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Critique de film
Le film

Oranges et citrons

(Oranges and Lemons)

L'histoire



16 courts métrages, d'une à deux bobines selon les cas, produits entre 1923 et 1925 mettent en scène Stan Laurel et donnent à voir le talent déployé par un grand artiste du burlesque américain. Si les films ont été tournés par divers réalisateurs, leur paternité artistique en revient totalement à Stan Laurel.

Analyse et critique

Laurel et Hardy, Hardy Et Laurel. Ces deux noms célèbres sont étroitement liés pour l’éternité dans le cœur des enfants, petits et grands, qui ont eu le bonheur d’exercer leur zygomatiques devant les aventures chaotiques de ces maladroits magnifiques. Ce que l’on sait moins, c’est que Stan Laurel eut une courte carrière en solo qui fit de lui un "petit" maître du burlesque, à côté de Harold Lloyd, Charley Chase ou Harry Langdon. Largement moins célèbre que celle de Buster Keaton ou de Charles Chaplin, son œuvre mérite pourtant d’être considérée, même si elle n’atteint pas souvent la même poésie ou originalité. Comme la plupart des acteurs du burlesque, Stan Laurel, issu d’une famille d’artistes de théâtre, débuta au cirque puis au music-hall où il développa ses aptitudes pour le pantomime. Né à Ulverston (Angleterre) en 1890, Arthur Stanley Jefferson fit ses premiers pas au Théâtre Britannique de Glasgow. Il entra dans la célèbre troupe de Fred Karno, où l’on retrouvait déjà un jeune surdoué du nom de Charles Chaplin. Il en fut d’ailleurs sa doublure pendant quelques années avant de devenir la vedette de la compagnie lors du départ du grand Charlie. Suite à une tournée de la troupe de Fred Karno aux Etats-Unis en 1910, Stan Laurel s’installe à Hollywood. Il entre dans le monde du cinéma en 1917 où il tourne dans son premier court métrage. Il créa le Keystone Trio puis the Stanley Jefferson Trio. Après des années de vaches maigres, entre petits rôles au cinéma et théâtre de vaudeville, il signe en 1923 un contrat avec le producteur Hal Roach (qui l’avait déjà fait travaillé) qui lui permettre enfin de mener à bien sa carrière. De 1923 à 1925 aux Studios Hal Roach, et alternativement avec le producteur Joe Rock, il est maître de ses films et devient ainsi à son tour un artiste du burlesque d’une grande stature.

La polémique a longtemps couru sur les emprunts comiques fait à Stan Laurel de la part de Charlie Chaplin. Les deux comédiens eurent des trajectoires parallèles, issus d’un même milieu pauvre et connaissant un parcours similaire, bien que le dernier fût vite devenu une star mondiale vénérée et que le premier dût attendre longtemps son heure, et encore ne devint réellement célèbre que grâce à son duo avec Oliver Hardy. On reprocha à Chaplin d’avoir délibérément copié des gags à Laurel, chose dont aucun des deux ne parlèrent jamais eux-mêmes. Sauf au sujet du personnage "Jimmy l’Intrépide" interprétés par Chaplin et Laurel dans la troupe de Fred Karno. "Jimmy" est un garçon miséreux et lunatique qui vainc les nombreux dangers présents dans ses rêves. Laurel créa le rôle et conçut une grande fierté d’en faire un modèle pour Chaplin. Il affirma : "Je pense que le souvenir de ce rôle et de ce spectacle a pu poursuivre Chaplin toute sa vie. Vous pouvez reconnaître des traces de Jimmy dans tous ses films, dans les séquences de rêve par exemple. Sérieusement, je dirais que Jimmy le pauvre, le rêveur courageux, a grandi et Jimmy est devenu le Vagabond."

Stan Laurel eut en fait un style bien à lui pourtant, mais il n’est pas interdit de penser que, du fait de la même pratique burlesque, les différents artistes se soient fortement inspirés les uns des autres dans ce domaine. Il est ainsi temps de rendre justice à Stan Laurel sur ce point-là. On pourrait dire que Laurel a, de son côté, tiré ce personnage de Jimmy vers une autre direction. Débarrassé de ses oripeaux de miséreux, il est presque resté un enfant perclus dans son monde, en tout cas inapte à satisfaire aux exigences du quotidien, de terminer un travail, c'est un jeune homme caractériel et têtu dont les tentations sexuelles se doivent également d’être assouvies. Les traits propres à l’ahuri du couple Laurel et Hardy sont déjà présents dans ses courts métrages en solo. Sauf que Stan Laurel y déploie bien plus d’autorité et de vaillance. Un sentiment héroïque, bien que débouchant presque toujours sur un désastre, est bel et bien présent alors que l’artiste sera plutôt passif lorsqu’il sera associé à son gros compère Hardy. Laurel fut, comme on le sait, le maître d’œuvre du formidable duo, le scénariste et le créateur des gags parsemant leurs aventures. Il sera maintenant plus aisé de s’en rendre compte en visionnant les courts métrages restaurés par Lobster Films. Dans ses courts métrages, Laurel s’ingénie aussi à parodier les grands succès cinématographiques contemporains ou les genres les plus en vogue : les grands mélodrames romantiques, les films d’aventures exotiques ou le western. Un goût pour l’absurde imprègne également son style de comédie, son personnage a régulièrement des réactions inattendues ou bien sort de sa poche des objets improbables. On retrouve aussi un grand sens de l’humour dans les intertitres, témoignant d’un second degré proche de la satire, qui se permettent parfois d’initier un gag que l’image suivante s’empresse de conclure.

Sur les 16 courts métrages proposés par l’association MK2/Lobster, il serait faux de prétendre qu’ils présentent tous le même intérêt. Cependant, la plupart d’entre eux sont de véritables petites perles et permettent de (re)découvrir un grand artiste comique à l’aube de sa carrière, mais déjà en pleine possession de ses talents. On le dit fréquemment : il n’y a rien de plus personnel qu’une réaction à l’humour, mais gageons que l’accumulation de ces petits films et de ces gags souvent méchants parviendra à dérider les plus fermés des spectateurs.

DVD 1 : 1923

Oranges et citrons / Oranges and Lemons (11’54’’) : Stan Laurel travaille dans une orangeraie et une usine d’emballage d’agrumes. Tout ce qu’il est possible de faire avec des fruits et des cageots pour faire rire se trouve dans ce petit film qui constitue une véritable entreprise de démolition.

Laurel dans la jungle / Roughest Africa (21’09’’) : Stan Laurel dans une parodie de film exotique. On voit des porteurs se coltiner des objets de luxe et des instruments de musique alors que les aventuriers roulent en voiture. Une carte de l’Afrique montre leur trajet… de Hollywood à Los Angeles. Et Laurel s’octroie le luxe de jouer avec des animaux: singes, autruche, ours, éléphant et un lion sensible au son du violoncelle. Bref, un must !

Cœurs givrés / Frozen Hearts (25’11’’) : Stan Laurel dans une parodie de mélodrame. Le film se passe en Russie Tsariste. Un simple moujik amoureux doit aller reconquérir sa belle, envoyée à Petrograd comme danseuse à la Cour. C’est l’un des meilleurs films de la sélection. On n'oubliera pas les témoins d’un duel, dont un nain, se battant comme des harpies ou bien l’apparition du personnage au fort strabisme, récurrent dans les courts de Laurel, fatalement maladroit au fusil.

Le héros d’Alaska / The Soilers (23’51’’) : Laurel cherche à se venger d’un riche homme d’affaires qui lui a confisqué arbitrairement ses mines d’or en Alaska. Ce court métrage, moins réussi que les autres, ménage tout de même quelques bonnes idées comme la description hilarante d’une communauté totalement livrée à la violence des origines.

Une riche nature / Mother’s Joy (23’26’’) : Un riche barbon fait revenir auprès de lui sa fille et son petit-fils qu’il avait rejetés il y a des années. Mais l’enfant est devenu un jeune homme gaffeur et excentrique. Laurel est lâché comme un chien dans un jeu de quille aristocratique. Déchaîné, il détruit tout sur son passage, jusqu’au mariage arrangé qui lui était promis.

DVD 2 : 1924

Le Facteur incandescent / Near Dublin (22’58’’) : L’Action se passe dans un village près de Dublin où les habitants ont un comportement particulièrement violent. Ils passent leur temps à se lancer des briques à la figure. Stan Laurel joue à nouveau l’amoureux héroïque mais maladroit. Un festival d’humour burlesque où les briques ont remplacé les tartes à la crème.

Le Gagnant du Grand Prix / Zeb vs Paprika (21’50’’) : Stan Laurel joue un jockey qu’on entraîne à la dure avant de l’envoyer concourir dans une course de trot contre un attelage américain. Les scènes d’entraînement sont plus réussies que celles de la course elle-même. Dans une scène, Laurel se dessine une petite moustache et la ressemblance avec Chaplin est étrangement frappante.

Drame au bureau de poste / Postage Due (21’40’’) : Après s’être fait faire une photo dans des conditions rocambolesques, Stan Laurel sème le trouble dans un bureau de poste parce qu’il a oublié de coller un timbre à sa lettre, alors qu’un inspecteur de la poste veille au grain. 12 ans avant que Chaplin ne tombe dans les rotatives de son usine, Laurel et son poursuivant chutent dans les trieuses de la poste. Un grain de folie bienvenu.

Ecossez-moi / Short Kilts (23’56’’) : Stan Laurel portant un kilt se moque des mœurs écossaises, de leur fort tempérament et de leur radinerie. Deux familles ne cessent de se bagarrer alors que chacun des deux héritiers est amoureux de la fille de la famille d’en face. L’affrontement ne cesse jamais, même après la célébration des mariages. Peut-être l’un des courts métrages les plus décevants.

Un homme courageux / West of Hot Dog (22’26’’) : Une production Joe Rock cette fois-ci qui parodie le western. Stan Laurel joue un garçon peureux et maladroit qui, après s’être fait attaqué dans la diligence le convoyant vers la ville de Hot Dog, est de nouveau confronté à ses agresseurs qui en veulent à ses biens. Certains gags répétitifs desservent un court métrage qui manque de rythme. Heureusement, le gag du gaffeur malhabile qui dessoude l’un après l’autre les bandits sans le faire exprès remonte le niveau.

DVD 3 : 1925

L’Epervier des neiges / The Snow Hawk (20’07’’) : Une production Joe Rock qui parodie The Sea Hawk avec Wallace Beery et George O’Brien. Le maladroit et puéril Stan Laurel se retrouve employé dans une épicerie située sur une montagne enneigée. Amoureux de la fille du patron, il a pour rival un criminel qui se fait passer pour un officier. Peut-être faut-il avoir connaissance du film parodié pour profiter pleinement de ce court métrage, mais on mesure l’écart qualitatif qui existe entre Stan Laurel et Charles Chaplin concernant l’utilisation de ce type de décor (cf. le somptueux La Ruée vers l’or de ce dernier).

Un bleu de la Marine / Navy Blue Days
(20’16) : Dans cette nouvelle production Joe Rock particulièrement endommagée, Stan Laurel interprète un marin de première classe qui s’invite dans une soirée donnée pour son officier supérieur, et attiré par la maîtresse de maison. Le personnage du garçon inconscient, obstiné et éternellement en fuite donne sa pleine mesure dans ce film, mais il semble que la veine burlesque se soit un peu tarie chez Joe Rock, malgré un excellent gag au début du court métrage qui rappelle un peu Buster Keaton.

Plus fort que Sherlock Holmes / The Sleuth (21’50) : Stan Laurel joue un détective privé extravagant, et expert en déguisements tous plus saugrenus les uns que les autres, dans ce qui est certainement l’un des meilleurs films de la période Joe Rock. La veine burlesque de Laurel accompagnée de son goût pour l’absurde refait surface pour notre grand plaisir. Le gag des chapeaux portés par Laurel et dérobés à travers la porte est devenu célèbre et refera son apparition dans d’autres productions.

Sauce piquante / Dr Pyckle and Mr Pride (21’48) : Sans doute le meilleur film de Stan Laurel produit par Joe Rock. Il s’agit d’une parodie du Docteur Jekyll et Mister Hyde, dans laquelle Hyde/Pride est un monstre lubrique et coquin qui court les femmes. Le court métrage a été tourné dans le décor du Bossu de Notre-Dame et démontre les qualités d’interprétation de Laurel dans un double rôle.

N’est pas homme qui veut / Half a Man (24’52’’) : Le dernier film fait par Stan Laurel pour Joe Rock. Il interprète un simplet monstrueusement maladroit et craintif, qui se retrouve seul naufragé sur un île avec une horde de femmes entreprenantes. Seulement intéressé par l’une d’entre elles, il prend peur et menace constamment de se jeter d’une falaise. Chose qu’il fera contre son gré, on s’en doute. Une petite déception.

Yes, Yes, Nanette (10’54’’) : Stan Laurel est de retour chez Hal Roach. Sur ce film, il n’assure que la direction mais l’événement marquant est qu’il y dirige Oliver Hardy pour la première fois (alors que ce dernier est quasiment inconnu). Nanette retourne au foyer avec son époux qu’elle présente à sa famille et qui fait l’unanimité contre lui. Son ancien amant (Oliver Hardy sans sa moustache) revient à son tour pour la séduire. Mais le mari s’énerve et, contre toute attente, donne une leçon à son imposant rival et gagne la confiance de la famille. Un petit film qui ne vaut que par la rencontre indirecte du futur duo.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Ronny Chester - le 8 décembre 2003