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Critique de film
Le film
Affiche du film

Morgan

(Morgan: A Suitable Case for Treatment)

L'histoire

Morgan est un artiste qui aime les fleurs, les animaux et les enfants. Mais à l'instar de son héros de la jungle, le gorille mâle, il devient formidable une fois en danger. Quand sa femme Leonie décide de le quitter pour un homme plus sensé, Morgan donne libre cours à ses fantasmes les plus fous : dans un costume de gorille, il tente de reconquérir l'affection de sa bien-aimée !

Analyse et critique

Troisième film de Karel Reisz, Morgan : A Suitable Case for Treatment voyait le réalisateur progressivement s'éloigner des préoccupations du Free Cinema tout en offrant un prolongement idéal à son Saturday Night and Sunday Morning (1960). Dans ce premier film fondateur du mouvement qu’il contribua à créer (avec ses amis Tony Richardson et Lindsay Anderson), les thématiques de Reisz se mêlaient parfaitement aux préoccupations du Free Cinéma. La rébellion et la folie douce de l’ouvrier incarné par Albert Finney s’opposaient à l’environnement prolétaire morne et à une Angleterre usée étouffant les aspirations de la jeunesse. On retrouve cette idée dans nombre des premiers films des autres œuvres du Free Cinema, que ce soit le héros mythomane de Billy le menteur (John Schlesinger, 1963) ou le jeune délinquant de La Solitude du coureur de fond (Tony Richardson, 1962). Cette problématique qui parla tant à tous ces jeunes réalisateurs leur fut en grande partie inspirée par les ouvrages de Alan Sillitoe, précurseur de ces préoccupations au sein des Angry Young Men dans les années 50, et anticipa en littérature ce mal-être et cet éveil de la jeunesse qui se prolongeraient au cinéma. Même lorsqu’il s’éloignera du cadre défini du Free Cinema, Karel Reisz creusera ce sillon tout au long d’une filmographie peuplée de personnages excentriques, obsessionnels et totalement en décalage avec leur environnement. Au Albert Finney de Saturday Night and sunday Morning succèderont donc une Vanessa Redgrave totalement absorbée par son art dans Isadora, James Caan accro au jeu dans Le Flambeur (1974) ou encore Nick Nolte meurtri par l'expérience du Vietnam dans Who'll Stop the Rain (1978). Dans Morgan Reisz offre sans doute sa figure la plus emblématique et réussie dans cette veine, et qui plus est obsédée par la plus noble des causes : l'amour.

Morgan Delt (David Warner), fraîchement divorcé de son épouse Leonie (Vanessa Redgrave), décide soudain de la reconquérir par tous les moyens. David Warner compose un personnage incroyablement extravagant et survolté, et la mise en scène de Reisz se met entièrement au service du grain de folie de son héros. La scène d'ouverture donne le ton avec un David Warner happé par l'observation d'un gorille. C'est un des motifs visuels récurrents du film qui s'amorce puisque Morgan, entièrement soumis à ses pulsions primaires, voit le monde comme une jungle où chaque rencontre, évènement ou comportement se voit interprété sous l'angle animalier. Cela se fait en usant du décalage sur les physiques - les personnages croisés se voient comparés à un bestiaire varié (une femme à la coiffure sophistiquée évoquant un paon, un agent de métro bien en chair un hippopotame) -, de l'association d'idées presque expérimentales (de nombreux stock-shots animaliers offrent un pendant sauvage aux séquences comme la traque finale croisée à un safari) et d’une facette référentielle avec la reprise de séquences entières de King Kong ou des Tarzan de Johnny Weissmuller. Ces différents aspects permettent à Reisz de totalement se réapproprier un matériau déjà mis en scène pour la télévision, le scénario de David Mercer ayant connu une première version diffusée sur la BBC en 1962.

Le film est ainsi parsemé de scènes d'une drôlerie et d'une inventivité irrésistibles, à travers les stratagèmes spectaculaires de Morgan pour attirer l'attention de sa belle et faire enrager son très snob nouveau prétendant joué par Robert Stephens. S'il se plaît à signaler le décalage constant de Morgan, Reisz est loin de le condamner, bien au contraire. C'est cette dinguerie qui le rend singulier, vivant et donc humain dans un environnement très aseptisé. C'est finalement plus un fossé social qu'un désamour qui sépare le couple, ce qu'on entrevoit d'abord dans les obsessions gauchistes de Morgan opposé à la superficialité de Leonie. Morgan est issu d'un milieu ouvrier et chaleureux (les scènes avec Iren Handl jouant la mère aimante et compréhensive dégagent une belle tendresse) quand Leonie est un pur produit de l'aristocratie. Elle entretient ainsi un rapport amour/haine avec Morgan puisque partageant la même nature extravertie, mais toujours rattrapée par la culpabilité due à son éducation. Vanessa Redgrave tour à tour espiègle ou tourmentée, légère ou glaciale, mérite bien tous ses efforts et exprime avec brio toutes ces nuances quand le regard aimant s'oppose à l'attitude récalcitrante et inversement. D'une beauté et d'un naturel qui irradie l'écran, elle délivre une magnifique prestation (récompensée d'un Oscar et d'un prix d'interprétation à Cannes) et l'alchimie amoureuse avec David Warner est palpable. La satire sociale importe ainsi autant que le vrai drame sentimental, tout en étant bien plus sous-jacente que dans Saturday Night and Sunday Morning, davantage marqué du sceau du Free Cinema.

Reisz exacerbe de plus en plus ses différents motifs jusqu'à rendre dramatique ce qui n'était jusque-là que comédie, les moyens de séduction forcée de Morgan dépassant les bornes tout comme les conséquences qu'il doit subir en retour. La dernière partie aligne donc les moments les plus étranges (dont une mémorable apparition de Morgan déguisé en gorille...) dans lesquels les fantasmes de Morgan virent au cauchemar surréaliste et psychanalytique, telle cette longue séquence symbolique nous préparant au sort du héros quand une camisole surgit de nulle part dans le décor d'une décharge. Lorsqu'un personnage si entreprenant et indestructible dans sa quête baisse les armes sans prévenir, on comprend que tout est fini, le joli épilogue montrant bien que, malgré les sentiments intacts, tout rapprochement semble désormais impossible. Morgan est un des films les plus brillants et aboutis de Karel Reisz.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 10 juin 2013