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Critique de film
Le film
Affiche du film

Merlusse

L'histoire

A Noël, une vingtaine d’élèves du lycée Thiers de Marseille ne peuvent rentrer dans leurs familles et doivent passer les fêtes à l'internat. Ils sont sous la surveillance de Blanchard (Henri Poupon), pion qui terrifie les élèves par son allure d’ours, son œil aveugle et son visage sévère orné d'une barbe clairsemée. Mais ce soir de Noël, ils vont apprendre à connaître vraiment celui qu'ils surnomment Merlusse, rapport à l'odeur de poisson qu'il répandrait autour de lui...

Analyse et critique

Après les succès publics de Marius, Fanny et Angèle, Marcel Pagnol termine d’asseoir son indépendance en s’associant avec la société Cinétirage. C’est ainsi qu’en plus de posséder des studios, il dispose dorénavant de ses propres laboratoires de développement. Le cinéaste est parvenu à mettre sur pied le rêve de tous ses confrères en créant une société complètement autonome qui lui permet de maîtriser la fabrication de ses films de la production au tirage des copies, du tournage à la distribution. L’entreprise demeure familiale et tout le monde met la main à la patte, sur les tournages, dans les cuisines, en participant à la fabrication des décors ou en réparant un toit endommagé. Pagnol, entouré de collaborateurs qui sont autant d’amis fidèles, va ainsi réaliser jusqu’en 1940 trois films inoubliables auxquels le public réserve un accueil triomphal : La Femme du boulanger, César et Le Schpountz.

Mais avant de signer ces oeuvres phares de sa filmographie, le cinéaste tourne deux petits films. C’est que Pagnol a une marotte : le son. S’il vient au cinéma avec Marius, c’est qu’il est persuadé que les nouvelles technologies sonores vont bouleverser le septième art. Il se met à dos une profession qui ne voit dans le sonore au mieux qu’une mode passagère, au pire la mort du cinéma. Si certains sont sincères, nombre d’acteurs, de techniciens et de réalisateurs se sentent en fait menacés par cette technologie qu’ils ne maîtrisent pas et qui les oblige à tout réapprendre… ou pire : qui les pousse vers la sortie. Suite à l’immense succès remporté par Marius, Pagnol sort vainqueur de sa bataille contre l’industrie, mais il continue à se passionner pour tout ce qui touche au domaine de la prise de son.

Ce passionné de technique (1) ne cesse en effet de rechercher des solutions afin d’améliorer la sensibilité et la sélectivité des appareils et surtout de s’affranchir de la lourdeur d’un matériel qui cloue les équipes au sol alors que lui veut se promener au côté de ses personnages dans la rue ou la campagne. Et c’est ce qui l’amène en 1935 à tourner coup sur coup Merlusse et Cigalon.

Merlusse, adaptation libre de L’Infâme Turc qu’il publia dans Fortunio, est le premier scénario que Pagnol écrit directement pour le cinéma. Il conçoit cette petite fable avant tout pour tester un nouvel appareil de prise de son. Le film est tourné en quinze jours, juste avant Cigalon, autre « historiette sans ambition » selon ses propres mots. Comme dans Angèle, Pagnol décide de tourner son film en décor réel. L’équipe s’installe donc au lycée Thiers de Marseille, celui-là même où le cinéaste a fait ses études, profitant du court laps de temps des vacances de Noël pour mettre le film en boîte. Il choisit de vrais lycéens pour interpréter les enfants du film et ce qui frappe dans Merlusse c’est la vérité qui émane de ce lieu. Pagnol parvient véritablement à faire vivre le lycée : on sent l’atmosphère de la cour de récré ou de la classe, la camaraderie, la hiérarchie, on sent l’histoire de ces murs, les odeurs de l’internat.

Malheureusement, l’appareil d’enregistrement se révèle défaillant mais Pagnol décide de tourner tout de même le film jusqu’au bout, porté par l’ardeur de l’équipe et la joie des acteurs. Ravi du résultat, il n’en est que plus déçu lorsqu’il découvre que le matériel sonore est véritablement inaudible. Il décide donc de retourner une grande partie du film afin que celui-ci puisse tout de même voir le jour. Cigalon, qui est également concerné par la défaillance du matériel, est quant à lui intégralement refait par Pagnol.

On retrouve dans Merlusse les habitués de la famille Pagnol : André Robert (caméraman qui fait ici l’acteur), Toinon, Rellys, ainsi qu’un petit nouveau, Jean Castagnier, qui deviendra Castan et ne quittera plus la bande. Willy le chef opérateur est par contre indisponible et c’est Assouad qui le remplace. Vincent Scotto est lui de la partie et il signe une belle partition qui appuie  délicatement l’humanisme de la fable. Si Pagnol réengage de l’argent sur le film - désormais voué à être déficitaire - afin qu’il soit visible, c’est pour tous ces collaborateurs fidèles et pour ces enfants qui se sont épanouis sur le tournage. Mais c’est aussi parce que  Pagnol est ébloui par l’interprétation d’Henry Poupon. Il l’a déjà dirigé dans Jofroi et Angèle mais il est sidéré par la prestation exceptionnelle que l’acteur lui offre ici.

Merlusse démarre comme une fable assez sombre sur la laideur, sur la perception que l’on a de l’autre, sur la peur stupide de ce qui est différent. Il y a d’un côté les préjugés des enfants à l’encontre de ce surveillant à l’allure suspecte qu’ils surnomment Merlusse, de l’autre ceux des enseignants qui voient dans ces élèves indisciplinés et sans famille de la graine de racaille. Personne dans l’établissement n’est capable de voir l’autre. Chacun est dans son rôle, à faire des bêtises ou à sévir. Mais comme c'est aussi un conte de Noël, tout ce que le récit peut avoir de cruel s'évapore tandis que les enfants acceptent de voir qui est réellement Merlusse.

Il est tout comme eux un mal aimé qui trouve du réconfort en se consacrant corps et âme à sa mission d’enseignant. Il est attentionné, prévoyant, mais il contient tout élan de tendresse et l'on devine que son physique ingrat lui a valut par le passé beaucoup de souffrance et de brimade. Tout son coeur va ainsi à ces enfants qui sont eux aussi écartés du monde, confinés dans l’enceinte de l’établissement alors que dehors les familles célèbrent Noël.

Reposant sur une intrigue squelettique, Merlusse est un film très simple, très sobre, tout en retenue. Pagnol ne joue pas sur les grands sentiments, les grands drames si bien que le « Qui dois-je remercier ? » de Poupon lorsqu’il reçoit les cadeaux des enfants nous frappe en plein cœur. C’est ainsi que ce petit film, qui ne joue ni sur le folklore, ni sur le brio des dialogues, nous bouleverse tout autant que les grandes œuvres du cinéaste.


(1) Il aura plus tard le même engouement pour la couleur, confère son expérience avec le Rouxcolor sur La Belle meunière en 1948.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Olivier Bitoun - le 10 novembre 2010