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Critique de film
Le film

Montagne rouge

(Red Mountain)

L'histoire

1865. La Guerre Civile touche à sa fin. En Californie, loin des combats, un essayeur d’or de Broken Bow est retrouvé abattu dans sa boutique. Les soupçons se reportent immédiatement sur un ex-soldat confédéré venu prospecter dans la région, Lane Waldron (Arthur Kennedy). Ce dernier est alors poursuivi par la milice de la ville ; il est rattrapé et sur le point d’être lynché malgré son innocence clamée haut et fort. Il est cependant sauvé in-extremis par un coup de feu qui coupe la corde. Il prend la fuite avec son mystérieux sauveteur, Brett Sherwood (Alan Ladd), jusqu’à son habitation de fortune bien abritée des regards. Dans cette cachette arrive également sa compagne, la belle Chris (Lizabeth Scott), qui semble tomber sous le charme du sauveur de son époux. Comprenant qu’il s’agit peut-être du véritable assassin recherché et la seule façon pour lui de se disculper étant de le livrer aux autorités, Lane tente de faire prisonnier Brett. Après quelques retournements de situations, chacun des deux étant tour à tour le captif de l’autre, ils trouvent refuge dans une grotte après que Lane s'est cassé la jambe suite à une nouvelle altercation. Brett espère retrouver bientôt les troupes du Général Quantrill (John Ireland) qu’il avait dans l’idée de rejoindre pour poursuivre le combat à leurs côtés. Comme par hasard, elle passe justement en contrebas de leur refuge dès le lendemain matin. Mais leurs ennuis sont loin d’être terminés puisque l’égorgeur sudiste (il ne lutte plus pour la cause mais pour sa propre gloire) a recruté des Indiens pour l’aider à mettre la région à feu et à sang...

Analyse et critique

"1865. In the South the Confederacy lay dying of the wounds Sherman slashed in the Valley of the Shenandoah. Northern armies pressed toward the inevitable victory.... But in the vast no-man's-land of the West, Fate still hung in the balance. There, a last incredibly daring dream of Southern victory was attempted in the Battle of Red Mountain, by General Quantrell, Confederate hero, fanatical soldier and master of guerilla warfare." On comprend donc dès le générique que l’unique western réalisé par William Dieterle mettra une fois encore en scène William Quantrill (appelé tour à tour Quantrill, Quantrell ou même Cantrell selon les films), ce mythomane sanguinaire et illuminé, ce personnage peu recommandable qui utilisa l'uniforme confédéré pour mieux pouvoir commettre ses méfaits sanglants, tuer et piller à son gré. Il avait déjà été personnifié par Walter Pidgeon dans un honnête western de Raoul Walsh daté du début des années 40, L'Escadron noir (Dark Command), avant qu’en 1950 Brian Donlevy reprenne le flambeau avec une belle prestance dans Kansas en feu (Kansas Raiders) de Ray Enright. Ici, c’est au tour du jeune John Ireland d’endosser la défroque de ce général sudiste dévoyé ; ce sera sans doute l’une de ses meilleures prestations, Wiliam Dieterle lui offrant à cette occasion l’un des ses rôles les plus importants juste après avoir été la tête d'affiche du premier film de Samuel Fuller, I Shot Jesse James, dans lequel il interprétait Bob Ford. Le comédien ne percera néanmoins jamais vraiment, se contentant ensuite la plupart du temps de seconds rôles. William Dieterle fait partie de ces réalisateurs allemands émigrés aux États-Unis à la montée du nazisme. Il fut surtout connu dans les années 30 pour ses biopics tournés pour la Warner (Pasteur, Zola, Juarez, Edison, Reuter...) avant de continuer une carrière prolifique en abordant de très nombreux genres. Le titre le plus réputé de sa filmographie sera Le Portrait de Jennie (Portrait of Jennie), un film fantastico-romantique avec Jennifer Jones et Joseph Cotten. Le western qui nous préoccupe ici se révèle tout à fait honorable mais ne marquera probablement pas les esprits ; il est donc tout à fait logique qu’il ne soit pas plus connu.


Il s’agissait alors du troisième western interprété par Alan Ladd qui, dans le genre, aura eu une filmographie tout à fait remarquable, ses choix s’étant le plus souvent portés sur des films de grande qualité, que ce soit dans l’écriture et la mise en scène. Avant 1951, il avait donc déjà été en tête d’affiche du superbe et méconnu Smith le taciturne (Whispering Smith) de Leslie Fenton ainsi que de l’intéressant Marqué au fer (Branded) de Rudolph Maté. Même si un très grand professionnalisme se retrouve à tous les niveaux de ce Red Mountain, ce dernier se révèle cependant moins satisfaisant que les deux films précédents malgré aussi la plus grande réputation de son réalisateur ; comme si William Dieterle avait un peu manqué de conviction et de motivation pour mettre en scène un western. Ce qui n’est pas improbable, la majorité des réalisateurs de cette époque des grands studios ayant l’obligation contractuelle de tourner des films de commande pour leurs producteurs, ce qui leur permettait ensuite d’avoir les coudées plus franches pour accoucher d’œuvres plus personnelles ou qui leur tenaient plus à cœur. Du coup, malgré des qualités évidentes, Red Mountain manque cependant de l’ampleur et de l'enthousiasme suffisants pour en faire autre chose qu’un western de série, certes honorable mais souvent privé de ce supplément d’âme qui fait souvent toute la différence. Car des qualités, le film n’en est effectivement pas privé ; rien déjà qu’en ce qui concerne la musique dynamique et très efficace de Franz Waxman, ou encore la photographie remarquable de Charles Lang qui utilise à la perfection ces superbes décors extérieurs de Gallup au Nouveau-Mexique qu’il ne me semble pas avoir vu ailleurs, cette Red Mountain du titre, des paysages rocailleux assez spectaculaires, non seulement rouge orangé assez vif mais également tout en impressionnante verticalité.


William Dieterle (suppléé par John Farrow le temps d’un "congé maladie") s’acquitte parfaitement bien des nombreuses séquences d’action qu’il doit mettre en scène et notamment les scènes de poursuite à cheval durant lesquelles il sait parfaitement bien tirer parti des paysages insolites à sa disposition, arrive souvent à trouver le bon angle pour sa caméra, à nous octroyer de très beaux cadrages et à assurer un rythme constamment soutenu. En revanche, il semble un peu moins à l’aise et beaucoup plus guindé pour les scènes dialoguées, particulièrement toutes celles se déroulant à l’intérieur de la grotte dans laquelle certains personnages seront confinés quasiment toute la durée du film ; faute à un scénario des duettistes George W. George et George F. Slavin, qui lui aussi manque un peu de conviction (le duo de scénaristes n'a d'ailleurs jamais vraiment brillé dans le domaine). Car si l’intrigue est bien construite et constamment intéressante, notamment dans tout ce qui touche à l’évolution de certains personnages principaux et à leurs relations basées tour à tour (ou à la fois) sur le ressentiment, la méfiance, l’attirance et la répulsion, l’écriture de ces mêmes protagonistes reste cependant bien trop sage et sans grandes surprises. Il faut dire aussi que si John Ireland se révèle inspiré, Lizabeth Scott se montre bien plus convaincante dans le film noir que dans le western (d’où une flagrante absence d’alchimie entre la comédienne et ses deux partenaires), et il ne fait aucun doute qu'Arthur Kennedy nous offrira des prestations bien plus mémorables. Quant à Alan Ladd, s’il est égal à lui-même, son personnage est bien moins touchant que les deux précédents malgré une certaine ambiguïté pas désagréable. Une faiblesse d'écriture de l'ensemble vraiment dommageable, d'autant qu'il y avait un potentiel de départ assez riche quant aux relations entre ces quatre protagonistes.


Jugez plutôt ! Lane (Arthur Kennedy) est un ex-Confédéré venant juste de trouver un filon d’or mais n'allant pas pouvoir en profiter car accusé à tort d’un meurtre pour le seul fait d’avoir été dans le camp ennemi ; une fois l'orage passé, il se rend compte que sa jeune et jolie épouse est attirée par celui qui l'a tiré de ce mauvais pas (non moins qu'un lynchage). Chris (Lizabeth Scott), sa compagne, a autrefois été témoin du massacre de sa famille par les troupes sudistes ; elle semble tiraillée entre son mari qui faisait autrefois partie de ce camp et l’étranger (confédéré lui aussi) ayant sauvé la vie de son époux. Brent (Alan Ladd), le mystérieux ange gardien a également vu sa famille massacrée, mais par les Nordistes ; il est bien décidé à garder Lane en vie malgré ses traîtrises et même s'il a essayé de le livrer à la justice, probablement - en plus de sa droiture - pour plaire à l’épouse de son prisonnier. Le changement qui s’opère chez Brent au fur et à mesure qu’il découvre avec désillusion le vrai visage de Quantrell (John Ireland) est lui aussi très intéressant. On est témoin des problèmes de conscience qui commencent à poindre en raison des actes de son mentor. Lorsqu’il se rend compte des véritables motivations du général qui a en fait des velléités "d’empereur" et a désormais engagé un combat meurtrier dans le seul but de sa gloriole personnelle et non pour la cause sudiste, le jeune officier ne peut que s’en éloigner voire même lutter contre ses exactions pour mettre à mal tous ses rêves de grandeur qui font couler bien trop de sang à son goût. A signaler pour les tenants de la réalité historique que les scénaristes ont pris de sacrés distances avec celel-ci ; en effet, il s’avèrerait par exemple totalement fantaisiste que le rebelle sudiste ait édifié des alliances avec les Indiens de la tribu des Ute pour l’aider à perpétrer des massacres contre des soldats nordistes et des civils.


Red Mountain est donc un western réalisé avec un très grand professionnalisme par des artisans et des artistes chevronnés, mais qui pêche un peu par insuffisance de relief, d’ampleur et de conviction, d’où une histoire finalement pas aussi captivante qu’on l'aurait souhaité. Il s'agit d'une honnête série B mais qui ne devrait plaire qu’aux seuls amateurs du genre. Ceux qui en revanche ne jurent que par l’action devraient être à la fête puisque le film est loin d’en être dépourvu : bagarres à poings nus, gunfights, escalades de rochers, batailles, chevauchées et autres séquences mouvementées sont bel et bien au rendez-vous. Un western qui ne laissera guère de traces, mais qui s’avère tout à fait honorable et plaisant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 10 août 2018