l’ensemble, le ton résolument léger et les multiples touches d’humour m’auront permis de passer un agréable moment en compagnie de ce personnage pas comme les autres. Un vrai coup de cœur.

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La fiche IMDb du film

Par Guillaume Magique - le 9 septembre 2009