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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Surprises de l'amour

(Le Sorprese dell'amore)

L'histoire

Didi et Marianna partagent la même chambre, mais pas la même conception de l’amour. L’une est chaste, l’autre frivole. Par jeu, mais aussi par dépit, elles décident donc d’échanger leurs fiancés. Pour le meilleur comme pour le pire...

Analyse et critique

Même type de générique : dessiné et satirique. Mêmes acteurs. Même équipe scénaristique. On prend les mêmes et on recommence ! Après Maritti in città (1957) et Femmes dangereuses (1958), Luigi Comencini, avec la régularité et l’application qu’on lui connaît, conclue sa "trilogie comique" par Les Surprises de l’amour (1959). Alors que les deux premiers opus travaillaient la question du mariage, des difficultés qu’ont les jeunes gens mariés à concilier aspirations, désirs et attentes sociales, nous avons affaire ici à des couples fiancés. Comment trouver le "bon mari" ? Comment être heureux en amour ? Comment garantir son mariage, pour mieux le réussir ? Autant de préoccupations latentes, structurelles, qui hantent les nouvelles générations italiennes des années 1950, et qui les frustrent. Coureurs de jupons, machistes et grands enfants, les figures masculines de cette trilogie comencinienne apparaissent volages et placent le sexe avant le mariage. Les femmes, au contraire, sont plus complexes : obligées de frayer avec leurs sentiments, de composer avec une société conservatrice les assignant à un rôle et à un discours, elles mettent en place des plans complexes aboutissant, la plupart du temps, au statu quo ante. L’ordre social n’est jamais réellement menacé, mais elles ont pu se donner du bon temps, et révéler au grand jour toute la duplicité des hommes. C’est une vision relativement sombre des évolutions sociales possibles, que Luigi Comencini tempère en permettant à une ou deux figures masculines ou féminines de s’extraire de ce marasme.

Les personnages que nous suivons dans ce film sont pour la plupart archétypaux. Marianna, chaste et naïve, est fiancée à Battista, impatient et obsédé. Didi (1), au contraire, est égoïste et manipulatrice, ce qui l’empêche d’apprécier à plein les qualités plus nobles de Ferdinando, poète à ses heures. Le scénario est didactique au possible, ce qui est a priori gage de qualité, étant donné que la première demi-heure ne consiste qu’en l’exposé de cet état de faits : elles ne comprennent pas leur fiancé, souffrent d’être prises pour ce qu’elles ne sont pas et s’estiment donc « toutes deux mal assorties ». S’ensuivra donc une série de quiproquos prétextes à des saynètes, qui ne vaudraient rien sans le talent et le professionnalisme comique des acteurs principaux. Dorian Gray, déjà, qui occupe tout l’écran grâce à son interprétation provocante... et qui éclipse quelque peu sa sidekick Sylva Koscina. Les acteurs, quant à eux, sont dans un schéma inverse : Franco Fabrizi, habitué des rôles badins et frivoles, a beau bondir et nous faire rire, il reste dans l’ombre du personnage plus complexe joué par Walter Chiari. Grande figure du cinéma italien, très actif dans les années 1950 / 1960, son génie comique s’exprime totalement dans ce film. Il n’est qu’à voir l’irrésistible scène du bateau : alors qu’il lit des poésies à sa bien-aimée, celle-ci l’interrompt pour lui reprocher son manque d’ardeur. Piqué dans son amour-propre, comme possédé, il jette son livre et réclame un baiser. Puis il se déshabille, sous le regard faussement indigné de Didi. Alors que les spectateurs s’attendent à une scène scabreuse, Ferdinando... se jette à l’eau. La tension (sexuelle) retombe, nous rions. Mais en plus de nous prendre à contre-pied, Luigi Comencini interroge nos attentes et les normes qui sont ancrées en nous : pourquoi les hommes seraient-ils forcément lubriques et impulsifs ? Ils peuvent tout aussi bien être ailleurs, en-dehors des conventions imposées, "à coté de la plaque".

Mais Les Surprises de l’amour perdrait de son charme et de son intérêt s’il n’y avait cette galerie d’excellents personnages secondaires. C’est un "truc" de grand réalisateur : proposer une kyrielle de petits rôles, qui interviennent intelligemment dans le récit principal, comme pour en signaler les limites. L’auteur doit respecter un cahier des charges propre au genre, mais s’autorise quelques digressions, quelques points de vue, quelques avis. Nous avons par exemple Carlo Sposito, mémorable en pseudo-aristocrate maniaque. Obsédé par la figure de la femme vertueuse, il finira par épouser une prostituée. (2) Évoquons aussi Mario Carotenuto, campé en père romain et progressiste, à l’écoute de Ferdinando. C’est d’ailleurs au cours d’une partie d’échecs qu’il libérera ce dernier de ses remords moraux indépassables : la question des amours avant le mariage, du cœur tiraillé entre plusieurs personnes, des pulsions et des envies qui sommeillent en chacun de nous... Tout ce répertoire, qui fait s’affronter le dogme et l’intime, est discuté avec intelligence par Luigi Comencini. On reconnaît là la culture protestante du réalisateur, qui préfère la compassion à la condamnation.

Enfin, impossible de ne pas dire un mot sur celle qui perce l’écran, qui transcende le film et lui donne sa réelle force : Anna Maria Ferrero. Classique, son personnage de bonne à tout faire secrètement amoureuse d’un protagoniste est porté par une interprétation exceptionnelle. Spontanée, dégageant une virtuosité et une sensibilité qui feront chavirer les cœurs les plus froids, Anna Maria Ferrero est la révélation du film. Cantonnée à de petits rôles, mais aux côtés des plus grands (3), sa carrière cinématographique ne s’est jamais véritablement envolée (d’autant plus qu’elle y met fin prématurément en 1964)... alors que son jeu est tout simplement exceptionnel. Modèle de sincérité et de spontanéité face au monde cynique et hypocrite de la civilisation marchande, Mariarosa est la promesse d’une vie simple et honnête, quelque part à la campagne...

Inédit en France, Les Surprises de l’amour a, comme souvent chez Luigi Comencini, les apparences d’une comédie légère. Mal accueilli par la critique, qui n’y voyait que bouffonnerie, il met pourtant intelligemment en scène les préoccupations sociales et éthiques du réalisateur : est-il dans nos moyens d’apprécier réellement ce qui est à notre portée ? L’amour rend-il éternellement aveugle ? L’herbe est-elle plus verte ailleurs ? « Cherchez plus à comprendre qu’à plaire », conseille le Don Maurizio à Didi, qui s’apitoie sur son malheur. Parole de cinéaste qui ravit son public tout en l’incitant à réfléchir.


(1) Détail insupportable : les sous-titres francisent les prénoms. Didi devient « Dédée », Battista se change en « Baptiste »...
(2) On sent chez Luigi Comencini qu’il n’a pas construit cette situation dans l’unique but d’imposer au public un jugement moral. Il relativise même la notion de "vertu", la pose comme fantasmatique et se garde de tout a priori. Pas de maman ni de putain.
(3) Elle a donné la réplique à Michel Simon, Marcello Mastroianni, Claudia Cardinale, Jean Marais...

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La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 12 décembre 2016