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Critique de film
Le film
Affiche du film

Milliardaire pour un jour

(Pocketful of Miracles)

L'histoire

Apple Annie (Bette Davis) est une vieille dame sans le sou qui survit en vendant ses quelques pommes sur Broadway. Honteuse, elle cache sa condition à sa fille Louise, qui vit depuis longtemps en Espagne, lui faisant croire qu'elle appartient à la haute société. Lorsque cette dernière lui annonce qu'elle se rend à New York avec son fiancé et le père de celui-ci, un comte espagnol qui veut rencontrer sa belle-famille avant d'accepter leur mariage, Annie est au désespoir. Dave "The Dude" Conway (Glenn Ford), chef d'un gang de malfrats qui voit en Annie son "porte-bonheur", décide de l'aider en la faisant passer l'espace d'une semaine pour une grande dame de la bourgeoisie. Mafieux, arnaqueurs et clochards se mettent en quatre pour que l'illusion soit parfaite...

Analyse et critique

En 1951, Liberty Films - la société de production que Frank Capra avait fondée en 1945 avec William Wyler, George Stevens et Garson Kanin et qui devait leur assurer leur indépendance artistique et financière - est dissoute par la Paramount qui l'avait rachetée en 1947 suite à l'échec commercial de La Vie est belle. L'Enjeu (State of Union) est ainsi le dernier film que Capra parvient à tourner selon ses désirs. Lui, qui a toujours clamé qu' « un film c'est un homme », se voit désormais contraint de continuellement négocier avec les studios ses choix artistiques et d'accepter nombre de compromis pour pouvoir continuer à tourner.

Après avoir été l'un des plus grands géants d'Hollywood, Frank Capra doit désormais boucler ses films dans des conditions indignes de son passé de réalisateur, n'ayant plus accès qu'à des budgets réduits et à des durées de tournage drastiques. Il ne parvient plus à imposer ses propres projets et doit se lancer dans des œuvres impersonnelles et même des remakes de ses propres films comme Riding High, où il refait en mode très mineur son fantastique Broadway Bill, et ce Pocketful of Miracles relecture moderne de Lady for a Day qu'il avait réalisé en 1933.

La mise en scène de Capra n'a plus l'évidence, la vivacité d'autrefois. Alors que l'original se déroulait sur un rythme effréné - avec ce génie des répliques, cette concision du montage propre au réalisateur de New York Miami - cette nouvelle version se révèle parfois un brin laborieuse et répétitive, les quarante minutes supplémentaires par rapport au film de 1933 tenant avant tout à un ralentissement du rythme et non à des ajouts dramatiques.

Mais c'est ce rythme presque languissant qui finit par conférer au film son atmosphère si particulière - oserons-nous dire mortifère ? - qui lui permet de se distinguer vraiment de son modèle. C'est finalement moins la comédie qui nous emporte que la mélancolie qui se dégage du film. Comparer ces deux versions éloignées de vingt-huit années permet de constater que Capra n'est plus en phase avec la société qui lui est contemporaine. On a souvent perçu chez lui un côté amer pointant derrière ses contes qui ont enchanté les spectateurs du monde entier, une forme de désillusion, voire de cynisme qu'il parvenait à étouffer mais qui restaient malgré tout sensibles pour peu que l'on regarde derrière les apparences. Dans Pocketful of Miracles, ce côté "sombre" ressort tout particulièrement et prend au final le pas sur la comédie et la romance.

L'autre intérêt de ce remake, c'est la prestation de Bette Davis qui nous offre une inoubliable Apple Annie, si inoubliable qu'elle se trouve mise en avant par Capra alors qu'elle était reléguée en arrière-plan dans l'original. On se régalera également de la fantastique galerie de seconds rôles (dont Peter Falk, dans un de ses premiers rôles pour le grand écran), vraies gueules de cinéma servies par des dialogues aussi exquis que spirituels. Capra aura moins de chance avec sa star masculine, le cinéaste rentrant en conflit avec Glenn Ford et finissant par céder aux exigences de la star. Amer, il résumera ainsi les choses dans son autobiographie (Hollywood Story) : « J'avais choisi l'argent contre les principes, j'avais vendu mon intégrité artistique... J'avais perdu mon courage. » Quelle ironie du sort que de voir Frank Capra se retrouver à la place de ses héros de Platinum Blonde ou Broadway Bill... et c'est peut-être parce qu'il s'en rendra compte qu'il préfèrera quitter le monde du cinéma plutôt que de continuer à jouer un jeu dont il sait qu'il ne maîtrise plus les règles. Milliardaire d'un jour vient donc clore de manière un peu triste, amère, la carrière de l'un des prodiges d'Hollywood.

DANS LES SALLES

Film réédité par Flash Pictures

Date de sortie : 2 mai 2012

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La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 2 mai 2012