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Critique de film
Le film
Affiche du film

Marie-Octobre

L'histoire

Le film raconte les retrouvailles d'un groupe d'ex-résistants, dont certains s'étaient perdus de vue depuis la fin de la guerre. Ils dînent ensemble dans la demeure de leur ancien chef, Castille, qui a été arrêté et tué dans ce lieu même, un évènement qui a précipité la chute du réseau. Cette soirée est organisée par Marie-Octobre, nom de code de l'ancienne estafette du réseau, et par le propriétaire actuel des lieux, François Renaud-Picart. En réalité, ils ont organisé la réunion pour percer le mystère de la mort de Castille : un ancien membre de la police allemande leur a avoué que c'était grâce à un traître qu'ils avaient réussi à les découvrir ce soir-là.

Analyse et critique



L’art de Julien Duvivier ne s’exprime jamais mieux que quand il s’imprègne d’une noirceur qu’il n’aura que sporadiquement abordée durant les années 50. Il s’attaque à des genres très divers durant cette période, parfois pour certains de ses plus grands succès commerciaux - Le Petit Monde de Don Camillo (1952) et Le Retour de Don Camillo (1953) en tête -, mais c’est bien le diamant noir Voici le temps des assassins (1956) qui marque le sommet de cette décennie pour lui. Marie-Octobre, qui retrouve cette veine, sera également le dernier vrai grand film de Julien Duvivier. Celui-ci est pensé au départ comme une adaptation du roman éponyme de Jacques Robert paru en 1948. Il fait d’ailleurs appel à l’auteur pour en écrire le scénario mais Jacques Robert, lucide, constate que son ouvrage est bien trop imprégné du contexte et des problématiques d’après-guerre - où l’on s’interrogeait du sort à réserver à un ancien collaborateur sous l’Occupation, avec un jugement équitable ou une exécution sommaire. Tout en en conservant les personnages, il est donc fait table rase de l’intrigue du roman pour se tourner vers une autre inspiration. Sur le fond, Jacques Robert s’inspire du destin de René Hardy, le résistant accusé d’être impliqué dans l’arrestation de Jean Moulin et qui sera jugé et acquitté deux fois. Sur la forme, Duvivier, très impressionné par 12 hommes en colère de Sidney Lumet (1957), s’en inspire dans le choix du huis clos et certains éléments de sa mise en scène, mais cette fois au service d’un whodunit.

Quinze ans après Le Corbeau (1943), Marie-Octobre use à nouveau du thriller pour rappeler le spectre de la délation qui plana sur la France aux heures sombres de l'Occupation allemande. Si le contexte est différent et que sa sortie sera moins houleuse que celle du film de Clouzot, Marie-Octobre n’en reste pas moins un des premiers films à aborder le sujet durant l’après-guerre. La trame, simple et imparable, se noue autour d'une réunion entre anciens camarades résistants en l'honneur de leur ancien chef Castille tué par la Gestapo. Les retrouvailles se font truculentes et conviviales, permettant de cerner les personnalités de chacun et dont les aspérités les plus voyantes se retourneront contre eux lorsque les raisons de cette entrevue éclateront : démasquer parmi eux le traître qui jadis causa le démantèlement du réseau et la mort de Castille. Il s'ensuit alors une redoutable partie d'échecs où chacun alternera entre accusateur et coupable potentiel, la tension faisant sortir maintes révélations qui teintent d'ambiguïté les agissements de chacun en temps de guerre, l'amitié entre les anciens amis et la mémoire même du chef défunt. Impossible d'anticiper l'issue et de deviner le coupable notamment grâce à un casting exceptionnel, parmi les plus impressionnants du cinéma français de l'époque. Bernard Blier est donc un avocat peu regardant sur la morale, Lino Ventura (dont le charisme est tel qu'il est le seul qu'on ne soupçonnera jamais et Duvivier, qui l'a bien compris, en fera le seul protagoniste sur lequel il ne laisse planer aucun doute) un sanguin propriétaire de music-hall, Serge Reggiani un sentimental à l'ambivalence troublante, auquels on peut ajouter Paul Meurisse, Noël Rocquevert, un truculent Paul Frankeur et Paul Guers, ancien séducteur reconverti dans les ordres.



L'ensemble est dominé par une troublante et déterminée Danielle Darrieux, muse de chacun des hommes présents et possible enjeu de la traitrise passée. Ils jouent tous parfaitement leur partition, bien aidés par un scénario ménageant les rebondissements avec une science diabolique du suspense et également les dialogues savoureux d’Henri Jeanson. Tour à tour cinglants, ironiques ou franchement comiques - « Nous n'allons tout de même pas te dresser un Arc de Triomphe en margarine » lancé à Paul Frankeur par Noël Roquevert lorsque ce dernier se vante des victuailles fournies durant la guerre -, ils transforment le film en joute verbale virtuose ou tout peut basculer à la moindre erreur d'élocution, au moindre oubli ou à une omission de détail suspecte. Julien Duvivier aura méticuleusement préparé le tournage, anticipant sa mise en scène en disposant des figurines dans la maquette du décor. Si l’interaction entre les acteurs l’évoque pour le meilleur, on est donc fort heureusement très loin du théâtre filmé. Duvivier délivre une mise en scène tour à tour inquisitrice avec ses plongées lourdes de sens sur l'assemblée ou l'accusé potentiel, les cadres se font larges pour ajouter à la confusion ou plus serré pour capturer la moindre défaillance ou tic anormal par le gros plan. Les mouvements de caméra jouent également de cette suspicion en se promenant de l'un à l'autre des protagonistes, devenant l'instrument de cette culpabilité et de ce malaise ambiant. Le découpage, l'agencement des personnages dans le décor et le jeu sur le champ / contre-champ forment un tout incroyablement pensé qui ajoute à la maîtrise fabuleuse dont fait preuve Duvivier pour faire naître la tension. Hormis quelques étranges petits interludes sur un match de catch se déroulant à la télévision, la tension ne se relâchera jamais jusqu'à une conclusion implacable et tragique. Le coupable aura finalement moins d’importance que l’état d’anxiété permanent dans lequel Duvivier aura su nous placer. La sortie du film sera bercée des soubresauts critiques de l’époque. Les tenants de la Nouvelle Vague en font l’étendard de cette Qualité française qu’ils s’apprêtent à balayer, quand à l’inverse les opposants y voient un exemple des capacités intactes des grands anciens supposés dépassés. Désormais loin de ces controverses, on ne retiendra finalement que ce qui reste aujourd’hui de Marie-Octobre : un grand film.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 13 janvier 2017