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Critique de film
Le film

Qui est le Traître ?

(Tumbleweed)

L'histoire

Alors qu’il chevauche dans une région désertique, Jim Harvey (Audie Murphy) tombe sur un Indien blessé, Tigre (Eugene Iglesias), fils d’Aguila, le chef de la tribu des Yaquis. Il le soigne et repart sur les conseils du jeune guerrier qui le prévient que son père n’est pas tendre envers les hommes blancs. Arrivé à Mile High, Jim prend le commandement d’un convoi de pionniers qu’il doit conduire jusqu’à Borax où ces derniers comptent s’établir. Pour cela, il faudra traverser le territoire des Yaquis ; mais Jim pense que le fait d’avoir sauvé le fils du chef sera un laissez-passer suffisant pour ne pas avoir d’ennuis. Pourtant, parti en éclaireur, Jim voit des signaux de fumée ; il rentre ventre à terre jusqu’à la caravane pour préparer la défense à une attaque qu’il estime imminente, et prend soin de cacher les deux femmes du convoi. Après avoir repoussé un premier assaut, Jim décide d’aller parlementer avec le chef indien ; mais il échoue et se retrouve ligoté en plein soleil. Quand il se réveille, il se rend compte que la mère de Tigre est à ses côtés ; voulant le remercier d’avoir sauvé la vie de son fils, elle le délivre. Quand Jim arrive à Borax, il est accueilli avec hostilité ; on lui apprend que les membres de la caravane ont tous été massacrés à l’exception des femmes et on lui fait porter le chapeau, l’accusant de traitrise. Il a beau essayer de s’expliquer, les citoyens ne veulent rien entendre, ne souhaitant qu’une seule chose : le voir gigoter au bout d’une corde. Seule la jolie Laura (Lori Nelson), tombée sous son charme lors du voyage, croit en son innocence. Jim est sauvé par l’intervention du shérif (Chill Wills) qui le met en cellule jusqu’à ce qu’il soit équitablement jugé. Mais les habitants veulent faire le forcing ; heureusement, Tigre vient délivrer Jim en tuant son geôlier. Avant de succomber sous les balles des citoyens, l’Indien avoue à Jim qu’un homme blanc était venu demander à son père de perpétrer le carnage. Jim s’enfuit, bien décidé à faire son enquête pour trouver ce délateur et prouver son innocence ; il va lui falloir faire vite puisqu’il est poursuivi par un posse conduit par le shérif et que sa monture a été gravement blessée à la jambe.

Analyse et critique

1953. Tumbleweed est à nouveau un véhicule pour la star incontestée du studio Universal dans le domaine du western, Audie Murphy. Jusqu’à cette date dans le genre, le comédien mène un parcours sacrément agréable à visionner, après un démarrage pourtant moyennement concluant dans la peau de Billy The Kid avec The Kid from Texas de Kurt Neumann. Durant les trois années qui séparent les deux films, le comédien a pris de l’assurance et n’est plus aussi tétanisé par la caméra ; il se révèle même ici tout à fait à l’aise et convaincant. Et de son côté, Nathan Juran de ne pas faire mentir l’adage "jamais deux sans trois" ! Après Gunsmoke (Le Tueur du Montana) avec déjà Audie Murphy puis Law and Order (Quand la poudre parle) avec Ronald Reagan, Tumbleweed s’avère à nouveau une très belle réussite de la série B westernienne. Non pas que le cinéaste pourra encore prétendre à cette occasion être considéré comme un très grand spécialiste du genre, mais son modeste corpus aura pour l’instant eu le mérite d’être extrêmement sympathique ; il contiendra même plus tard un titre peu connu mais superbement réussi datant de 1959 : Good Day for a Hanging.

Tumbleweed est considéré par une majeure partie des fans d’Audie Murphy comme étant l’un de ses tous meilleurs westerns Universal. Et effectivement, même si on peut lui préférer A feu et à sang (The Cimarron Kid) de Budd Boetticher, sa réputation s’avère néanmoins tout à fait justifiée. Il s’agissait également parait-il d'un des westerns préférés d’Audie Murphy himself qui, justement avec ce titre, en est à son neuvième. L’on ne peut que constater en les voyant tous à la suite que son jeu s’affirme de film en film ; on ne peut évidemment pas dire que ce soit un grand acteur n’ayant, loin s’en faut, ni la classe de Randolph Scott ni le charisme d’un John Wayne ou la prestance d’un Gary Cooper (les adjectifs et les noms peuvent tout à fait s’intervertir ici), mais cela n’en fait pas pour autant un mauvais comédien ; il est bon de le rappeler à nouveau après des années de mépris à son égard. En tout cas, jusqu’à présent et plus encore dans Tumbleweed, Audie Murphy fait preuve d’une belle vitalité et s’avère tout à fait juste et crédible, non sans humour ni autodérision. Il avait même à nouveau demandé ici à ce que le look de son personnage soit encore plus réaliste qu’à l’accoutumée ; on le voit donc pas toujours très bien rasé, avec ses vêtements loin d’être très propres, son Stetson maculé de sueur et la chemise souvent sortie de son pantalon. Des détails qui aujourd’hui feront sourire car allant de soi mais qui avaient leur importance à l’époque.

Petit rappel de la biographie de Nathan Juran qui le mérite au vu des petits plaisirs qu’il nous aura procurés à maintes reprises. Né en Autriche, il fut directeur artistique à Hollywood dès 1937. Alors qu’il opère dans les services de contre-espionnage américain pendant la Seconde Guerre mondiale, il gagne un Oscar pour son magnifique travail en tant que directeur artistique pour Qu’elle était verte ma vallée (How Green Was My Valley) de John Ford. Il vient à la mise en scène une dizaine d’années plus tard, en 1952, avec The Black Castle, transposition des célèbres Chasses du Comte Zaroff. Il se consacre ensuite surtout au western, à la science-fiction et au film d’aventure (The Golden Blade avec Rock Hudson et Piper Laurie) ; il tourne même un film de sous-marins dans lequel nous trouvons réunis Ronald et Nancy Reagan, Hellcats of the Navy. Sous le pseudonyme de Nathan Hertz, il réalisera également à la fin des années 60 des séries Z aux titres ne manquant pas de piquant tel The Brain from Planet Arous ou Attack of the 50 Foot Woman. Mais il est aujourd’hui surtout réputé pour avoir tourné des films cultes avec le procédé d’effets spéciaux "Dynamation" (avec entre autres Ray Harryhausen aux manettes), les indémodables Septième voyage de Sinbad (1958) et Jack, le tueur de géants (1962). Mais revenons-en à son troisième western, encore un cran au-dessus des deux précédents.

Si le cinéaste sait décidément se contenter d’un faible budget sans que cela ne se remarque trop, et s'il n’accomplit pas d’exploits particuliers, sa mise en scène demeure néanmoins parfaitement fonctionnelle et s’avère même parfois assez efficace notamment lors des scènes d’action (tout particulièrement le combat final au sommet de montagnes rocailleuses pour lequel le biographe d’Audie Murphy affirme que le comédien n’a pas été doublé ; une chose est certaine, c’est que l’acteur est nerveux et qu’il frappe vite et fort), et encore plus lors de ces longues séquences d’avancée des protagonistes au sein de paysages désertiques, de sierras arides, écrasées de soleil et de chaleur (certaines séquences ont été tournées dans la Death Valley). On peut imputer également à Juran quelques idées originales dans sa façon d’insérer de très gros plans sur les visages et de filmer parfois d’assez près, ce qui était peu courant pour l’époque, tout du moins dans la série B. Et puis ses plans d’ensemble en plongée comme celui de l’arrivée au galop d’Audie Murphy auprès du convoi arrêté, ou cet autre du haut d’une montagne voyant le groupe des hommes du shérif en contrebas, démontrent un certain sens de l’espace de la part du réalisateur qui se montre tout du moins loin d'être un manche avec sa caméra. Il faut dire qu’il est grandement aidé par la très belle photographie de Russell Metty, le futur grand chef opérateur des superbes mélos en couleurs de Douglas Sirk pour le même studio. A signaler également que le producteur de ce western n’est autre que celui de ces mêmes mélodrames de Sirk, Ross Hunter. Se pourrait-il que la qualité supérieure de ce film de série B provienne des désidératas plus exigeants que la moyenne de ce producteur ?! Tout est possible !

Pour en venir à l’histoire maintenant, elle se tient très bien avec le mélange idéal de romance (avec le personnage interprété par le charmante comédienne Lori Nelson, déjà à l’affiche de Bend of the River, et que l’on a trop peu eu l’occasion de voir au cinéma), d’humour (dans les dialogues surtout : "Fly with jailbirds and you get dirty wings") et d’action ; sans oublier la présence de quelques messages certes un peu naïfs mais qui l’honorent, comme le fait de ne pas devoir juger quelqu’un (ou un cheval en l’occurrence) sur son apparence ("I told you it was the best horse I have"), avoir confiance en l’homme ou la femme que l’on aime, être tolérant ou encore déplorer la justice expéditive... Tout ceci sans mièvrerie grâce déjà à de très beaux portraits de personnages pour la plupart très attachants, à commencer par celui du shérif interprété par un Chill Wills qui trouve peut-être ici l’un de ses plus beaux rôles. Il faut l’avoir vu jouer aux cartes avec son unique détenu et lui demander poliment de réintégrer sa cellule lorsqu’on vient le chercher pour aller faire un tour en ville, ou encore dire à ce même prisonnier de quitter les lieux lorsqu’il faut faire la place à un nouveau prévenu. Et puis, même si c’est lui qui mène la poursuite du "faux coupable", il ne conçoit aucune haine à l'égard de ce dernier et ne souhaite en aucun cas le ramener mort. Autres protagonistes intéressants et touchants, ceux constituant le couple d’éleveurs de chevaux qui cache le fugitif au risque d’être sanctionné pour complicité. C’est l’épouse qui donnera à Lori Nelson une formidable leçon de loyauté, lui faisant comprendre que si elle aime aussi fort le fugitif, c’est qu’il doit être innocent, lui contant à cette occasion sa propre histoire, ayant sauvé son futur époux de la mort grâce à son entière confiance en lui ("Give a guy a chance because I was given a chance once myself"). Et c’est son mari qui donnera le fameux Tumbleweed à l’homme qu’il souhaite sauver, un cheval qui ne paie pas de mine et qui fait dans un premier temps très mauvaise impression au "proscrit malgré lui" mais qui s’avèrera intelligent, endurant et sacrément performant, sauvant à maintes reprises la vie de son nouveau maître.

Car il faut se rappeler que le film tire son titre du nom du cheval et qu’il serait vain d’attendre une grande surprise ou un étonnant retournement de situation final, probablement espéré au vu de son titre français qui nous mène une fois encore sur une mauvais piste. Le véritable traître n’intéresse qu’assez peu le scénariste : il s’agit plus d’un whodunit à la Hitchcock puisqu’on devine assez tôt son identité. Non, le plus important dans cette histoire c’est la manière qu’aura le personnage principal de se dépêtrer de la situation dans laquelle il s’est mis sans le vouloir, cherchant à prouver avec une grande détermination qu’il n’a été ni un couard ni un traître, croisant sur sa route assez de personnes ayant bon fond pour qu’il puisse se dire in fine que rien ne vaut la confiance et la tolérance, la débrouillardise et la haine des conflits pour arriver à s’en sortir. Un western qui par cette volonté démagogique (sans que ce ne soit aucunement appuyé et sans qu’il n’en passe par de la niaiserie) s’avère idéal pour nos chers têtes blondes. Ce n'est pas un film enfantin pour autant ; on trouve même quelques séquences assez sadiques comme celle des Indiens voulant torturer notre héros en lui arrachant les paupières afin que le soleil lui brûle les yeux. C'est un des rares scénarios pour le cinéma écrit par un homme qui s'est ensuite principalement tourné vers la petite lucarne, auteur d’histoires pour d’innombrables séries et non des moindres : Star Trek, Mannix, Zorro, Le Fugitif, ZorroL'Homme qui valait trois milliards... On regrette du coup qu’il n’ait pas persévéré dans le domaine du western, lui qui lui avait apporté ici une fraicheur inattendue. Se terminant par un traditionnel happy end, ce très bon divertissement, certes routinier, aura été bougrement plaisant d’autant que la musique de Joseph Gersenshon s’avère toute aussi agréable que les images qu’elle accompagne. Une excellente surprise ; une pépite de plus du western Universal de série B.

 

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 janvier 2013