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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mr Majestyk

L'histoire

Vince Majestyk, vétéran du Vietnam, est désormais retiré d’une vie tumultueuse et dirige son exploitation de pastèques. Alors qu’il a réuni une équipe de migrants mexicains pour sa seconde récolte après une première année décevante, il est provoqué à son retour sur sa propriété par une petite crapule locale, Bobby Kopas. Il finit par le faire fuir, mais à son retour en ville, Kopas porte plainte contre Majestyk. Emprisonné, ce dernier partage alors un convoi de détenus avec le tueur à gages Frank Renda, qui a prévu de s’évader en chemin. Refusant de s’associer au tueur, Majestyk va s’en faire un ennemi mortel.

Analyse et critique

Lorsque Richard Fleischer entame en octobre 1973 le tournage de Mr. Majestyk, il vient d’enchaîner une incroyable série de films depuis le début de la décennie, marquée entre autres par plusieurs œuvres devenues des classiques comme Soleil Vert, L’Etrangleur de Rillington Place ou Les Flics ne dorment pas la nuit. Pas étonnant alors qu’avec le recul, Mr. Majestyk soit un peu oublié lorsqu’il s’agit d’évoquer les réalisations importantes du cinéaste. Un flou entretenu également par le statut de sa tête d’affiche Charles Bronson. Si la carrière de l’acteur est déjà bien installée, il n’a pas encore atteint le statut de star du box-office qui sera le sien quelques semaines plus tard seulement avec la sortie du Justicier dans la ville, qui va asseoir définitivement sa position à Hollywood. Mr. Majestyk est alors souvent présenté comme une oeuvre mineure mais très réussie du cinéaste, qui est principalement le tremplin de Bronson vers les plus grands succès de sa carrière. Une lecture juste mais qui ne doit pas occulter les nombreuses qualités du film.


Dans son autobiographie Just tell me when to cry, Fleischer lui-même, dans une nouvelle preuve de sa grande modestie, évoque le film uniquement par le prisme de Charles Bronson sur la notoriété duquel le film est d'ailleurs produit. Et pour évoquer Mr Majestyk, il n’est que justice de commencer par sa star. Absolument cool avec sa casquette vissée sur la tête, Bronson traverse le film avec un charisme irrésistible, servi par quelques répliques mémorables. Il est aussi l’argument principal des nombreuses et brillantes scènes d’action qui ponctuent le film, son impressionnante aisance physique faisant merveille. Car avant tout, Mr. Majestyk est un pur film d’action et de divertissement durant lequel les scènes marquantes se succèdent. On retiendra notamment deux moments forts. En premier lieu la séquence de l’évasion où les hommes du tueur Frank Renda attaquent le bus pénitentiaire pour en faire évader leur chef, un moment qui surprend par un découpage extrêmement rythmé reflétant remarquablement le chaos de la scène tout en offrant au spectateur une lisibilité impeccable. Une preuve -  s’il en fallait une - de la précision technique de Richard Fleischer, qui triomphe avec aisance d’une scène qui aurait probablement été particulièrement confuse devant la caméra d’un autre réalisateur. L’autre moment frappant est évidemment la conclusion du film. Une longue séquence, pleine de rebondissements et marquée par une course poursuite qui fait la part belle au talent de Bronson et ne déparerait pas aux côtés des scènes les plus réputées du genre.  Ces exemples ne sont que deux moments parmi tant d’autres dans un film qui ne nous laisse que peu d’instant pour respirer devant une accumulation de séquences fortes, rythmées par l’entêtante musique de Charles Bernstein et toujours marquées par la maestria technique du réalisateur. Une forme qui met évidemment en valeur un Charles Bronson au sommet de son art, qui nous propose ici l’une de ses performances les plus accomplies.


Si Bronson est la star affirmée d’un film taillé à sa mesure, un autre acteur émerge de Mr. Majestyk, au point de laisser une impression encore peut-être encore plus marquante dans l’esprit du spectateur.  Il s’agit d’Al Lettieri, principalement connu pour être l’inoubliable interprète de Solozzo dans Le Parrain et second rôle souvent marquant de plusieurs productions importantes des années 70. En le voyant dans Mr. Majestyk, on ne peut être qu’encore plus attristé de son décès malheureusement prématuré qui nous a privé d’un acteur qui était probablement promis à une très belle carrière. Il donne une profondeur extraordinaire au personnage de Frank Renda, un tueur froid que l’on imagine d’un professionnalisme extrême et que l’on voit peu à peu sombrer dans la folie, obsédé par l’idée de tuer Vince Majestyk. On imagine aisément qu’il a dû particulièrement intéresser Richard Fleischer, qui a tout au long de sa carrière étudié des personnages à la psychologie trouble et leur rapport au meurtre. Le temps de présence à l’écran de Lettieri est d’ailleurs étonnamment important, comparable à celui de Bronson lui-même alors que ce dernier est l’argument commercial numéro un du film, preuve de l’importance que lui a accordée Fleischer. Une juste récompense pour la performance de Lettieri, qui semble inventer quelque chose à chaque scène au point de devenir absolument bouleversant lors de la conclusion du film. Lenda est l’une des démonstrations les plus évidentes de la logique de Hitchcock selon laquelle la réussite d’un film dépend de la qualité de son méchant. Un personnage mémorable et atypique, illustration de la qualité d’écriture d’Elmore Leonard qui a dressé pour Mr. Majestyk une belle galerie de personnages portée par une solide interprétation d’ensemble. On mentionnera entre autres Linda Cristal dans le rôle de Nancy Chavez, femme forte et meneuse d’un groupe de migrants mexicains dont la justesse est à souligner et dont la beauté est magnifiée par le cadre et la photographie de Richard H. Kline.

Si le suspense et l’action dominent dans Mr. Majestyk, Fleischer n’oublie pas de faire passer avec beaucoup de retenue une partie de sa vision de la société américaine, un peu comme il l’avait fait avec Les Inconnus dans la ville. C’est notable dès la première scène, alors que Vince Majestyk recrute l’équipe qui va récolter ses pastèques et rencontre un groupe de migrants mexicains dont il va prendre la défense et auxquels il va offrir un travail. Une situation peu commune dans la production hollywoodienne d’hier et d’aujourd’hui. Un point de vue social qui reste un sous-titre constant du film, lequel ne verse jamais dans la propagande mais véhicule constamment un discret message progressiste. Une jolie manière d’offrir de la profondeur à un film de divertissement, et aussi un beau contre-exemple à la lecture parfois simpliste que l’on peut avoir des rôles majeurs de Charles Bronson.

Mais dans un film moins ambitieux - ce qui ne veux surtout pas dire moins plaisant - que d’autres de ses réalisations, c’est évidemment la technique de Richard Fleischer qu’il convient de souligner avant tout. Mr. Majestyk est un régal visuel. Les paysages du Colorado étaient faits pour le réalisateur et il les exploite avec autant de brio qu’il mettait en scène ceux de la péninsule ibérique dans Les Compagnons de la dernière chance, un film qui par son ton et ses couleurs pourrait d'ailleurs faire office de cousin de Mr. Majestyk dans la filmographie du cinéaste. Certaines trouvailles sont également à souligner, la plus mémorable étant certainement celle où les hommes de main de Lenda tirent sur la récolte de pastèques de Majestyk pour nous offrir à l’écran une image particulièrement colorée et probablement totalement unique dans l’histoire du cinéma.


Cent minutes au cinéma semblent rarement passer aussi vite que devant Mr. Majestyk, grâce à une narration fluide qui fait l’impasse sur toute séquence explicative pour laisser parler la mise en scène brillante de son réalisateur. Grâce aussi à la qualité du script d’Elmore Leonard, qui se sera beaucoup plus souvent illustré comme écrivain mais révèle ici de remarquables qualités de scénariste, offrant une situation des plus originales : voir à l’écran un cultivateur de pastèques sympathisant avec des migrants mexicains pour s’opposer à un redoutable tueur, ce n’est définitivement pas courant, et c’est encore plus surprenant quand il est incarné par Charles Bronson. Le résultat est un superbe divertissement, que l’on peut considérer comme moins important que de nombreux films majeurs de son auteur, mais qu’il est néanmoins indispensable de découvrir.

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La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 7 octobre 2016