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Critique de film
Le film
Affiche du film

Macadam Cowboy

(Midnight Cowboy)

L'histoire

Joe Buck (Jon Voight), reproduction plastique du parfait cowboy texan, utilise toutes ses économies de plongeur pour aller vivre le rêve américain à New-York. Il déchante vite face à l’individualisme des grandes villes et au coût exorbitant de la vie. Son naturel candide l’invite très rapidement à être la cible de plusieurs escrocs parmi lesquels Rico (Dustin Hoffman), surnommé Ratzo pour la consonance avec rats (plus évidente en anglais). Ils vont se lier d’amitié et monter quelques mauvais coups ensemble pour essayer de se renflouer, sombrant peu à peu dans la déchéance.

Analyse et critique

Macadam Cowboy sort sur les écrans en 1969. Le film est d’abord classé X aux Etats-Unis à cause de son propos homosexuel et les séances sont alors interdites aux moins de 17 ans, puis à partir de 1971, il est projeté et édité sous la mention R, ce qui permet l’accès aux moins de 17 ans sous la supervision d’un adulte. Malgré ces restrictions, le film est un succès public (il rapporte 44 millions de dollars avec les seules projections américaines pour un budget de seulement 3,6 millions) et critique puisqu’il remporte de nombreuses récompenses dont trois Oscars : celui du meilleur film, du meilleur réalisateur et du meilleur scénario adapté. Cela fait de Macadam Cowboy le premier film classé X à gagner un Oscar et l'un des films les moins onéreux à remporter cette récompense.

John Schlesinger, le réalisateur de Macadam Cowboy, a débuté dans la mise en scène aux côtés des cinéastes du Kitchen sink realism (la nouvelle vague anglaise contestataire s’attachant principalement à la représentation des populations ouvrières) et Macadam Cowboy, cinquième long métrage du cinéaste, n’est pas exempt de cette influence. Il dépeint la futilité publicitaire, l’abrutissement des classes aisées et les mensonges du capitalisme. Les personnages principaux s’identifient à un héritage prolétaire : Joe est plongeur au début du film, le père de Ratzo était cireur de chaussures.


De plus, la volonté d’aborder des sujets plus sociaux chez ces réalisateurs qu’on surnomme les « Angry young men » (comme les romanciers britanniques apparus à la même époque) découle de leurs premiers travaux documentaires rassemblés sous l’étiquette de Free Cinema dans les années 1950, qui préfigurent la "Nouvelle Vague anglaise" dans laquelle s’inscrit Schlesinger. Macadam Cowboy en conserve donc de nombreux codes. Le tournage prend place en décors réels (métro, bâtiments condamnés à la démolition, gare routière), les dialogues sont enregistrés sur le vif, le rôle principal est attribué à un acteur débutant et le budget est volontairement restreint. Une des scènes les plus connues, dans laquelle Dustin Hoffman et Jon Voight avancent à travers la foule de Manhattan, illustre bien ces influences. Elle est tournée en décor réel, avec des micros sans fil, une caméra cachée ; et la réplique la plus connue du film jetée par Hoffman sur un taxi qui le percute réellement lorsqu’il traverse, « I’m walking here »,  y est improvisée.


La réussite du film doit beaucoup au jeu de ses deux principaux acteurs. Hoffman sort du succès du Lauréat qui l’a propulsé au rang de star hollywoodienne et lui a donné une image de jeune bourgeois propret bien éloigné du rôle de Ratzo. Contre toute attente, il choisit de remettre sa carrière en jeu pour un rôle secondaire dans un film dont le scénario est sujet à polémique. Plusieurs professionnels dont Mike Nichols, le réalisateur du Lauréat, essaieront vainement de l’en dissuader. De son côté, Jon Voight voit le rôle comme une opportunité rare et il propose même à son agent de travailler pour le salaire minimum. Les producteurs sont unanimes et Michael Sarrazin, qui était jusqu’à présent favori, est alors remplacé par Voight avec le soutient de Dustin Hoffman. Les deux comédiens développent alors une amitié qui les poussent à se surpasser, et dont Hoffman dira : « We were like Marvin Hagler and Sugar Ray Leonard, two fighters going at it. » Grace à son scénario adapté finement par Waldo Salt, ses acteurs sous l’influence de l’Actors Studio et son réalisateur influencé par le cinéma vérité, le film s’inscrit très pertinemment dans son époque. Il introduit directement le thème quasi inexploré de la prostitution masculine, accuse le mythe du western, de son cowboy machiste et plus généralement la société de consommation et le rêve américain. Dès lors, il revendique officieusement son appartenance au Nouvel Hollywood aux côté d’Easy Rider ou de La Horde sauvage sortis la même année.


Le film s’articule autour de cette critique à l’égard de l’Amérique conservatrice et consumériste. L’atmosphère devient plus dérangeante au gré des flash-back qui ponctuent la trame narrative dans lesquels Jon est renvoyé à son passé. Dès la deuxième séquence du film, Joe quitte le Texas pour New-York et revoit durant le trajet les scènes de son enfance, à l’aide de voix-off, de surimpressions ou de scènes complètes. On y comprend pourquoi il possède cette adoration pour le western, élevé par une grand-mère assez libertine, on imagine que beaucoup de vérités lui sont cachées et on réalise l’origine de sa cupidité. Naïf ou convaincu, lorsqu’il entend dans sa radio portative un micro-trottoir réalisé auprès de femmes new-yorkaises ayant pour étude l’apparence de l’homme idéal, il s’y reconnait et hurle de joie un « Woohoo ! » de cowboy tandis qu’au font du bus des adolescents ivres chantent à tue-tête. Le film se construit comme le début d’un road movie joyeux sur la bande originale de Harry Nilsson, Everybody’s Talkin’


Néanmoins, il est confronté à plusieurs refus avant de trouver une première conquête (Cass), qui ne le paiera pas mais réussira au contraire à lui soutirer de l’argent. La scène de sexe joue avec la critique du consumérisme. Une télécommande, coincée sous les corps, fait défiler les chaînes de TV à une vitesse anormale, les publicités en inserts vantent les mérites de la musculation ou d’une marque de lessive. Un plan sur une machine à sous se vidant symbolise la fin du rapport sexuel, avant de fixer le plan suivant sur l’immeuble de la Mutual of New-York visible de l’appartement de Cass, présent à plusieurs reprises dans le film comme l’anagramme de MON(E)Y. La symbolique du rapport entre sexe et argent est donc clairement exposée ici, pas seulement parce que c’est la façon dont Joe espère gagner sa vie, mais aussi pour critiquer cette société qui allie argent et plaisir et dont la télévision et les publicités définissent enjeux et codes. Lorsqu’il sort de l’appartement, Joe est filmé en plongée du haut d’un immeuble, toujours sur le thème de Harry Nilsson, il apparaît seul dans la ville et le zoom arrière l’isole définitivement.



Plusieurs séquences développent par la suite ce caractère symbolique aux images épileptiques. Après s’être fait arnaquer par Ratzo par exemple, Joe rentre dans un état de transe et les plans alternent entre séquences de flash-back, de rêve et de réalité en filmant respectivement les scènes que Joe a vécues/vit en couleur et celles qui sont imaginaires en noir et blanc. On peut reprocher à la symbolique d’être assez simpliste, ponctuée par une musique de course-poursuite à la James Bond peu crédible, ce qu’on ne peut pas reprocher au compositeur du film, John Barry, étant donné qu’il est connu pour avoir créé la bande originale de l’agent 007 en question.


La scène la plus psychédélique, néanmoins, n’a pas de concurrence dans ce film, elle dure approximativement sept minutes et se situe dans une soirée underground à laquelle Rico et Joe ont été invités par hasard. Elle est organisée par Andy Warhol et son protégé Paul Morrissey, qui en profite d’ailleurs pour y tourner un petit court métrage. En voyant Schlesinger tourner cette scène, Warhol est insatisfait de la façon dont ce film présente la prostitution masculine et décide de réagir en commandant à Morrissey un film sur le même sujet, qui sortira en septembre 1968, c’est-à-dire avant Macadam Cowboy. Les figurants sont pour la plupart des proches ou des "superstars" de Warhol comme Viva ou International Velvet, et l’ambiance de la soirée est à l’image de cette intelligentsia hippie. Le metteur en scène peut alors s’adonner à un tas d’expérimentations : mises en abîme (un film super-8 par Morrissey dans un film de Schlesinger, une projection dans une projection), bokeh, flash, filtres de couleur ou surimpressions sont de mise. Néanmoins les images n’ont pas la force évocatrice que l’on peut trouver dans un Zabriskie Point (1970) ni la puissance déjantée d’un Performance (1970) qui sont des contemporains de Macadam Cowboy.



Néanmoins, le film bénéficie de certains plans où la mise en scène y est plus implicite. Deux plans adjacents peuvent illustrer cette plus grande rigueur dans la représentation de l’inexprimable. Dans le premier, Joe et Rico se rendent chez un prêteur sur gages pour vendre la radio portable de Joe, son compagnon de toujours et la seule chose qui n’a pas encore été salie par la ville et ses serviteurs. Il est filmé en gros plan derrière la grille du comptoir, prisonnier du monde dans lequel il évolue, captif de la réalité qu’il se force à ne pas voir en face. Le plan suivant se situe dans leur appartement, des bougies flambent sur la table de chevet et lorsque la caméra effectue un mouvement vers la gauche - passant du visage de Rico à un poster où l’on y voit une famille américaine exemplaire, réjouie devant un paysage agricole - les flammes viennent se placer légèrement par-dessus l’affiche. Le rêve américain meurt définitivement, l’axe droite-gauche symbolisant le passage du présent au passé, ce sont tous les rêves de Joe Buck qui brûlent en même temps que cette publicité mensongère.


Finalement, le film se finit dans un bus pour Miami, qui n’est pas sans rappeler la séquence de fin du Lauréat mais aussi et surtout l'une des premières scènes du film, dans laquelle Joe fait le trajet vers New York. Si le titre français Macadam Cowboy annonce la mort du road movie, Midnight Cowboy annonçait celle du western. Joe, qui se raccrochait à ses rêves lorsque Rico l’accusait d’être une tapette en répliquant : « John Wayne, you’re gonna tell me he’s a fag ? », a compris qu’à part à Hollywood il n’y a pas de méchants Indiens ou de bons cowboys.

On peut regretter tout de même les symboliques parfois simplistes, l’absence de conclusion aux cauchemars de Joe et les tentatives d’innovations filmiques lors des scènes psychédéliques qui sont rapidement avortées au profit d’une mise en scène classique. Hormis ces faiblesses, Macadam Cowboy demeure un film singulier, porté par des personnages profonds et sensibles (mention spéciale à Dustin Hoffman), un propos contemporain et une mise en scène visant à l’essentiel, vraie et tranchante.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Victor Tarot - le 20 mars 2018