Menu
Critique de film
Le film

Les Quatre plumes blanches

(Storm Over the Nile)

L'histoire

À la veille de son expédition punitive au Soudan, le lieutenant Harry remet sa démission. Ses amis l'accusant de lâcheté, Harry prouve le contraire en leur sauvant la vie...

Analyse et critique

Storm Over the Nile est la cinquième adaptation littéraire du roman d’A.E.W. Mason, mais surtout la seconde produite par Alexander Korda après le classique Les Quatre plumes blanches sorti en 1939. Une parenté dont le film a bien du mal à se détacher avec une construction et une mise en scène frôlant la redite plan par plan par instants, d’autant que l'on retrouve Zoltan Korda à la réalisation, épaulé par Terence Young. Le contexte de production des deux œuvres est pourtant fort différent. En 1939, au sein d’une Europe sous tension et sur le point d’entrer dans la Deuxième Guerre mondiale, Alexander Korda célébrait la fraternité et la bravoure ancestrale de l’armée britannique, prête à répondre à une menace plus contemporaine. Le film de 1955 arrive après l’expérience de ce vrai conflit, nourri des souffrances endurée par la population et les soldats anglais. Cette différence, malgré le déroulé strictement identique, apporte donc certaines nuances bienvenues.

La lâcheté du héros Harry Faversham (Anthony Steel), nourrie dès l’enfance par les récits sanglants de son père et de ses amis, se comprend ainsi au-delà des seules frayeurs du personnage. Le passé militaire glorieux de sa famille et l’obligation de s’y conformer relèvent plus de l’étiquette à respecter que d’une volonté individuelle, écrasant Harry d’un héroïsme qu’il ne peut assumer. C’est dans cette approche que Zoltan Korda et Terence Young parviennent à trouver une réelle identité au film tout en reprenant l’imagerie originale. En 1939, seule la peur du front s’exprimait dans l’ouverture enfantine où la silhouette de Harry était écrasée par la grandeur légendaire de ses ancêtres alors qu'il scrutait le tableau d’un cavalier à la posture glorieuse durant la bataille de Crimée. Young et Korda procède différemment en rejouant ce traumatisme : l’ombre se propage au fil d’un travelling dans le corridor où trônent les tableaux des différents "héros" Faversham, en associant non seulement leur image à la terreur de Harry mais tout simplement à la mort. Toute la mise en scène tend à détacher Harry de ce monde militaire, même lorsque adulte il l’aura intégré. La composition de plan lorsqu’il mène le cortège place non seulement ses camarades en arrière-plan, mais lui fait également garder sa casaque la mine taciturne quand les autres l’enlèvent et se réjouissent à l’annonce de leur mobilisation au Soudan. Anthony Steel, sous un faux air de fadeur, dissimule une angoisse sourde dans le regard - et non feinte au vu de la vie personnelle tumultueuse de l’acteur.

Le malaise se ressent donc autant si ce n’est plus que dans le film original concernant la déchéance du héros, renié par ses amis et sa fiancée (Mary Ure) pour avoir osé avoir exprimé une individualité et une humanité par l’expression d’une peur légitime. Après cette approche assez fine, le film perd malheureusement peu à peu son intérêt en raison d'un mimétisme strict avec l’original. Pour le spectateur ne connaissant pas le classique de 1939, le film porté par son rythme poussif ne se détache guère de la tradition de l’aventure guerrière exotique revenue à la mode dans les années 1950. Et si l’on connaît le premier film, l'effet est encore plus pénible puisque Alexander Korda recycle des rushes entiers de celui-ci (des scènes coupées comme des vrais moments du film) gonflés au nouveau format roi du grand spectacle qu’est le Cinémascope, la rupture se ressentant largement à l’image même si le tournage s’est aussi déroulé en partie au Soudan. Seul point tout aussi réussi mais qui trouve une approche différente dans les deux œuvres : le destin tragique de John Durance (Ralph Richardson dans l’original, Laurence Harvey ici).

Korda poussait la dévotion à l’uniforme jusqu’à la folie avec un soldat qui allait au combat en dissimulant qu’il avait perdu la vue. La rivalité amoureuse entre en compte ici, portée par une merveilleuse interprétation de Laurence Harvey, d’autant plus brisé d’avoir été snobé pour un lâche avant un final résigné lors duquel il comprend son erreur. La douleur du personnage perd de sa facette pathétique car il n’est pas dû à un sens de l’honneur maladif (l'un des rares aspects qui égratignait l’amour de l’uniforme dans l’original) mais à un amour contrarié plus aisément compréhensible. Pour résumer, ce Quatre plumes blanches est un remake qui aurait grandement gagné à plus s’éloigner de son prédécesseur pour convaincre (le style nerveux de Terence Young se laisse à peine entrevoir) puisque c’est par ses différences qu’il suscite son principal intérêt.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 26 septembre 2016