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Critique de film
Le film

Les Sept femmes de Barbe-Rousse

(Seven Brides for Seven Brothers)

L'histoire

Oregon 1850. Adam Pontipee, un rude bucheron, se rend en ville pour y faire ses provisions et y ‘acheter’ une femme qui s’occuperait de ses tâches ménagères. L’épicier n’ayant pas cette denrée rare ‘en stock’, Adam se décide à courtiser la jolie Milly qui craque immédiatement pour ce bel homme à barbe rousse : ils finissent tous les deux mariés illico presto. Mais en arrivant dans leur petit nid douillet de montagne, quelle n’est pas la surprise de la nouvelle épouse de découvrir que son mari vit avec six frères, aussi machos, primaires, sales et mal élevés que lui. Au début dépitée, elle va leur enseigner à courtiser les filles pour les inciter à prendre femmes à leur tour lors d’un grand pique-nique. Se languissant d’une si longue attente à revoir leurs compagnes d’un après midi, ils décident de les kidnapper comme les romains l’avaient fait avec les Sabines…

Analyse et critique

Deux ans après avoir réalisé Chantons sous la pluie, la comédie musicale qui reste encore aujourd’hui la plus célèbre de l’histoire du cinéma, Stanley Donen s’attelle à ce nouveau projet totalement personnel qui sera son huitième film et son sixième ‘musical’. Chose rare pour le genre, il s’agit d’une idée originale et non d’une adpatation d’un succès de Broadway, une histoire jamais montée au théâtre au préalable. Le réalisateur demande aux producteurs de la MGM l’autorisation d’étaler le tournage sur une année entière afin de pouvoir filmer en extérieurs le déroulement de l’intrigue sur les différentes saisons. Le studio ne croyant pas une seconde aux chances de succès de ce film, la requête de Donen jugée saugrenue, les pontes rognent sur le budget initial. Cette part perdue par Donen sera redistribuée à Minnelli qui tourne en même temps un autre ‘musical’, Brigadoon, ce futur chef d’œuvre sur lequel tout le monde parie. Stanley Donen se retrouve alors à entreprendre l’une des comédies musicales qui aura coutée le moins cher à la firme du lion. Il doit se résigner à tourner la majorité de son film en studio, faisant évoluer ses acteurs devant d’immenses toiles peintes et transparences.

De plus, il s’agit du premier cinémascope du studio et, les salles américaines étant encore peu équipées pour le format large, on l’oblige à tourner son film deux fois : une fois en scope et une autre fois dans le format plus répandu de 1.33. C’est à un travail fastidieux qu’il se livre et il existe encore aujourd’hui les deux versions du film. S’il vous arrive de tomber sur ce ‘musical’ en format ‘télé’, il faut savoir que ce n’est pas obligatoirement une version recadrée. Et pourtant, devant l’utilisation inventive que fait Donen du cinémascope, devant la beauté des mouvements de caméra balayant l’écran large, nous avons du mal à imaginer ce que doit rendre ce film en format ‘carré’ surtout que la plupart du temps, 14 personnages apparaissent en même temps à l’image. De toute manière, ce travail de titan est peine perdue et après seulement 48 jours de tournage, le résultat étonne tout le monde, les producteurs en premier qui s’en frottent les mains puisque, le film est, sans que personne ne s’y attende, le plus gros succès de l’année et celui-ci ne se démentira jamais plus. On ne compte plus les adaptations théâtrales qui en ont été faites que ce soit à Broadway et même à Paris avec Lio en vedette. Une poule aux œufs d’or pour LE studio de la comédie musicale, que même le Président Eisenhower incitera à aller voir.

Malgré cette reconnaissance publique, le film est-il une réussite artistique ? Certes, pour beaucoup, il ne supporte pas la comparaison avec son prestigieux ainé Chantons sous la pluie. Peut-on cependant vraisemblamement comparer deux films aux styles aussi différents. D’un côté nous avons une vision brillante, intelligente et gentiment satirique sur le milieu du cinéma ; de l’autre une intrigue à priori banale, très ‘couleur locale’, et qui ne suscite à aucun instant la réflexion. Mais le ‘musical’ a-t-il pour vocation de faire passer de quelconques messages ? Ayant répondu ‘pas nécessairement’, ce film est un vrai bonheur grâce à une conjugaison de talents exceptionnels et malgré les concessions artistiques qu’a du faire le réalisateur avec si peu de moyens financiers. Le chorégraphe Michael Kidd nous offre ici les séquences dansées les plus acrobatiques jamais vues au cinéma : la célébrissime scène du pique nique débutant par une danse en forêt qui se transforme rapidement en concours acrobatique endiablé pour finir en bagarre généralisée est jubilatoire. Le couple de scénariste Albert Hackett et Frances Goodrich signent une histoire d’une remarquable efficacité, constamment plaisante et drôle, bien dans le ton du résumé qui en est fait au début de cette critique.

La photo en Anscolor de George Folsey pète le feu et les costumiers en ont profité pour s’en donner à cœur joie dans le mélange chatoyant de couleurs des robes et chemises. Le couple Jane Powell-Howard Keel fonctionne admirablement bien et les autres personnages hauts en couleur sont en fait, quasiment tous, non des acteurs, mais d’exceptionnels danseurs ; parmi ceux-ci, le futur Riff de West Side Story, Russ Tamblyn. Le tout mené et rythmé de main de maître, et avec une énergie qui ne lui fait jamais défaut, par Stanley Donen.

Nous ne pourrions finir de parler d’une comédie musicale sans en évoquer la musique ; celle de Gene DePaul est splendide et a bien justement remporté l’oscar en 1954. Nous voudrions avoir le temps d’évoquer toutes ces séquences musicales à commencer par celle qui débute le film, Bless your beautiful hide d’une bonhommie pleine d’humour, la printannière Wonderful, wonderful day, la romantique When you’re in love dans laquelle la voix de Soprano de Jane Powell, assez rare pour le genre, fait merveille. Et nous ne saurions passer sous silence la chanson Goin co’tin au cours de laquelle l’épouse entreprend de civiliser les frères mal embouchés et dont nous aimerions mettre au défi quiconque arriverait à ce moment là à ne pas avoir de fourmis dans les jambes. Après la fameuse séquence acrobatique dont nous avons déjà parlé, Donen nous a encore gardé le meilleur pour la fin : lonesome polecat, originale et paresseuse lamentation hivernale et surtout cette mélodie magnifique qu’est June bride, séquence d’une grande beauté. Cette partition très facile à aborder enchantera une grande majorité même parmi les plus néophytes en la matière.

On serait de mauvaise foi si l’on disait que ce film est parfait. L’ensemble n’est pas exempt de lourdeurs ici ou là et Les 7 femmes de Barberousse ne peut prétendre atteindre le niveau des chefs d’œuvre du genre, celui des Minnelli par exemple. Cependant l’énergie débordante et communicative qui y règne tout du long emporte l’adhésion et nous laisse ravi.

Bonus critique : extrait du dictionnaire du cinéma de Jacques Lourcelles : « Si les comédies musicales de Minnelli sont celles qui ont le plus de substance, celles qu’a signées Donen possèdent une jeunesse, une élasticité, une joie de vivre qui en font les modèles inusables et intemporels du genre, tel qu’on la pratiqué après guerre durant le deuxième âge d’or de Hollywood. »

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 23 décembre 2004