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Critique de film
Le film
Affiche du film

Meurtre sans faire-part

(Portrait in Black)

L'histoire

Sheila (Lana Turner) est la femme d’un homme riche et malade (Lloyd Nolan), qui s’est constitué une fortune considérable. Fatiguée de partager sa vie avec cet homme cruel, elle propose à David (Anthony Quinn), son amant mais aussi le médecin de son mari, un plan machiavélique : tuer son époux et profiter ensemble de sa richesse. Le plan marche à merveille jusqu’au jour où Sheila reçoit la lettre d’un inconnu la félicitant de la perfection de son crime. Un terrible chantage débute alors...

Analyse et critique


Le succès du mélodrame Peyton Place (1957), en plus de relancer totalement la carrière de Lana Turner, contribua à refaçonner son personnage cinématographique aux yeux du grand public. Capable d‘interprétations plus complexes comme dans Les Ensorcelés de Vincente Minnelli (1953) ou Le Retour de Mervyn LeRoy (1948), Lana Turner reste pour beaucoup dans la mémoire collective comme la vamp blonde apparaissant en petit short blanc dans Le Facteur sonne toujours deux fois (1946) ou la vénéneuse Milady qu'elle incarna dans Les Trois Mousquetaires (1948). Le triomphe de Mirage de la vie de Douglas Sirk (1959) confirmera cette nouvelle image de Lana Turner en mère de famille au sex-appeal plus retenu, mature et dépassée par les évènements. Portrait in Black est un film schizophrène et fascinant dans le sens où il croise les influences des deux "carrières" de l'actrice avec son intrigue de film noir façon Le Facteur sonne toujours deux fois (pitch identique : une femme et son amant assassinent un époux gênant et en subissent les conséquences entre suspicion et culpabilité) et une pure imagerie issue des grands mélos des années 50 avec Ross Hunter à la production, Russell Metty à la photo et Frank Skinner à la partition. Le modeste Michael Gordon n'est pas Douglas Sirk mais il signe une mise en scène élégante et plutôt inspirée.


Le croisement entre le mélo et le film noir confère un certain embourgeoisement à ce dernier, délaissant une ambiance urbaine quasi absente (quelques courts moments sur les docks ou dans les rues de San Francisco guère exploités) pour se concentrer sur les tourments de personnages nantis. Sheila est mariée depuis des années à un vieil armateur tyrannique (Lloyd Nolan) mais mourant. Tombée amoureuse de Rivera (Anthony Quinn), le médecin de son époux, elle vit dans l'attente de son trépas pour enfin vivre avec l'homme qu'elle aime. Le départ prévu de Rivera à Zurich pour un nouveau poste va les pousser à franchir le pas pour ne pas être séparés : tuer le mari par un empoisonnement indétectable. Peu après les funérailles pourtant, un mystérieux maître-chanteur va les empêcher d'enfin savourer leur bonheur. L'intrigue criminelle s'orne de l'absence d'ambiguïté et du côté plus direct du mélo dans la dramatisation. En une unique scène, Lloyd Nolan interprète ainsi un terrifiant époux jaloux et autoritaire bien que cloué sur son lit. A l'inverse, Lana Turner et Anthony Quinn font figure d'amants maudits soumis à l'influence du mari, et la justification du crime est acceptée tout naturellement par le spectateur qui ne voit pas le couple adultère et meurtrier comme coupables mais victimes. Il en sera de même tout le long du film alors que tous les deux s'enfoncent plus loin dans les ténèbres pour masquer leur méfait initial, toujours plus oppressés par le destin que réellement maléfiques malgré les meurtres et les manœuvres utilisés pour se débarrasser d'un cadavre gênant.


Chacun des crimes est amené de remarquable façon dans ce sens : un simple et terrible échange de regard ainsi que la musique pesante de Frank Skinner annoncent l'assassinat de l'époux gênant alors qu'une déchirante scène d'adieu a précédé, tout comme le rebondissement final arrive après une surprenante révélation. La galerie de seconds rôles accentue la paranoïa ambiante, entre le chauffeur accablé de dettes de jeu, la gouvernante asiatique taiseuse ou l'ancien associé du mari entreprenant avec la veuve. Sur la forme, la photo de Russell Metty fait preuve de sa flamboyance coutumière mais les teintes chaleureuses du mélo des fifties s'orne d'élans sombres et baroques exprimant la culpabilité de notre couple. On pense à la scène où Lana Turner se réveille d'un cauchemar et que toutes les ombres de la pièce semblent s'abattre sur elle, aux éclairages rougeoyants sur le visage d'Anthony Quinn caché dans sa voiture, et aussi aux amants de plus en plus plongés dans la pénombre durant leurs échanges au fil de l'avancée du film.


Le suspense fonctionne très efficacement et malgré quelques péripéties tarabiscotées (Lana Turner apprenant à conduire en cinq minutes et traversant tant bien que mal San Francisco et des autoroutes surplombant des falaises), cette dramatisation exacerbée est captivante, introduisant le rocambolesque du mélo dans la sécheresse du film noir. Le mélange prend moins bien quand on quitte Lana Turner et Anthony Quinn pour l'intrigue secondaire, plus soap et peu passionnante, concernant l'histoire d'amour entre Sandra Dee et John Saxon. Ces petits défauts sont largement rattrapés par une mémorable révélation finale, qui rend pathétiques autant que poignants tous les écarts franchis par les amants et teinte d'une ambiguïté plus prononcée le personnage d'une Lana Turner remarquable, Antony Quinn n'étant pas en reste (sa réaction quand il comprend le sens de ses crimes...). Une belle réussite.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 2 juillet 2018