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Critique de film
Le film
Affiche du film

Ouragan sur la Louisiane

(Lady from Louisiana)

L'histoire

John Reynolds et Julie Mirbeau se rencontrent à bord du bateau qui les ramène tous deux à La Nouvelle-Orléans. Or le destin de chacun semble inévitablement les opposer dès qu’ils posent le pied à terre : John Reynolds, avocat nordiste, est en mission pour faire cesser les activités illégales qui ont lieu dans la ville, tandis que Julie Mirbeau est la fille d’un général sudiste qui s’enrichit grâce à une loterie. En enquêtant sur celle-ci, Reynolds découvre que les gagnants sont rapidement dépouillés de leurs gains, de façon plus ou moins violente, en étant entraînés à les rejouer aux cartes par des complices du bras droit de Mirbeau, Blackie Williams. Apprenant l’activité secrète de son acolyte, le général Mirbeau renvoie Williams, qui ne le supporte pas et commandite son assassinat. Julie accuse John d’être à l’origine de la mort de son père et décide de reprendre l’affaire familiale aux côtés de Williams, sans connaître les véritables activités de celui-ci.

Analyse et critique


Ouragan sur la Louisiane est peut-être le film le plus célèbre de Bernard Vorhaus. Après une carrière de scénariste aux Etats-Unis, il a réalisé quelques films suffisamment remarqués en Grande-Bretagne pour pouvoir revenir filmer aux USA et être engagé comme réalisateur. Sol Lesser, le producteur indépendant qui financera la série des Tarzan, offre à Bernard Vorhaus la direction de Way Down South, en 1939, qui se passe dans une plantation du Sud états-unien avant la guerre de Sécession. Herbert J. Yates, patron de la Republic Pictures, lui demandera ensuite de réaliser Les Déracinés en 1940 avec John Wayne dans le rôle-titre. L’acteur avait été engagé par la Republic Pictures en 1935 pour jouer dans un western, Westward Ho !, et travaillera pour la société jusqu’en 1952 (pour L’Homme tranquille de John Ford), souvent à contrecœur dans les années qui suivirent le succès de La Chevauchée fantastique de Ford en 1939. John Wayne déclarera par exemple, à la suite du tournage avec Cecil B. DeMille pour Les Naufrageurs des mers du Sud : « Après avoir tourné avec lui, j'ai pu garder la tête haute, en dépit des films dégueulasses que je devais faire pour Republic. »


Malgré la présence de John Wayne et de certains thèmes récurrents du western, le film échappe à une catégorisation genrée évidente. Les propositions les plus pertinentes pour tenter de constituer le southern étant encore relativement récentes, l’inscription de ce film dans cette lignée serait un peu rapide. Il n’empêche que le film s’ancre dans la représentation d’un espace - le Sud, et particulièrement La Nouvelle-Orléans - dont la culture (et le climat) oriente précisément, voire motive, certaines pistes narratives. Les pluies torrentielles caractéristiques de la Louisiane viennent résoudre l’intrigue, et les rapports sociaux répondent également à des logiques locales (les femmes so frenchy, capables de céder à l’envie d’une aventure d’un soir sur un bateau !). La généralisation de certains traits narratifs nous renvoie cependant aussi bien au western qu’au film noir (Ouragan sur la Louisiane a été scénarisé par la romancière à qui l’on doit Laura, dont Otto Preminger proposera une adaptation quelques années plus tard) : un homme intègre, censé « laver » une ville de ses péchés et (r)établir une justice, se trouve dans une posture qui l’oppose à une femme qu’il désire mais qui appartient au camp opposé. Le film reprend également certains aspects du film-catastrophe (avec la tension mélodramatique que ce genre contient, au-delà des scènes spectaculaires). Ces diverses influences ou ces changements de registre (l’arrivée de l’ouragan à la fin !) sont plutôt à l’avantage d’un film dont le récit ne ménage par ailleurs pas de grandes surprises.


Le film échoue assez régulièrement à susciter l’émotion, semblant ne pouvoir rendre compte de celle des personnages. N’ayant pas su convaincre du lien fort qui est censé unir John Reynolds et Julie Mirbeau en début de film, malgré la bonne interprétation de John Wayne et Ona Munson, le film ne parvient pas à inscrire le choix des personnages (quitter l’autre pour assurer sa mission ou affirmer son appartenance à sa famille) dans un dilemme qui leur serait problématique. De même, l’assassinat du père de Julie est trop rapidement (ou imparfaitement) traité. Faute de reliefs, ces choix des personnages apparaissent évidents et ne contrarient pas les attentes du spectateur : John place son intégrité avant tout ; Julie continue de protéger sa famille ; et aucun spectateur ne pourra douter que cette dernière aura finalement accès à la vérité et rejoindra John. Cette absence globale de tension dramatique, jusque dans la dernière scène-catastrophe, probablement en raison du manque de moyens pour la réaliser, est peut-être en partie due à la mise en scène, pourtant souvent relativement soignée comme le prouve la réussite de certaines scènes.


Bernard Vorhaus réussit de belles compositions de cadre ou de beaux mouvements de caméra qui parviennent à susciter l’intérêt pour certaines scènes. Comme le mentionne Patrick Brion, la scène du carnaval est tout à fait réussie, dans une mise en scène relativement grandiose pour un film avec un tel budget. De même, la tension est palpable dans la séquence où M. Gaston, suite à son gain à la loterie, se fait entraîner dans le quartier « dépravé » de La Nouvelle-Orléans (le « carré français ») par les sbires de Blackie Williams, qui l’incitent à jouer pour récupérer son argent. John, qui se doute du danger qui plane sur M. Gaston, cherche à le retrouver dans le carré français et Vorhaus réussit à créer un beau suspense, renforcé par le choix d’une esthétique très « film noir ».


Le choix d’Ona Munson pour interpréter Julie Mirbeau aurait pu être très intéressant, si Vorhaus n’avait pas vécu sa présence comme une obligation imposée par Herbert J. Yates, qui n’était autre que le mari de l’actrice. Contrairement à ce que déclare Vorhaus dans ses mémoires, l’âge de Munson au moment du tournage (31 ans) aurait pu n’avoir rien de problématique pour le rôle (mais cela en dit malheureusement très long sur les espoirs de longévité de carrière pour une actrice hollywoodienne...). L’actrice aurait cependant dû être dirigée différemment : elle était une formidable occasion, pour le réalisateur, de s’éloigner du stéréotype de la jeune femme naïve plongée dans des problématiques masculines. A la place de quoi, Ona Munson s’est sans doute sentie obligée de reprendre la partition d’une jeune femme encore « fille à papa », jusque dans certaines outrances. Delmer Daves la dirigera bien mieux quelques années plus tard, dans La Maison rouge. Côté seconds rôles, les présences de Ray Middleton (Blackie Williams) et Henry Stephenson (le général Mirbeau) sont les bienvenues, tant les acteurs parviennent à faire exister leur personnage avec une certaine justesse, dans un jeu relativement sobre.

Si Ouragan sur la Louisiane se laisse regarder et contient quelques scènes très réussies, l’ensemble du film manque d’une certaine profondeur. La responsabilité est relativement partagée, entre un récit très balisé (qui ménage malgré tout quelques surprises, notamment à la fin) et une réalisation peu inspirée mais pas maladroite pour autant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Benoit Rivière - le 27 mars 2020