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Critique de film
Le film
Affiche du film

Miss Pinkerton

L'histoire

L’infirmière Adams (Joan Blondell) est appelée au service d’une vieille femme dont le neveu vient de se suicider. Elle est chargée par l’inspecteur de police soupçonnant un meurtre (George Brent) d’espionner les faits et gestes des habitants de l’étrange demeure dans laquelle vit cette famille déchue.

Analyse et critique

Si Miss Pinkerton ne restera pas dans les annales de l’ère pré-Code à Hollywood (entre 1929 et 1934), il permet néanmoins d’apprécier une saveur très particulière. En effet, ce film de gamme moyenne tourné rapidement vaut pour son personnage féminin typique de l’écurie Warner Bros., le genre d’héroïne indépendante et libérée comme les affectionnait le studio. L’occasion par ailleurs d’y apprécier la fabuleuse Joan Blondell, l’une des vedettes féminines les plus cotées de la Warner à cette époque, du moins jusqu’à l’instauration rigide du Code Hays. Moins élégante que Kay Francis, moins innocente que Mary Astor, moins juvénile que Marian Marsh, et surtout moins lumineuse que l’immense Barbara Stanwyck, Joan Blondell parait à l’inverse bien plus turbulente et résolue que ses comparses. Davantage proche dans le style d’une Glenda Farrell, le verbe haut et acide, Blondell est cependant plus belle et plus touchante, plus douce et plus charmante. En cela se situe donc une part de la magie déployée par cette actrice, à savoir une sympathie de tous les instants sous couvert d’un physique généreux recelant un tempérament de feu. Sans oublier un désarmant regard de biche stupéfaite à se damner ! Joan Blondell, c’est la femme Warner forte, autonome, à fond dans l’action, toujours prête à bombarder un quidam d’une bonne réplique percutante grâce à son débit de voix mitraillette et à son timbre adorable. Il est impossible de lui en vouloir ne serait-ce qu’une seule seconde, d’autant que son jeu, frais et dynamique, ne gâche jamais le moindre film auquel elle participe. Au contraire, et la Warner l’a bien compris, elle est un atout sur lequel peuvent à l’occasion se reposer des récits en crise d’imagination et des réalisations plus ternes. Héroïne d’un nombre considérable de productions pré-Code Warner fougueuses, socialement ancrées dans leur temps, Blondell apporte indéfiniment sa vivacité et son enthousiasme communicatif. Elle fut l’une des meilleures partenaires de James Cagney, notamment dans le très sympathique Blonde Crazy de Roy Del Ruth ou encore dans l’exceptionnel Footlight Parade de Lloyd Bacon. Elle fut capable d’intégrer des comédies musicales parmi les plus ahurissantes de leur temps, telles que Gold Diggers of 1933 de Mervyn LeRoy ou Dames de Ray Enright, et créa un duo populaire avec la tonique Glenda Farrell sur un total de neuf films, d’inoffensives quoique très canailles comédies de mœurs pour la plupart. Chose remarquable, elle ne se laissa pas facilement voler la vedette par Barbara Stanwyck dans Night Nurse de William A. Wellman, en dépit d’un temps de présence à l’écran bien moindre. Enfin, elle fut également capable de porter plusieurs films sur ses seules épaules, à l’exemple de Blondie Johnson de Ray Enright, inégal mais très intéressant film social engagé sur des registres féministes typiques des studios Warner en ce début des années 1930.

Joan Blondell sera donc une fois de plus la vedette de ce Miss Pinkerton tout à fait oubliable. Il convient de préciser que si le film s’avère pré-Code en diable, avec ses déshabillés suggestifs et son personnage féminin émancipé, il se rapproche tout autant sinon plus du crime drama, genre alors très en vogue à Hollywood et mettant en scène un meurtre et des assassins potentiels autour d’une seule question : whodunit ? (Qui a tué ?). Miss Pinkerton rassemble tous les éléments du genre, de la maison isolée en rase campagne (et dans laquelle se déroule l’entièreté de l’action) aux faux coupables et vrais innocents se mêlant dans un joyeux imbroglio notoire. Miss Pinkerton joue en outre notablement sur le registre de l’extrême légèreté, bien plus que d’ordinaire. De solides crime dramas comme The Canary Murder Case de Malcolm St. Clair, The Kennel Murder Case de Michael Curtiz, The Death Kiss d’Edwin L. Marin, ou bien encore les Charlie Chan très populaires du moment, recentrent leurs efforts sur l’intrigue et le crime, le tout soutenu d’une touche d’humour. Ce n’est pas le cas de cette comédie policière qui semble reléguer l’intrigue et ses rebondissements au second plan. En effet, l’ensemble relève du parfait véhicule commercial pour Joan Blondell, privilégiant l’humour et la dérision, la mettant dans les griffes d’agresseurs masqués agissant dans l’obscurité, et préférant le fatras homérique comme seule méthode discursive : tout le monde espionne tout le monde, les crimes s’égrainent, les motifs du coupable semblent bien fades et l’enquête policière totalement naïve... En deux mots, tout cela n’a d’intérêt que pour la volubilité de l’héroïne et l’enchainement des séquences de bravoure.

Si George Brent joue efficacement son rôle habituel de type bourru dénué de classe (ici en policier pour une fois), c’est bien Joan Blondell qui met évidemment le feu à l’entreprise, se donnant la possibilité de rejouer son numéro bien rôdé à satiété. Elle se montre une fois de plus très à l’aise dans le rôle d’une infirmière, ici enquêtrice de circonstance. Sorte de James Cagney au féminin (dans des proportions raisonnables), elle remue les hanches comme jamais, ouvre ses grands yeux pétillants sur chaque découverte un brin étonnante, court dans tous les sens, et impose au récit son rythme et sa base dramatique fort discrète. Heureusement le réalisateur stakhanoviste Lloyd Bacon, véritable homme à tout faire situé dans la bonne moyenne des solides techniciens de la Warner, se révèle plutôt en forme. Si le cadre est souvent banal concernant les scènes de dialogues, il relève le niveau lors de scènes plus oppressantes. Jeux d’ombres et de lumières donnant le la dès l’ouverture du film, noirs profonds et choix de mise en scène lorgnant vers le cinéma d’épouvante alors lui-même très en vogue à Hollywood durant la première moitié des années 1930, rien ne manque... Pas même le maître d’hôtel à la démarche outrée monstrueuse qui rappellera sans doute certains monstres pittoresques de la Universal. A noter que l’on retrouvera amplifiée cette figure du maître d’hôtel macabre dans le superbe Docteur X de Michael Curtiz (toujours produit par la Warner), sorti à peine quelques semaines après Miss Pinkerton.

Inutile de chercher le grand film pré-Code en ces lieux, ni le divertissement haut de gamme. Il ne subsiste qu’un film gentil, prompt à résoudre l’intrigue en un minimum de tergiversations, et relativement bien réalisé en dépit d’une verve imaginative à vitesse variable. Il reste à admirer Joan Blondell et sa galerie de mimiques, avec son sourire adorable et son énergie débordante. Et bon sang... Quels yeux !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Julien Léonard - le 16 septembre 2013