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Critique de film
Le film
Affiche du film

Mademoiselle Fifi

L'histoire

En 1870, dans une France occupée par les Prussiens, une diligence quitte Rouen et se dirige vers Dieppe. A son bord, un couple d’aristocrates, deux marchands et leurs épouses, un journaliste, un jeune prêtre et une blanchisseuse, Elisabeth Rousset (Simone Simon). Ces trois derniers ne tolèrent pas la présence des ennemis dans leur pays ; les autres "font avec". La diligence fait une halte dans un relais où se trouve le brutal lieutenant Von Eyrick, surnommé Mademoiselle Fifi. Il refuse de laisser repartir les voyageurs tant que la jolie Elisabeth n’aura pas accepté de dîner à sa table dans ses appartements. Poussé par ses "compagnons" de route, elle finit par céder aux instances du militaire qui jubile de pouvoir enfin se moquer de son patriotisme. Les passagers ne lui témoignent malgré tout aucune reconnaissance pour ce "sacrifice" ; tout au contraire, ils la méprisent encore un peu plus. Seul le journaliste (qui se révèle être un résistant) lui apporte son soutien. De retour dans la ville où elle travaille, la garnison de Cleresville, Elisabeth va se trouver une fois encore confrontée à Von Eyrick. Elle est sommée de participer avec ses "collègues" à une soirée organisée par les officiers prussiens...

Analyse et critique

En 1942, Val Lewton est nommé directeur au sein d’une des unités de la RKO chargée de tourner des films fantastiques à petit budget. Le résultat n’est autre que des œuvres devenues aujourd’hui cultes, celles de Jacques Tourneur plus précisément (Cat People, I Walked with a Zombie ou The Leopard Man) et sans oublier La Septième victime de Mark Robson. Le succès étant au rendez-vous, il souhaite désormais voir son nom apparaître au générique d’autres genres de films, plus "ambitieux". Ce seront donc coup sur coup un film sur la délinquance juvénile en temps de guerre, Youth Run Wild de Mark Robson, et donc Mademoiselle Fifi, un film patriotique célébrant l’esprit de résistance français sous l’occupation prussienne - et par la même occasion celui des Résistants de l’époque, le premier carton du film étant assez explicite pour évoquer le parallèle entre les deux périodes : « Comme aujourd’hui, il y avait une zone occupée et une zone libre. » Il s’agissait alors du premier coup d’essai en solo de Robert Wise, The Curse of The Cat People ayant été repris en cours de tournage après le départ de Gunther Von Fritsch. La direction du studio donne donc son feu vert pour que Lewton produise ce film à costumes mais n’accorde qu’une rallonge minuscule pour un film qui nécessitait, de par son scénario et l’époque où il se déroule, des sommes bien plus conséquentes. Le tournage est par ailleurs constamment perturbé, les pressions des patrons étant excessivement fortes ; il fallait absolument achever le film dans les délais impartis. On restaure donc pour l’occasion des décors en piteux état, ceux ayant servi cinq ans auparavant à William Dieterle pour son Quasimodo. Au final, au lieu d’une œuvre prestigieuse, on se retrouve face à un film au budget ridicule.

Mademoiselle Fifi a été adapté de deux œuvres littéraires de Guy de Maupassant : Boule de Suif et la nouvelle Mademoiselle Fifi, les héroïnes de chacune d’entre elles ayant été fondues en une seule, Elisabeth Rousset. Le seul élément qui rattachait les deux œuvres se retrouve dans le film de Wise : il s’agit de l’épisode de "la cloche silencieuse" que le prêtre refuse de sonner malgré les injonctions de l’ennemi tant que son pays ne sera pas libéré. On comprend donc assez vite le but recherché par le réalisateur et les scénaristes en ces temps d’occupation et de résistance dans la France de la Seconde Guerre mondiale : stigmatiser la partie de la population française encline à sympathiser et à collaborer avec l’occupant, et mettre sur le devant de la scène les hommes et les femmes capables d’offrir des sacrifices pour sauver leurs compatriotes. L’une des premières images du film est d’ailleurs une statue de Jeanne d’Arc ! Bien qu’apparemment totalement inédit en France, Mademoiselle Fifi aurait été, selon Joe E. Siegel (dans Val Lewton, the Reality of Terror), le premier film "made in Hollywood" projeté en France après le Débarquement en Normandie.

Voilà pour l’anecdote mais qu’en est-il du film ? Par respect pour Robert Wise et Val Lewton, nous ne nous étendrons pas longtemps sur ce qui, il faut bien l’avouer, constitue un très mauvais film, strictement sans aucun intérêt autre qu’historique. Et encore... Il serait ici vain de vouloir trouver ne serait-ce qu’un ersatz de la patte du talentueux ex-monteur d’Orson Welles et du futur excellent metteur en scène de tant de films inoubliables. En effet, il n'y a rien ici pour attirer notre attention et nous maintenir éveillé. Le scénario n’est absolument pas captivant et d’un schématisme assez outrancier, la mise en scène est désespérément plate, quasiment jamais inspirée, les dialogues sont d’une rare lourdeur, le message étant asséné à la massue (« Les riches ont du mal à être patriotes » ; « Dans l’adversité, nous sommes tous égaux » ; « Nous avons bafoué son patriotisme pour notre intérêt personnel, nous l’avons trahi. La France ne vous regrettera pas »). Et l’on ne peut pas dire que l’interprétation fasse des étincelles même si, comme souvent dans les productions Lewton, le personnage féminin interprétée par Simone "Cat People" Simon, est le plus intéressant. La "petite française de Hollywood" jouait ici son avant-dernier rôle dans un film américain : elle n’y est pas, loin s’en faut, inoubliable.

Mademoiselle Fifi, s’il pouvait avoir de l’intérêt pour l’époque en tant qu’outil de propagande contre l’occupant allemand (il a dû néanmoins faire pâle figure face au sublime Casablanca), n’a que peu de chances de pouvoir passionner les foules de nos jours. Les amateurs de Maupassant devraient plutôt se reporter sur les très bons Boule de Suif de Christian-Jaque, The Private Affairs of Bel Ami d'Albert Lewin ou même la lointaine transposition qu’a faite John Ford de Boule de Suif, le célébrissime Stagecoach. Mais n’a pas encore eu droit de cité le magnifique film d'Alexandre Astruc, peut-être la plus belle œuvre issue d’un travail d’adaptation de l’écrivain français : Une Vie.

Il serait dommage de finir sur une note négative d’autant plus que nous venons d’apprendre (le jeudi 15 septembre 2005) le décès de l’immense cinéaste qu’était Robert Wise. Si ces premiers essais en tant que réalisateur furent donc loin d’être concluants, il a pu par la suite se rattraper de la plus belle des manières, abordant quasiment tous les genres, laissant une œuvre marquante presque dans chacun d’eux. S’il est difficile de lui trouver une continuité thématique et ainsi de lui attribuer la notion hautement recherchée et si convoitée - pas forcément à juste titre - d’auteur, il fut un technicien et cinéaste hors pair et signa même quelques immenses chefs-d’œuvre tels The Set-up (Nous avons gagné ce soir), The Sand Peebles (La Canonnière du Yang-Tsé), West Side Story ou The Sound of Music (La Mélodie du bonheur). Il faut ne pas oublier non plus d’autres très belles réussites comme, dans la science-fiction Le Jour où la Terre s’arrêta et Star Trek, dans l’épouvante La Maison du diable ou Audrey Rose (qui en a traumatisé plus d’un), dans le film de boxe Marqué par la haine, dans le drame carcéral Je veux vivre... Nous pourrions en citer d’autres mais nous avons déjà débordé de trop du sujet initial. Nous finirons donc par une citation d’une grande justesse de notre célèbre Lord Henry qui résume ainsi la filmographie de l'un des derniers mastodontes de l’âge d’or hollywoodien, tout en remettant gentiment à sa place la notion un rien galvaudée "d’auteur" qui aurait bien besoin de retrouver un peu de modestie pour garder sa pertinence : « Où l'on voit qu'il n'est nul besoin d'être un "auteur" pour signer de grands films. En revanche, cela peut s'avérer suffisant pour en réaliser de fort mauvais. »

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 9 septembre 2005