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Critique de film
Le film
Affiche du film

Schlock, le tueur à la banane...!

(Schlock)

L'histoire

Depuis trois semaines, la ville de Canyon Valley est le théâtre d'une série de meurtres sanglants. Surnommé le « tueur à la banane », le dangereux criminel est en réalité un gorille âgé de vingt millions d'années, le Schlockthropus. Pourchassé par la police, Schlock va découvrir l'amour en la personne de Mindy, une jeune aveugle qui le prend pour un chien...

Analyse et critique


Lorsque John Landis réalise Schlock en 1971, il a 21 ans. Outre l'originalité propre du projet (un monstre ancestral tueur à la banane), c'est le second argument mis en avant par son distributeur Jack Harris pour sortir le film... en 1973. Landis n'a alors évidemment plus 21 ans mais qu'importe, le jeune âge du réalisateur est un argument majeur pour la promotion de l'oeuvre. Concernant Landis, cette information peut néanmoins être trompeuse puisque celui-ci est loin d'être un débutant. Fréquentant, voire squattant, les salles obscures depuis tout jeune (c'est Le 7e voyage de Sinbad, sorti en 1958, lorsqu'il a 8 ans, qui lui donne envie de faire du cinéma), il abandonne l'école à 17 ans pour aller au bout de sa destinée.


Son opiniâtreté va lui permettre de rentrer à la Fox où il va alors devenir cascadeur (parmi de nombreux autres métiers) pour une grande majorité de westerns, partant durant plusieurs mois en Espagne pour travailler sur une soixantaine de films. Rappelons que nous sommes à la fin des années 60 et au début des années 70, en plein « spaghetti boum » du nom de ces westerns italiens de productions diverses, rendus célèbres dans le monde entier par les œuvres de Sergio Leone. La quantité de productions est monumentale (plus de 450 films en 15 ans !) et Landis profite allègrement de cette effervescence pour apprendre les rouages du métier et devenir une alternative majeure pour les studios à son retour aux Etats-Unis. Il sera notamment second unit assistant sur le Catch 22 de Mike Nichols (1970) et en profitera au même moment pour rencontrer quelques grands noms du 7ème art, comme Alfred Hitchcock (avec qui il va déjeuner régulièrement !) ou Federico Fellini.


Passionné par les Hammer films, c'est en voyant le dernier long-métrage de la mythique Joan Crawford, l'impayable Trog (1970), que Landis à l'idée du Schlock. Là ou Trog se veut un drame (et provoque finalement le rire), Schlock sera, lui, une comédie au burlesque assumé. Le premier long-métrage de Landis n'en est alors pas à une incohérence près : les coups des fusil ne sont pas toujours mortels, le Schlock tue parfois tous les personnages environnants et d'autres fois non, la télévision locale organise des concours où l'on doit deviner le nombre de cadavres, etc. La plus grande des incohérences du film en est aussi sa plus grande qualité, c'est-à-dire le Schlockthropus. Monstre ancestral vaguement relié à l'être humain et chaînon manquant de notre évolution, le Shlock est un être entre gorille et homme. Il possède le corps et la force bestiale d'un animal mais ressent aussi des émotions humaines. C'est d'ailleurs John Landis lui-même qui est sous le costume du monstre ! On imagine que son récent passé de cascadeur a dû influer sur ce choix mais celui-ci valide également l'intention de créer un monstre mi-homme mi-bête... et totalement kitsch.


Dès sa première apparition à l'écran, le Schlock porte à sourire et n'apparaît jamais dangereux ou véritablement méchant alors même qu'il tue des dizaines de personnes... Landis se joue de l'image du monstre et la référence à King Kong (1933) est bien sûr évidente. Si King Kong est ramené comme un trésor inestimable sur le continent pour être dévoilé à la face du monde avant de se rebeller contre l'Homme, le monstre de Landis semble être là depuis toujours, tapi dans sa grotte et n'en sortant que pour aller manger... des bananes. Il tue sans raison apparente, selon son bon vouloir et surtout lorsqu'il ne comprend pas ce qui se passe autour de lui. Seuls les enfants semblent avoir le droit à son amitié, peut-être parce que lui-même en est toujours un, seul face à ce monde qui l'entoure et qu'il ne comprend pas. Shlock trouvera même l'amour mais celui-ci ne sera pas réciproque, manière pour Landis de citer (et détourner) le conte de La Belle et la Bête, et d'inscrire son Schlock dans la longue lignée des monstres maudits du cinéma...


Si ce dernier est la grande réussite du long-métrage, on le doit en grande partie à Rick Baker, l'un des make-up artist les plus talentueux de sa génération (Videodrome, Hurlements, Men in Black ou encore... La Planète des singes version Tim Burton). Déniché dans sa chambre d'étudiant par un Landis à la recherche d'un maquilleur de monstres à bas prix, il fait preuve d'un talent précoce et déploie beaucoup d'ingéniosité pour la fabrication complète du costume. Avec seulement un budget de 400 dollars, il se voit obligé de faire chauffer les moulures du costume dans le four de sa mère... Ce mélange entre travail amateur et véritable talent brut permet d'incarner le Schlock comme un personnage légitime et de donner matière à un film considéré à l'époque comme invendable (même le pape de la série B, Roger Corman, n'en voudra pas et Landis mettra près d'un an et demi à trouver un distributeur).


Si Schlock pourrait être le premier film ZAZ (collectif formé par les frères producteurs Zucker - David et Jerry - ainsi que Jim Abrahams, et dont le premier film fruit de leur collaboration fut le second long métrage dirigé par John Landis, Hamburger Film Sandwich en 1977), du nom donné à ces films parodiques à grands succès tels que Y a-t-il un pilote dans l'avion ? ou la série des Y a-t-il un flic..., il n'a pas le même budget de production que ces œuvres-ci. Les 60 000 dollars de budget (la moitié des fonds proviennent de Landis et de son expérience espagnole) ne semblent pas permettre au film d’être autre chose qu’une oeuvre parodique sympathique. Si Landis se moque de tout et de tout le monde (les policiers sont tout sauf policiers, les scientifiques ressemblent à des docteur Frankenstein, les parents sont plus angoissants que le monstre lui-même et les jeunes sont tous abrutis) et livre un film au grotesque assumé, l’œuvre ne parvient pas à s'extraire des défauts inhérents à ce type de production, notamment à cause de ses acteurs (pour la grande majorité non-professionnels et souvent amis ou issus de la famille de l'équipe technique) ou encore de ses dialogues assez pauvres. Landis lui-même en fait un argument marketing lors des ressorties suivantes : « Vous allez voir Schlock, et je suis désolé. » Ce serait oublier les quelques autres superbes trouvailles et hommages identifiables. Par ici 2001, par-là Buñuel (le bouquet dans le micro-ondes !) et tout un champ lexical du teen-movie américain encore balbutiant - des adolescents en plein éveil sexuel, des parents absents ou largués, le bal du lycée ou les double features au cinéma avec une géniale mise en abime du Schlock devant le cultissime Danger planétaire - qui feront la marque de fabrique du réalisateur et sont une preuve supplémentaire de la grande cinéphilie de l'auteur et de son amour du pastiche.

Schlock ne lancera pas la carrière de Landis puisque que le film sera un échec en salles, au contraire d'American College et Hamburger Film Sandwich, sortis respectivement en 1977 et 1978, et devenus rapidement deux comédies extrêmement populaires. La consécration viendra avec le parfait enchaînement de The Blues Brothers en 1980 et du Loup-garou de Londres (où il retrouvera Rick Baker) sorti l'année suivante (mais écrit dès 1969, à 19 ans) et sorte de négatif de Schlock, formant un diptyque animalo-monstrueux parmi les plus curieux de l'histoire du cinéma...

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La fiche IMDb du film

Par Damien LeNy - le 17 septembre 2019