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Critique de film
Le film
Affiche du film

Samedi soir, dimanche matin

(Saturday Night and Sunday Morning)

L'histoire

Dans les années 1960, à Nottingham, Arthur, un ouvrier de 24 ans, le week-end venu, s’étourdit dans les pubs pour oublier sa condition sociale précaire malgré son travail consciencieux à l’usine. Dès le samedi, la bière coule à flots pour lui et ses copains. Sa maîtresse, Brenda, une femme plus âgée que lui et épouse d’un de ses collègues de travail, lui est très attachée. Mais Arthur est bientôt attiré par une jeune fille de son âge, Doreen, une nouvelle relation qui a pour effet de rompre avec son morne quotidien.

Analyse et critique

Saturday Night and Sunday Morning est un des films manifeste du Free Cinéma anglais, mouvement britannique des sixties équivalent à la Nouvelle Vague française même si plus politiquement engagée que cette dernière. Le phénomène trouve d'ailleurs en partie son origine du côté littéraire puisque certaines de ses préoccupation se retrouvent déjà chez les Angry Young Men, un groupe de jeunes auteurs britanniques apparus durant les années cinquante. Leurs écrits se caractérisaient par la touche authentique et réaliste des milieux prolétaires dépeints, que ce soit les personnages de working class heroes favorisant une écriture au langage simple ou dans les situations issues du quotidien qui leur vaudront également le qualificatif de kitchen sink drama -  variation du terme Kitchen Sink Painters attribué aux peintres réalistes anglais des années 40/50. Le film de Karel Reisz adapte donc un des livres les plus culte du mouvement, écrit par Alan Sillitoe (qui en signe également le scénario) en 1958 qui verra un autre de ses écrits transposé dans le cadre du Free Cinéma avec La Solitude du coureur de fond réalisé en 1962 par Tony Richardson (ici producteur). Saturday Night and Sunday Morning, c'est donc aussi et surtout l'histoire d'un jeune homme en colère, cet Arthur incarné avec une fougue et une authenticité peu commune par le jeune Albert Finney qui crève l'écran pour son premier rôle au cinéma. La vie d'Arthur se partage entre les semaines mornes où il ronge son frein à l'usine et le week-end où s'enchaînent les beuveries épiques au pub avec ses amis et où il aligne les conquêtes féminines. Car Arthur a trouvé la solution parfaite pour s'évader de ce Nottingham grisâtre : n'en faire qu'à sa tête en se fichant de tout et de tout le monde. Albert Finney campe ainsi un personnage impulsif et imprévisible dans ses actes comme dans es propos, un gamin espiègle qui n'a aucune envie de grandir comme le montre d'hilarantes scènes où il joue de bien mauvais tours à ses congénères comme placer un rat mort au poste d'une collègue d'usine ou tirer au fusil à plomb dans la fesse d'une voisine récalcitrante.

Arthur ne cherche qu'à vivre au jour le jour et sans attache, et le mariage, aboutissement logique de tous les jeunes gens de son âge, est synonyme de prison, d'une normalité à laquelle il faut échapper. Le film se fait le portrait d'une certaine Angleterre de l'après-guerre résignée et sans perspectives. Les quidams qui ont connu la guerre et les privations se contentent aisément d'un travail modeste et monotone qui leur apporte la sécurité, n'aspirent plus à grand-chose et trouvent en la télévision une distraction bien suffisante. La génération suivante, celle de leurs enfants ne se reconnaît pas dans cette résignation mais le film montre finalement l'impasse de ces jeunes gens face aux possibilités d'avenir terriblement limitées. Pour Arthur, l'étau va même se resserrer dangereusement lorsqu'il mettra enceinte une amante mariée ou à travers la rencontre d'une jeune fille (Shirley Anne Field) plus délicate que ses conquêtes habituelles. Le filme nous promène ainsi au fil des pérégrinations quotidiennes et des pensées d'Arthur dans une ligne narrative ténue liée à ses états d'âme. La mise en scène de Karel Reisz se caractérise par une alliance d'authenticité (qui se répercute dans les dialogues et situations où l'on évoque ouvertement le sexe, l'avortement...) et d'élégance, nous faisant visiter les recoins les plus prolétaires de Nottingham avec ses pubs enfumés où la pinte coule à flot, les plans d'ensemble de paysage avec cheminées d'usines à perte de vue, des espaces ruraux de plus en plus restreints, des petites ruelles où le déterminisme se ressent déjà dans d'innocents jeux d'enfant...

La photo de Freddie Francis propose un noir et blanc somptueux et tout en nuances, qui capte la vérité de ce cadre tout en lui conférant une recherche visuelle toute cinématographique. La description est d'ailleurs loin d'être négative, et avec le temps c'est une vraie nostalgie qui se dégage pour cette Angleterre chaleureuse et faite de plaisirs simples comme la promenade dominicale à bicyclette, les excursions à la pêche, les sorties au dancing (belle bande-son mod-jazzy) et bien évidemment les réunions au pub. La conclusion laisserait notre héros presque rangé mais rien n'est moins sûr tant sa nature indomptée ne saurait être domestiquée, surtout quand on sait que la société anglaise sera amenée à être bien plus libérée dans un avenir proche. Arthur est la première incarnation (et la plus ouvertement sociale) des héros obsessionnels de Karel Reisz, prêts à se brûler les ailes dans la poursuite d'un absolu romantique dans Morgan (1966), artistique avec Isadora (1968) ou encore émotionnel dans Le Flambeur (1974). Le film sera un immense succès et multipliera les récompenses en Angleterre pour son acteur principal et son réalisateur promis à un bel avenir.

Saturday Night and Sunday Morning a également un immense impact sur la culture pop anglaise, jamais démentie à ce jour. La chanson des Smiths There is a light that never goes out de l'album The Queen is dead s'inspire d'une phrase de Doreen (I want to go where there's life and there's people devenant I want to see people and I want to see life) tandis que le titre du premier album des Arctic Monkeys, Whatever People Say I Am, That's What I'm Not (dont la pochette affiche le visage d'un pur lads glandeur clope au bec à la Albert Finney), reprend l'une des répliques cultes d'Arthur. On peut ajouter des titres des Specials et aussi de Madness en 1999 intitulés Saturday Night and Sunday Morning pour mesurer l’appel à l’ailleurs intemporel du classique de Karel Reisz.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : SOLARIS DISTRIBUTION

DATE DE SORTIE : 4 octobre 2017

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 4 octobre 2017