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Critique de film
Le film
Affiche du film

My Childhood

L'histoire

1945. Suite à l'internement en asile de sa mère, Jamie (Steven Archibald), huit ans, vient habiter chez sa grand-mère maternelle qui a déjà recueilli son demi-frère Tommy. Il se retrouve dans un village près d’Édimbourg, ceinturé de mines et marqué par la pauvreté. Jamie est seul, son unique ami étant Helmut, un soldat allemand capturé et employé comme ouvrier agricole...

Analyse et critique

Grâce à UFO, on peut aujourd'hui redécouvrir dans des conditions optimales la trilogie de films autobiographiques que Bill Douglas a réalisée entre 1972 et 1978. Trois films rares qui avaient bénéficié d'une ressortie dans les salles françaises en 1997 mais qui avaient été alors très peu vus, notamment car le premier volet n'existait qu'en 16mm, ce qui limitait considérablement sa diffusion en salle. Depuis, il y a eu une VHS puis en 2008 le DVD BFI, mais ces éditions sans sous-titres ne concernaient que les anglophones avertis, l'accent écossais très prononcé des protagonistes du film ne facilitant pas la compréhension des dialogues. Aujourd'hui, cette trilogie devient donc accessible à tous, dans de très belles copie numériques restaurées. L'occasion de redonner toute sa place à l'une des œuvres les plus importantes du cinéma anglais.

Jamie, que l'on verra grandir au fil des films, c'est Bill Douglas et cette trilogie qu'il tourne entre 1973 et 1978 est son histoire, de son enfance malheureuse à Newcraighall à son départ pour l'Égypte où il parviendra à se guérir et à se reconstruire. En 1968, après avoir été acteur pour le théâtre et la télévision, Douglas intègre la London Film School. Brillant diplômé, il est remarqué pour ses courts métrages et obtient à sa sortie de l'école une bourse de 4 500 livres du British Film Institute. C'est avec cet argent qu'il tourne My Childhood, premier volet de ce qui deviendra la trilogie Bill Douglas. (1)

Le cinéaste, qui est alors installé à Londres, retourne à Newcraighall, petite ville minière proche d’Édimbourg. Au sortir de la guerre, Newcraighall est en pleine déliquescence, ravagée par la pauvreté et marquée par une désindustrialisation qui va conduire à la fermeture de l'ensemble du secteur minier, seule source de travail pour les habitants de cette région défavorisée. C'est là que Douglas a grandi et c'est là qu'il plante sa caméra pour raconter son histoire et l'histoire de ces gens oubliés. L'intention de Douglas n'est pas de réaliser une œuvre sociale mais de raconter, en la poétisant, en la fictionnalisant, son histoire. Et pourtant, la trilogie est un fantastique témoignage de cette époque, un portrait cru mais aussi sensible des conditions de vie terribles de ces laissés-pour-compte d'une société capitaliste incapable d'accompagner ceux qui ont pourtant participé à son essor. Le pays a été durement frappé par la guerre, mais celle qui ravage Newcraighall est d'une autre nature : elle est économique et sociale. Rues désertes, magasins fermés, froid qui pénètre des maisons sans chauffage, famine... le portrait que dresse Douglas de Newcraighall est celui d'une ville ravagée par la guerre.


Si l'aspect social est très présent, si l'on est frappé par la vérité qui émane du film, celui-ci ne fonctionne cependant pas sur un mode documentaire : Bill Douglas en appelle à ses souvenirs et toute la trilogie fonctionne en épousant la subjectivité de sa mémoire.

Sa méthode d'écriture consiste à se laisser envahir par les images, le sensations du passé. Il fait revenir à lui les odeurs, les textures, les sons, les ambiances jusqu'à réussir à de nouveau habiter la scène qu'il souhaite recréer. Le style si particulier du film vient de ce travail d'imprégnation. Douglas ne cesse de s'attacher à des détails - des objets, une position de main, une tache sur la table, des rides sur un visage - et c'est cette présence continue qui confère à chaque scène du film une intensité incroyable, une intense sensation de vérité. C'est que ces scènes nous travaillent comme travaille la mémoire : en s'attachant à des détails, parfois secondaires, qui ancrent les faits passés dans un réel immuable.

La construction tout entière du film fonctionne sur ce qu'est la mémoire, avec ses trous, ses béances, ses imprécisions. Le film est ainsi très heurté, une scène venant en effacer très vite une autre, des ellipses constantes venant troubler nos repères temporels. L'agencement des séquences ne se fait pas selon un arc narratif fort mais plutôt par une juxtaposition de flashs mémoriels. Il n'y a pas forcément de progression dramatique, et des images parfois assez anodines viennent s'intercaler entre des moments profondément dramatiques. Car c'est ainsi que la mémoire fonctionne, en agrégeant des choses disparates, en donnant parfois plus d'importance à des détails insignifiants qu'à des moments vraiment dramatiques, voir traumatiques.

My Childhood est ainsi fragmenté, lacunaire, percé de zones d'ombres, si bien que l'on peine à comprendre parfois ce qui se passe. Ce sont les sensations plus que l'histoire qui sont  ici notre guide. Le film a ainsi l'aspect d'une matière brute que le cinéaste aurait refusé de peaufiner, de polir. Il préfère garder les aspérités car ce sont elles qui rendent le film plus vrai, plus vivant. Ce que recherche Douglas, c'est un « récit émotionnel » : « avec ce film il ne s’agit pas a priori de comprendre, mais de sentir. Et la particularité de ce film est que les deux ne peuvent pas, comme dans la structure classique, aller de pair. » Et l'émotion est effectivement le maître mot du film, sans que le cinéaste ne fléchisse sur la radicalité de sa construction et de sa mise en scène. Il ne se plie pas aux règles classiques de la narration, refuse le pathos, la sur-dramatisation... et pourtant, on est bel et bien émus aux larmes. Le film pourrait être froid, glacial, violent, austère et il n'est pourtant qu'un flux d'émotion ininterrompu...


La bouillonnement des souvenirs devient ainsi matière filmique. Mais pour que ces souvenirs s'incarnent, les plans, les images, les ambiances ne suffisaient pas : il fallait également à Douglas des corps et celui de Jamie en particulier. Ce dernier, il le trouve par hasard à un arrêt de bus. C'est là qu'il rencontre le jeune Stephen Archibald qui va s'imposer immédiatement comme son double filmique. C'est un garçon pauvre dont l'enfance ressemble beaucoup à celle du cinéaste et quelque chose de profond passe entre l'un et l'autre. Ils se reconnaissent et Douglas sait qu'il tient là son Jamie.

Douglas ne souhaite pas travailler avec des acteurs professionnels qu'il considère - à l'instar de Bresson, son cinéaste préféré - comme trop "chargés" d'images pour pouvoir interpréter les rôles du film. Il va même plus loin que le cinéaste français car il recherche non pas seulement des acteurs "vierges" mais aussi des gens qui « portent les difficultés de la vie sur leur visage. » Il sent qu'on ne peut pas mentir avec la pauvreté, le dénuement. Il faut l'avoir vécu pour pouvoir l'incarner. C'est le cas de Stephen Archibald qui - et c'est peu de le dire - crève littéralement l'écran. Une expression à prendre ici au premier degré, sa détresse, sa tristesse propre dépassant le film qui devient pour le coup un portrait du cinéaste mais également son portrait. Archibald va montrer l'étendue de son talent dans les deux films suivants où il se métamorphosera peu à peu en acteur. Il voudra par la suite poursuivre ce métier mais personne ne lui offrira de rôle, à l'exception de Douglas qui souhaitera le faire jouer dans Comrades. Mais le jeune homme sera alors en prison et le cinéaste n'obtiendra pas d'autorisation de sortie et ne pourra faire le film avec lui. Stephen Archibald disparaîtra en 1998, à trente-huit ans, brisé par la misère, la drogue et la violence. La fin d'Hughie Restorick, qui interprète Tommy, sera toute aussi dramatique, le jeune homme se suicidant à l'âge de 30 ans. Hugie, Douglas l'a également trouvé sous l'abri-bus, les deux gamins étant amis et séchant ensemble l'école, celle-là même où le cinéaste se rendait pour organiser un casting qu'il ne fera jamais, ayant trouvé miraculeusement ses deux interprètes idéaux. Le film sera pour eux une parenthèse enchantée mais le malheur a la dent dure, et si Douglas a réussi à s'en sortir - c'est ce que nous racontera la suite - ce ne sera pas le cas de ces deux gamins marqués trop tôt par une vie de misère.

Ce premier volet de la trilogie frappe par sa noirceur, par la façon dont s'y incarne la douleur de cet enfant perdu dans un monde sans pitié, violent, inhospitalier. On ressent de plein fouet le désarroi de Jamie qui, à huit ans, se voit volé son enfance. Le jeu, l'innocence, l'insouciance lui sont interdits et on partage son incompréhension d'être jeté dans un monde sans amour où l'on ne fait que survivre. Et pourtant, Bill Douglas parvient à éviter tout misérabilisme, tout pathos. Il n’embellit certes rien, mais ne force pas non plus le trait. Tout semble terriblement vrai, naturel, comme est naturelle cette pauvreté que les habitants de Newcraighall ont intégrée au plus profond de leur être. On sent qu'ils ont toujours vécu dans le dénuement, tout comme leurs ancêtres, et ils ne luttent pas contre ce qui est pour eux un état de fait. Pas de révolte, de syndicalisation, de grève, d'émeute... (2) Non, juste la résignation et le combat quotidien contre la faim, le froid, la lutte pour vivre une journée de plus. Douglas est finalement comme eux : il refuse le misérabilisme, ne prend pas le temps de s'apitoyer sur son sort, il avance. Cet élan vital, il parvient à nous le faire partager par la force et la précision de sa mise en scène, aussi brute que moderne, et qui va se déployer encore dans My Ain Folk.

(1) Pour plus de détails sur la vie de Bill Douglas, se reporter à la notice biographique.
(2) La tentative de syndicalisation de paysans pauvres au début du XIXème siècle sera le sujet de Comrades.

Poursuivre avec My Ain Folk

dans les salles

trilogie bill douglas

DISTRIBUTEUR : UFO DISTRIBUTION
DATE DE SORTIE : 31 juillet 2013

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Le Dossier de presse

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Par Olivier Bitoun - le 21 novembre 2013