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Critique de film
Le film
Affiche du film

Sacco et Vanzetti

(Sacco e Vanzetti)

L'histoire

Alors que la police du Massachusetts enquête sur un hold-up ayant occasionné deux morts, suite à la dénonciation d’un garagiste interloqué par de fausses plaques d’immatriculation sur une voiture qu’il avait en charge, deux hommes sur lesquels on retrouve des armes à feu sont interpellés et arrêtés à bord d’un tramway. Il s’agit du cordonnier Niccola Sacco (Riccardo Cucciolla) et du poissonnier Bartolomeo Vanzetti (Gian Maria Volonte). Ils sont immédiatement inculpés pour le cambriolage meurtrier. Malgré des alibis en béton et un flagrant manque de preuves, deux procès se déroulent à un an d’intervalle ; le verdict unanime des jurés est la peine capitale. Deux avocats chevronnés se succèdent, un comité de défense se crée, l’opinion publique mondiale se mobilise contre cette injustice et l'un des véritables coupables passe même aux aveux. Le juge Thayer refuse néanmoins de rouvrir le dossier ; Sacco et Vanzetti finissent sur la chaise électrique. Plus que deux meurtriers présumés, ce sont deux anarchistes étrangers qui périrent ce jour-là, le procès s’étant transformé au fur et à mesure de son avancée en une véritable affaire politique, une cabale raciste et "anti-rouges".

Analyse et critique


Succinct rappel historique pour remettre la célèbre affaire dans son contexte et pour en retracer les grandes lignes. Au début des années 20, les États-Unis, tout comme l’Europe, subissent de violents remous sociaux. Près de quatre millions de grévistes descendent dans les rues pour réclamer de meilleurs salaires et la réduction du temps de travail ; des manifestations qui dégénèrent parfois en affrontements dans les grandes villes comme à Boston. Un climat social tendu et de nombreux attentats anarchistes créent de la paranoïa, entraînent un dangereux amalgame opéré par l’opinion publique et des mesures de répression à l’encontre de nombreuses personnes de gauche ("de préférence" étrangères) emprisonnées ou obligées de s’exiler. La "peur rouge" commence sérieusement à s’installer : grévistes, étrangers et "bolchéviques" sont alors tous mis dans le même panier. Le 15 avril 1920, un braquage a lieu dans le Massachusetts qui cause la mort de deux hommes. La police porte immédiatement ses soupçons sur un groupe d’anarchistes italiens dont les cambriolages serviraient à financer leurs attentats. Trois semaines plus tard, malgré le fait qu’ils n’aient pas de casier judiciaire, deux hommes venus récupérer leur véhicule dans un garage de la région sont appréhendés. Le garagiste ayant repéré que leurs plaques d’immatriculation étaient fausses avait alerté la police qui leur est ainsi tombée dessus. Détenteurs d’armes à feu, ils sont inculpés pour le hold-up meurtrier. Le 22 juin suivant se tient un premier procès. Un an après, un second procès condamne les deux Italiens à la peine capitale malgré l'absence avérée de preuves. Une campagne médiatique internationale est immédiatement lancée, qui aboutit à la création d’un comité de défense qui parviendra à lever 300 000 dollars dont bénéficiera en partie l’avocat californien Fred Moore, spécialiste des procès politiques (puisque cela en deviendra un en définitive). L’opinion publique est sensibilisée, et cette flagrante injustice vilipendée par une énorme mobilisation mondiale.


Un autre condamné à mort, Celestino Madeiros, n’ayant plus rien à perdre, avoue de sa cellule avoir fait partie du gang qui avait perpétré le braquage meurtrier, innocentant du même coup Nick et Bart (tels les appelleront tous leurs défenseurs de par le monde). Le juge Thayer refuse de rouvrir le dossier, appuyé en cela par le gouverneur du Massachusetts qui se vante d’être le plus réactionnaire d’entre tous. Malgré de nombreux reports, l’exécution a lieu le 22 août 1927 à la prison de Charlestown. Cinquante ans jour pour jour après leur mort, Michael Dukakis, alors gouverneur du même Etat, réhabilite officiellement les deux hommes déclarant que « tous les déshonneurs devaient être enlevés de leurs noms pour toujours. » Entretemps, Franklin Roosevelt aura déclaré que cette affaire avait constitué « le délit le plus atroce commis en ce siècle par la justice. » C’est l’histoire de cette injustice avérée que nous restitue avec force détails le réalisateur Giuliano Montaldo dans ce film resté surtout célèbre pour la chanson qu’entonne Joan Baez durant le générique de fin, Here’s to you. Ennio Morricone signe pour l’occasion une bande originale inoubliable, entendue malheureusement avec un peu trop de parcimonie à mon goût, sa longue Ballade pour Sacco et Vanzetti également interprétée par Joan Baez étant accolée aux deux plus poignantes séquences du film. Il faudrait en l’occurrence plutôt en conclure que si ces deux scènes s’avèrent aussi bouleversantes, c’est avant tout grâce à l'utilisation de cette magnifique chanson sublimement orchestrée. On l’entend la première fois lors de la séquence pré-générique en noir et blanc, peut-être la plus mémorable, paradoxalement aussi celle à cause de laquelle nous sommes ensuite un peu déçus par le fait que le film ne retrouve plus jamais une telle puissance d’évocation ! Montaldo filme la descente nocturne d’une imposante escouade de policiers à cheval dans un quartier italien, les hommes en uniforme n’y vont pas de main morte pour procéder à l’arrestation de quelques hommes soupçonnés de faire partie d’un groupe d’anarchistes. Dans un noir et blanc très contrasté, nous assistons à une succession d’une efficacité redoutable de plans fixes et de plans tremblotants caméra à l’épaule, donnant l’impression d’une forte tension et d’une grande brutalité. Puis, sur le générique de début avec les images de ces incarcérations continuant à se dérouler en arrière-fond, la musique de Morricone s’élève, la voix de Joan Baez entame sa poignante ballade jusqu’à cette image terrible d’un homme (l’un de ceux ayant été arrêtés) se jetant dans le vide du haut d’un immeuble. C’est l’intolérable abus de pouvoir qui est visé dans cette introduction contextuelle tout sauf fastidieuse, les faits de l’affaire nous concernant plus directement seront ensuite détaillés au travers du procès.


L'image de cet homme tombant d’un immeuble reviendra hanter nos deux accusés à plusieurs reprises sans que le spectateur sache immédiatement de quoi il en retourne, sans qu’il n’appréhende le rapport qu’elle entretiendra avec l’affaire Sacco & Vanzetti. Le lien s’avère apriori assez ténu, prouvant néanmoins l’appartenance au parti anarchiste de Bartolomeo Vanzetti. Si les deux affaires sont distinctes, vu que celle qui nous concerne va se transformer en procès politique, ce rapprochement aura cependant son importance étant donné que les deux hommes seront en fait condamnés non pas pour le meurtre (qu’ils n’ont pas commis) mais pour leurs origines, leurs convictions politiques et la "subversion" de leurs idées sur la nation qui les a accueillis. Ils auront en quelque sorte été des victimes du climat hystérique de l’époque, de l’intolérance et de la xénophobie. De quoi avoir indigné à juste titre l’opinion publique de ces années-là - d’où résulta un tollé international - et de scandaliser encore aujourd’hui les spectateurs de ce film découvrant l’affaire à l’occasion ! Et, comme l’a très bien expliqué un siècle plus tard Stéphane Hessel dans son célèbre essai, l’indignation étant le ferment de l’esprit de résistance contre toute injustice, un tel film, malgré ses défauts et son manichéisme, demeurera toujours salutaire et utile pour se souvenir que si ce genre d’affaire s'est déjà produit, cela pourrait encore se reproduire sous des régimes sans éthique, fustigeant les droits de l’homme pour mieux sauvegarder la souveraineté nationale. Pour en revenir au film, une fois le générique terminé, il devient en couleurs (le noir et blanc n’étant ensuite plus convoqué, hormis pour les images d’archives, que pour l’exécution finale) et, après l’arrestation de Sacco et Vanzetti, ne quittera quasiment plus le tribunal ou la prison, seule la contre-enquête permettant de sortir de ces lieux assez étouffants. Le film narre alors surtout les deux procès, l’enquête qui se déroulera à l'extérieur, le combat désespéré du comité de soutien ainsi que la marche des deux hommes vers la mort.


Sacco et Vanzetti est un "film-dossier" souvent passionnant mais un peu trop manichéen et systématique dans sa construction et ses effets de mise en scène (le flou qui précède les flash-back nous montrant ce que les témoins ont réellement vu contrairement à leurs dires ; les rapides zooms avant sur leurs visages...) pour convaincre totalement. Il n’était pas non plus nécessaire d’insister aussi lourdement sur le racisme de Katzmann au travers des coups de colère de l’avocat de la défense ; le message aurait sans doute été plus fort sans en passer par de tels moments d’hystérie qui rendent également le noble propos moins intelligent. Mais le principal défaut du film est peut-être dans l'écriture des personnages de Sacco et Vanzetti, portraiturés plus comme des stéréotypes d’innocents accusés à tort que comme des êtres humains de chair et de sang. Malgré la formidable qualité d’interprétation de deux comédiens (Riccardo Cucciolla obtiendra même le prix d’interprétation au estival de Cannes), et même si notre sympathie leur est immédiatement acquise, nous avons néanmoins du mal à ressentir de l’empathie à leur égard. C’est d’autant plus frustrant que la différence de caractères entre les deux accusés avait de quoi rendre très riches et passionnantes leurs relations, alors qu'au final ils semblent ici un peu privés de vie (sans jeu de mots). Aux côtés d’un Vanzetti comprenant que son statut de martyr pourrait servir de symbole à sa cause et se transformant en tribun défenseur des droits de l’homme, on trouve un Sacco plus "humain", refusant la dimension politique de cette affaire, ne pensant qu’à sa sauvegarde, aux retrouvailles avec sa famille, acceptant moralement très mal le fait d’être accusé à tort. On pourra cependant rétorquer que c’est tout à fait digne de la part de Montaldo de ne pas avoir succombé à l’attrait du mélodrame. Disons qu’un juste milieu entre froideur du documentaire et passion du drame humain aurait été l’idéal et aurait peut-être eu un peu plus d’impact sur le public. En l'état le film reste assez froid (sur le même modèle, Francesco Rosi aurait probablement été moins manichéen), sa mise en scène manquant parfois de puissance et de rythme (Elio Petri aurait peut-être pris le sujet plus à bras-le-corps et avec un peu plus de nerfs). Cela étant acquis, il faut cependant bien se rendre à l’évidence : l’efficacité du discours, la qualité de l’interprétation et le professionnalisme de Montaldo font que l'on ne s’ennuie à aucun moment, ce qui n’était pas gagné d’avance surtout en sachant que les scènes de prétoire représentent les trois quarts de la durée de l’œuvre et que les films de procès n’ont que rarement été captivants tout du long.


Plus de vingt ans avant le maccarthysme, l’Amérique avait déjà versé dans l’hystérie, la paranoïa, l’intolérance et la violation sans vergogne des droits de l’homme, craignant tellement la montée du bolchévisme qu’elle en avait oublié un temps le respect de sa constitution, son principe primordiale de liberté et de justice. En même temps que l’histoire tragique de ces deux émigrés italiens à travers l’un des épisodes les plus noirs de la justice américaine, c’est à une radiographie de cette époque aux USA dont nous gratifient les auteurs de ce film humaniste, formidablement interprété par les deux comédiens principaux mais aussi par Milo O’Shea, l’avocat en nu-pieds, Geoffrey Keen, le juge puritain, et surtout l’intense Cyril Cusak dans le rôle du District Attorney obnubilé par l’envie d’envoyer Sacco et Vanzetti sur la chaise électrique. Sacco et Vanzetti est une belle reconstitution d’époque avec la plupart des extérieurs tournés en Irlande (les vieilles rues de Boston ayant quasiment disparu), un scénario plutôt bien mené même si parfois un peu empesé et emphatique, mais, pour un film engagé et parfois émouvant, elle manque cependant de fougue et de passion. Néanmoins un film fortement recommandable !


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 11 décembre 2014