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Critique de film
Le film

Qui a tué le chat ?

(Il gatto)

L'histoire

Un frère et une soeur, célibataires avides et frustres, cherchent par tous les moyens un motif pour exclure leurs locataires, afin de vendre leur immeuble.

Analyse et critique

A la fin des années 1970, la comédie italienne, genre qui forgea une part prépondérante de l’identité du cinéma transalpin, vit ses derniers feux. Né à la fin des années 50 et ayant atteint son pic artistique durant les années 1960, ce courant cinématographique, aussi ambitieux dans son approche formelle que très populaire auprès de la critique et du public, avait su cartographier avec un regard singulier la société italienne de l’après-guerre et croquer avec intelligence, perspicacité et causticité tous les petits et grands travers des institutions politiques, religieuses et sociales comme ceux des simples citoyens. De plus, dans cette décennie 70, cette comédie italienne « de prestige » se voit de plus en plus concurrencée et surpassée auprès du public par son équivalent plus vulgaire, une sorte de nouvelle comédie vaudevillesque d’une effarante vulgarité dont les scénarios sans âme tournent principalement autour du sexe et de personnages transparents et libidineux. En 1976, l’un des derniers films à sketchs du genre qui nous intéresse ici, Mesdames et messieurs, bonsoir, était hélas comme contaminé par la vulgarité et les facilités de cette sous-comédie bas du front. En 1977, Les Nouveaux monstres (Risi, Scola, Monicelli), toujours aussi roboratif, apparaît ainsi comme le chant du cygne d’une cinématographie à nulle autre pareille dont l’influence se fit sentir bien au-delà des frontières du pays.

La même année, en 1977 donc, Luigi Comencini propose Qui a tué le chat ? (Il gatto), sa dernière vraie semi-réussite dans le genre après en avoir signé probablement l’un des derniers chefs-d’œuvre avec L’Argent de la vieille en 1972. Comme ses collègues cinéastes, Comencini avait la dent dure envers ses compatriotes même si une humanité profonde l’en distinguait quelque peu ; chez lui, les personnages - pour lesquels il éprouvait une certaine tendresse - étaient autant malmenés et condamnés par leur vénalité et leurs petites lâchetés que par la fatalité d’une lutte des classes qui assignait toujours les laissés-pour-compte à leur place, celle des éternels dominés. Dans les années 70, son cinéma devient plus sombre, pessimiste et violent, et atteint le paroxysme dramatique avec Le Grand embouteillage (1979) et son nihilisme dévastateur. Comencini a beaucoup tourné, et même de nombreux films insipides comme il l’avouait lui-même (il se désolait de souvent trouver le succès avec des productions qu’il finissait par renier) afin de pouvoir mettre en chantier des œuvres qui lui tenaient à cœur et dans lesquelles il s’épanouissait en toute liberté. A cette époque, il était alors peut-être temps de tourner une page et de dire adieu à un style de film que le réalisateur avait servi avec sagacité et noblesse.

Qui a tué le chat ? est produit par Sergio Leone, chose qui peut surprendre sauf si l’on garde à l’esprit qu’une veine picaresque et une vision corrosive des rapports sociaux de classe innervent également son cinéma (se souvenir en particulier d’Il était une fois la révolution). Cette nouvelle comédie italienne affiche aussi son originalité par sa noirceur assumée et un mélange des tons audacieux puisqu’elle trouve une nouvelle santé en incorporant des codes du giallo, l’autre grand genre italien de ces années 70, tout en développant une scénographie librement inspirée du Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock. Amedeo et Ofelia Pecoraro sont frère et sœur, deux affreux personnages qui se détestent mutuellement, frustrés et aigris par une vie de célibataire. Ils héritent ensemble d’un vieil immeuble à la mort de leur père. L’occasion se présente alors pour eux de s’enrichir quand un promoteur leur propose de leur acheter à très bon prix leur nouveau bien à la condition qu’ils se débarrassent de tous les locataires. Ces derniers refusant de quitter leur logement, Amedeo et Ofelia sont prêts à tout pour parvenir à leurs fins et les expulser. Quand le chat de la maisonnée est retrouvé mort, les deux compères décident d’enquêter en parallèle de la police (dirigée par un commissaire totalement aux fraises), d’autant que cela leur permet de s’incruster éhontément dans la vie des habitants sans hésiter sur les moyens les plus malsains pour y parvenir.

D’entrée, on comprend vite que l’immeuble et ses occupants constituent un prétexte à représenter une société italienne en miniature que nous allons visiter en mode voyeur en compagnie de deux protagonistes cupides et sans scrupules, dont l’hystérie le dispute au cynisme, qui s’insinuent dans la vie de leurs pensionnaires. Dans ce film, Comencini et ses scénaristes n’épargnent personne, il serait vain en effet d’aller chercher une quelconque sympathie envers un seul des personnages esquissés. La mort du chat et l’enquête qui s’ensuit seront l’occasion de révéler les secrets inavoués de tout un microcosme chamarré. Qui a tué le chat ? débute comme une pure comédie et embraye sur une forme de thriller aux motifs typiques du giallo avec ses chausse-trapes, ses courses poursuites, ses lieux secrets, ses morts. Bien entendu, on assiste à une parodie du genre et c’est le sens du grotesque - qui tache - qui préside à l’entreprise. Grotesque des hommes et des femmes, grotesque des dialogues, grotesque des situations. Mais si le scénario reste hélas programmatique dans ses effets et dans la caractérisation sociétale des personnages, remplis de vices en tous genres, c’est la réalisation qui fait surtout l’intérêt du film. Comencini, ancien étudiant en architecture, bâtit une mise en scène alerte et en huis clos qui tire parfaitement le parti de son décor intérieur en nous faisant explorer un labyrinthe décati qui renvoie directement à la société italienne dont le tissu social se fissure de partout, malade du consumérisme, de la cupidité, de l’avilissement, de l’égoïsme et d’une faillite morale en général. L’humour noir ne laisse ainsi aucune échappatoire à ce tableau désagréable d’une communauté nationale en décomposition. Seule la ritournelle composée par Ennio Morricone - très utilisée - trouve des accents légers et fringants en contrepoint du malaise généré par le film, permettant de conserver une distance ironique sur les personnages. Mais c’est aussi cette distance qui fait toute la limite de la démonstration dans cette comédie noire ébène qui enterre en grande pompe la comédie italienne qu’on avait connue plus subtile (et plus charitable chez Comencini).

Reste les comédiens, bien sûr, dont l’abattage s’avère impressionnant. Ugo Tognazzi, habitué à tirer la couverture à lui dans chacune des scènes qu’il eut à tourner dans sa prolifique carrière, fait feu de tout bois, affublé de plus d’une coiffure bouclée improbable, et montre un sens de l’autodérision spectaculaire conjugué à une mauvaise foi dantesque. Heureusement sa partenaire ne s’en laisse pas conter et sait lui tenir la dragée haute (ce qui n’est pas un mince exploit) : Mariangela Melato, croisée chez Nino Manfredi, Elio Petri ou Lina Wertmüller, déploie un jeu théâtral décoiffant qui fait passer comme du petit lait bon nombre de réactions outrancières, voire peu crédibles. Enfin, on n’oubliera pas de relever la présence étonnante de notre Michel Galabru national en commissaire maladroit et totalement dépassé par les événements. Malgré les baisses de rythme et quelques ressorts dramatiques attendus, Qui a tué le chat ?, mariage explosif de comédie noire, de farce désenchantée, de giallo et de jeu de massacre pourra facilement contenter les amateurs de comédie italienne même si son acrimonie revendiquée laissera un léger goût amer en bouche.

DANS LES SALLES

Qui a tué le chat ?
 UN FILM De Luigi Comencini (1977)

DISTRIBUTEUR : TAMASA
DATE DE SORTIE : 29 MAI 2019

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 29 mai 2019