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Critique de film
Le film

Les Rues de feu

(Streets of Fire)

L'histoire

La chanteuse Ellen Aim (Diane Lane) est enlevée par un gang de motards, les Bombers, mené par l'impitoyable Raven Shaddocks (Willem Dafoe). Le sort d'Ellen repose alors sur des héros improbables : un soldat de fortune Tom Cody (Michael Paré) et son acolyte, la bagarreuse McCoy (Amy Madigan). Ils sont rejoints par Billy Fish (Rick Moranis), le manager d'Ellen, et le trio ainsi formé s'engouffre dans un univers de courses poursuites et de tueurs sans merci.

Analyse et critique


De l’inaugural Le Bagarreur (1973) à un Extrême préjudice (1987) sous haute influence Peckinpah, la carrière de Walter Hill - qui ne sera par la suite qu’un solide faiseur hollywoodien - constitue un ensemble captivant. Le réalisateur se pose en digne héritier des réalisateurs américains "dur à cuire" à la Don Siegel ou Sam Peckinpah justement et reprendra leur flambeau dans une approche singulière. Durant ces premières années, Le Gang des frères James (1980) - et plus tard Geronimo (1993) et Wild Bill (1995) - sera l'un des rares films où Walter Hill s’attaquera ouvertement à un mythe / genre typiquement américain avec le western. Toutes les autres œuvres de Hill s’essayeront au genre dans une logique post-moderne, à des degrés plus ou moins prononcés. Cette approche jouera selon les films sur une logique de l’épure ou de la surenchère. Pour l’épure, Le Bagarreur pousse dans ses derniers retranchements la figure du héros taciturne avec un Charles Bronson plus minéral que jamais, laissant ses poings s’exprimer pour lui. Driver (1978) en reste au squelette de polar melvillien façon Le Samouraï (1967 et déjà sacrément minimaliste) dans lequel les personnages ne sont même plus nommés et réduits à leur fonction (le flic, la fille et le pilote). Cette retenue est contrebalancée par des œuvres à l’inverse plus outrancières comme 48 heures (1982) où les curseurs de l’humour, de l’action et de la violence sont exacerbés pour façonner le sous-genre du polar qu’est le buddy movie. Ce goût pour la surenchère explosera dans les velléités pop de Walter Hill qui s’exprimeront pour la première fois dans Les Guerriers de la nuit (1979) qui transpose un postulat classique de western dans un environnement contemporain pourtant dénué de tout réalisme de par l’allure folklorique de ses protagonistes, des gangs multiethniques caractérisés par leurs costumes. Hill n’aura cependant pas pu pousser l’expérimentation aussi loin qu’il le souhaitait dans son esthétique comics - ce qu’il fera dans un remontage DVD tardif assez raté - et ressortira frustré de l’expérience en dépit de l’aura culte du film. L’immense succès de 48 heures va pourtant lui donner l’opportunité de renouer avec cette veine too much et de creuser avec plus de folie ce sillon.


Streets of Fire possède une trame qui une nouvelle fois reprend un argument de western dans un cadre urbain, tout en y conjuguant d’autres influences mythologiques comme L’Iliade (l’enlèvement d’une jeune femme provoquant une opposition entre deux factions) et L’Odyssée (Ulysse / Tom Cody de retour de guerre découvrant son aimée au prise avec d’autres prétendants). Contrairement aux Guerriers de la nuit, dont les aventures et les protagonistes extraordinaires évoluaient dans un environnement réaliste, Streets of Fire façonne un pur univers de cinéma. Le croisement entre le film d’action et la comédie musicale aura déterminé cette approche, Hill étant admiratif de l’univers alternatif façonné par Jacques Demy dans Les Parapluies de Cherbourg (1964). Le scénario qu’il coécrit avec Larry Gross, fort de cette approche de fable romantique apportée par la comédie musicale, se délestera d’ailleurs grandement de sa violence initiale. L’esthétique du film est typique de son époque et s’inscrit dans un tourbillon d’influences aisément identifiables. Le visuel tout en néons bariolés conçu par John Vallone reprend grandement les idées du Coup de Cœur (1982) de Francis Ford Coppola, tout en baignant l’ensemble dans un espace urbain industriel et dévasté qui lorgne sur le New York 1997 (1981) de John Carpenter.


Le rétro côtoie le moderne également dans les tenues vestimentaires et la bande-son du film. Grease (1978) et la série Happy Days auront remis les années 50 au goût du jour depuis quelques années, ce que l’on retrouve ici avec ces méchants blousons noirs à moto façon L'Équipée sauvage (1953) et les meilleures passages musicaux tels que le rock’n’roll enfiévré des Blasters le temps d’un One Bad Stud dans la taverne mal famée Torchie's ou le groupe de doo wap à la Platters que croiseront les héros. Walter Hill pensait au départ puiser dans standards des fifties mais Universal lui imposera d’intégrer des compositions originales et plus orientées FM, Flashdance (1983) et sa lucrative bande originale étant encore alors dans tous les esprits. Ce compromis transformera encore le film, accentuant les expérimentations clipesques de Walter Hill - notamment lors des scènes de concert à l’énergie tapageuse - et l’imagerie des années 80 en dépit de la volonté de rendre l’ensemble intemporel. Diane Lane arbore ainsi un look au croisement de Joan Jett et Pat Benatar, la grandiloquence FM de ses séquences musicales (toutes doublées) évoquant plutôt la seconde. Ry Cooder (déjà partenaire de Hill sur le formidable score de Sans retour) signe une bande-son immersive entre sonorités traditionnelles et synthétiques, le producteur Jimmy Iovine chapeautant les chansons. Si tout cela est affaire de goût (les allergiques à la musique des années 80 saigneront des oreilles quoi qu’il advienne), les compositions sont redoutablement efficaces - Iovine ayant fait jouer son carnet d’adresses avec Tom Petty and The Heartbreakers ou Stevie Nicks à l’écriture - en s’intégrant bien à l’ensemble. On regrettera néanmoins que Bruce Springsteen, faute de temps, n’ait pu participer alors que le titre du film vient d’un des morceaux phares de son album Darkness of the Edge of Town. L’équilibre entre épique et kitsch suranné aurait sans doute été plus tenu.


L’aspect plastique du film parvient à lui forger une réelle identité, que l’on y adhère ou pas, et c’est plutôt au niveau du script que le bât blesse. Walter Hill en misant tout sur la facette sensorielle en a oublié de caractériser sérieusement ses personnages qui ne dépassent pas le stade d’archétypes malgré la beauté et le charisme de ses interprètes. Le couple Tom / Ellen a trop peu d’interactions pour que leur antagonisme puis leur réconciliation émeuvent car, tout à sa vitesse, le film ne laisse jamais les moments introspectifs s’installer. Willem Dafoe retrouve la présence SM androgyne de The Loveless (1982) de Kathryn Bigelow (et reprise en partie dans Police Fédérale Los Angeles (1985) mais de même il est finalement trop peu présent pour exister au-delà de la caricature de méchant de BD. La prestation de baroudeur désinvolte de Michael Paré fut décriée mais c’est finalement lui qui s’en sort le mieux, taiseux et charismatique tout en dégageant une certaine mélancolie. Les rares moments romantiques réussis - le baiser et l’adieu final - sont ceux où Hill joue habilement de la photogénie de son couple, l’imagerie réussissant à véhiculer l’émotion que les acteurs n’ont pas eu l’espace d’exprimer. Le récit se trouve malheureusement sans liant consistant, réduisant Streets of Fire à un bel objet pop, ce qui aura néanmoins suffi à en faire un film culte avec le temps.


En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 26 octobre 2015