Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Mitraillette Kelly

(Machine-Gun Kelly)

L'histoire

Petit gangster teigneux, George Kelly, que son amie Florence Becker a surnommé "Machine Gun Kelly", a réussi un audacieux hold-up. Il confie le butin à Fandango, l’un de ses complices, mais il se rend compte rapidement que ce dernier a tenté au passage d’en escamoter une partie. De rage, Kelly le punit en lui faisant arracher un bras par un puma... Peu après, la bande prépare un nouveau braquage qui dégénère par la faute de la superstition maladive de George pour tout ce qui touche à la mort (en l’occurrence ici la vue d’un cercueil). Par sa violence et sa personnalité sans grande envergure, Kelly finit par se faire haïr par ses acolytes qui le rendent responsable des derniers coups foireux qu’il a organisés. Traité de lâche et de couard par son amie et sa "belle-mère", pour leur prouver qu’il n’en est rien, Kelly se débarrasse de tous les "déserteurs" de son équipe. Se rangeant des cambriolages et pour se remettre à flot, ce qui reste de la bande organise l'enlèvement de la fille d'un riche industriel. L'opération réussit et Kelly envoie Fandango récupérer la rançon demandée... Mal lui en prendra !

Analyse et critique

Inspiré de l'histoire authentique d'un bandit notoire des années 30 aux États-Unis, Mitraillette Kelly est le premier film de gangster de Roger Corman qui récidivera avec L’Affaire Al Capone dix ans plus tard et Bloody Mama en 1970. Suite à L’Ennemi public de Don Siegel l’année précédente, il s’agit aussi d'un revival du film de gangsters, genre qui avait tant marqué les esprits au début du cinéma parlant avec entres autres les justement célèbres Le Petit César (1930) de Mervyn LeRoy, L’Ennemi public (1931) de William Wellman ou Scarface (1932) de Howard Hawks. L’accession de Roosevelt à la présidence en 1933 avait sonné le glas du film de gangsters. D’une part, l’heure était à l’optimisme et les films de ce genre rappelaient trop la longue et difficile période de dépression qui avait précédé et qui était encore ancrée dans tous les esprits. Egalement, l’univers du crime avait évolué suite à l’abolition de la Prohibition et aux exploits d’un FBI totalement réorganisé sous la férule dictatoriale de J. Edgar Hoover. Mais aussi, le nouveau banditisme, maintenant calqué sur le monde des affaires, avait tout intérêt à se faire oublier et à faire pression sur Hollywood afin que l’attention du public soit détournée de son business. Sur les écrans, les représentants de la loi allaient donc prendre le pas sur les gangsters avec, comme modèle, le film de William Keighley de 1935, Les Hors-la-loi ("G" Men). A chaque fin de décennie, Raoul Walsh allait rendre un hommage furtif au film de gangsters avec The Roaring Twenties en 1939, film remarquablement divertissant qui fait implicitement l’apologie du New Deal, et surtout L’Enfer est à lui en 1949 avec un James Cagney hallucinant. Mais ces films, malgré leurs énormes qualités, n’allaient pas susciter assez d’engouement pour que d’autres réalisateurs s’y engouffrent à leur tour. Ce sont de petites compagnies indépendantes qui, dans les années 50, feront renaître ce genre tombé dans l’oubli avec surtout des biographies, celles de Baby Face Nelson, Dillinger, Bonnie Parker, Al Capone ou "Machine Gun Kelly".

Dans une interview donnée à Positif en 1964 et reprise dans le livre Amis américains de Bertrand Tavernier, Roger Corman expliquait ce qu’il avait voulu faire avec son premier film de gangsters : "J’ai essayé de montrer dans ce film que ‘Machine Gun Kelly’ était dans le fond un pauvre type. La plupart des films de gangsters présentent ceux-ci comme des héros dans le genre Robin des Bois, mais ils n’étaient pas comme ça. Peut-être que certains ont essayé de se rebeller contre certaines pressions sociales, mais pas beaucoup. La plupart n’étaient que de pauvres types et je voulais montrer que Kelly n’était qu’un lâche et un donneur, sans donner de raisons sociales ou psychanalytiques à sa lâcheté. C’était un type pourri, une sorte d’Hitler..." L’explication de Corman a le mérite d’être claire et franche : point de psychologie mais la description réaliste du vide et de l’inutilité engendrés par le vie de ce gangster à la personnalité assez terne malgré la violence de son tempérament (« Si quelque chose me déplaît, je ne demanderai pas d’explications, j’agirai. ») Kelly est un homme soumis à sa maîtresse, haï par sa "belle-mère" qui est sans cesse en train de le rabaisser. Il souffre d’un complexe d’infériorité qui le fait devenir "courageux" et méchant lorsqu’on le traite de lâche, allant prouver le contraire en massacrant purement et simplement ses anciens complices "dissidents". Il souffre également d’une superstition maladive à l’encontre de tout ce qui touche à la mort : discussions macabres, objets mortuaires, enterrements... Dans la peau de cet anti-héros non conventionnel, Charles Bronson avec son visage buriné, dans son premier rôle en tête d’affiche, nous révèle un fort charisme sans avoir recours au cabotinage et nous offre un gangster d’anthologie. Il domine un casting qui, par ailleurs, ne brille pas par la subtilité. On comprend maintenant pourquoi John Sturges et Robert Aldrich l’ont choisi pour tenir une place dans leurs films "d’action de groupe" des sixties (Les Sept mercenaires, La Grande évasion, Les Douze salopards).

Il serait pourtant injuste de comparer le film de Corman à ces glorieux aînés précités des années 30 sachant que le cinéaste ne disposait que de budgets ridicules et d'un temps de tournage plus que limité (deux semaines pour Mitraillette Kelly, ce qui est encore beaucoup comparé aux deux jours pour La Petite boutique des horreurs !). Pour cette même raison, on a beau dire que les dialogues sont percutants et que la mise en scène et le style sont nerveux, ce n’est sans aucune mesure avec la sécheresse et la nervosité d’un Don Siegel pour L’Ennemi public ou le baroque furieux d’un Joseph H. Lewis pour Gun Crazy. Corman a beau être inventif et imaginatif, à cause de la modicité des moyens mis à sa disposition sa mise en scène demeure dans l'ensemble souvent assez plate. On trouve pourtant des scènes restées célèbres par leur stylisation, comme ce fabuleux prologue du hold-up entièrement muet - rythmé par une musique énergique de Gerald Fried - que Corman, gêné par un manque de décors, décide de tourner en filmant uniquement les ombres sur le plancher de la banque. La scène finale est aussi d’une violence assez inouïe pour l’époque, et la réplique de Kelly se rendant à la police d’une lucidité assez étonnante et à contre-courant de toutes les fins faussement "romantiques" des autres films du genre : « Pourquoi mourir bêtement ? Pour montrer qu’on a des tripes ? S’il faut pour ça les répandre par terre, ça ne vaut pas le coup ! »

Là aussi où le film se montre peu ordinaire, c’est dans la description des relations entre Kelly et sa maîtresse et entre Kelly et sa tenancière de "belle-mère", une espèce de Ma Dalton qui n’arrête pas de l’amoindrir, le trouvant indigne de sa fille car ne faisant pas assez la "une" des journaux à son goût. Ces figures personnifiant le mal absolu, rien ne viendra les justifier ou nous les rendre sympathiques : aucune référence à caractère sociale, économique, psychanalytique ou psychologique. Tout ce qui ne touche pas directement aux personnages ou à l’intrigue est gommé à l’extrême : le contexte historique est réduit à une portion congrue et tous les personnages, ciselés à l’extrême, gravitent de stations-service perdues en hôtels délabrés, de bars d’une sobriété irréelle en extérieurs dénudés. Le tout porté par une musique jazzy utilisant avec efficacité la stridence des cuivres et une photographie très froide du chef opérateur "cormanien" habituel, Floyd Crosby. Bref, même si le film n’atteint jamais les sommets, nous avons quand même affaire à une série B bien sympathique du plus rapide et prolifique réalisateur américain : sa première œuvre fut Cinq fusils à l’Ouest, réalisé en 1955 et trois ans seulement après, Mitraillette Kelly est déjà son... dix-neuvième long métrage !!

Profitons de l’avantage qu’aura peut être ce texte de tomber sous les yeux d’éventuels éditeurs pour implorer une sortie d’un autre film de gangsters, chef d’œuvre méconnu celui-ci, Pas d’orchidées pour Miss Blandish (The Grissom Gang, 1971) de Robert Aldrich dont la musique a été écrite par le même Gérald Fried et qui traite lui aussi de l’enlèvement d’une riche héritière, ayant donc quand même un rapport, lointain certes, avec le film de Roger Corman.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 17 juillet 2003