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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Professionnels

(The Professionals)

L'histoire

1917. Henry Fardan (Lee Marvin), un mercenaire qui a autrefois combattu au Mexique aux côtés de Pancho Villa, est recruté par J.W. Grant (Ralph Bellamy), un riche magnat du pétrole texan, afin de retrouver et ramener son épouse Maria (Claudia Cardinale) qui aurait été enlevée par un bandit mexicain du nom de Jesus Raza (Jack Palance). En échange, Fardan touchera une récompense alléchante, pas moins de 100 000 dollars. Pour l’aider dans sa mission, il recrute trois autres aventuriers, son ami Bill (Burt Lancaster), incorrigible coureur de jupons et expert en explosifs avec qui il s’est battu lors de la révolution mexicaine - durant laquelle ils ont même côtoyé Raza -, Jake (Woody Strode), un Noir à la musculature imposante, tireur à l’arc émérite, ainsi que le peu loquace Hans (Robert Ryan), ex-maquignon qui aura pour tâche de s’occuper de leurs montures. Les voilà partis pour le campement de Raza dans une région désertique du Mexique où règne une chaleur étouffante. Après avoir échappé à plusieurs bandits prêts à les faire passer de vie à trépas, ils arrivent à bon port. Maria Grant est bien présente ; il n’y a plus qu’à la délivrer en faisant diversion car à 4 contre 150 les chances sont bien minces de s’en sortir vivants. L’audace de ces "professionnels" va payer... mais pour quel résultat... ?!

Analyse et critique

Concernant l’intrigue, je ne vous en dévoilerai pas plus, car si vous pensiez tomber sur un ersatz des Sept mercenaires auquel il fait au départ très logiquement penser, il n’en est rien sur le fond et, contrairement au scénario conventionnel et ronronnant du film de John Sturges, ici les surprises et retournements de situation sont non seulement de taille mais se révèlent ne pas uniquement être de simples twists, amenant au contraire des réflexions politiques et morales assez passionnantes ! Que ceux qui ne connaitraient pas encore Les Professionnels évitent de lire ce texte puisqu’il est difficile de parler du film sans évoquer ces spoilers qui pour certains, très lucides, sont à l'origine d'une allégorie sur l’engagement des États-Unis au Vietnam et qui font aujourd'hui de ce western une œuvre toujours autant d’actualité dans son "message". Pour ceux-là donc, rendez-vous directement à la conclusion qui évitera de revenir sur ces aspects surprenants tout en résumant tout le bien que je pense de ce deuxième des trois westerns réalisés par le talentueux Richard Brooks, bien plus riche et complexe qu’il le laissait présager durant les premières minutes. Une complexité parfaitement bien résumée par cette réplique à la fois simple et vertigineuse : « Maybe there's only one revolution, since the beginning, the good guys against the bad guys. Question is, who are the good guys ? »

Le premier western de Brooks avait été réalisé dix ans auparavant, il s’agissait de La Dernière chasse (The Last Hunt), un impitoyable réquisitoire contre les génocides quels qu’ils soient et un miroir peu reluisant de l'Amérique de l’époque. Réputé pour son progressisme et son goût pour les sujets qui fâchent, ancien journaliste, scénariste et romancier, Brooks a toujours été un libéral rempli de bonnes intentions et de concepts généreux ; il va passer une bonne partie de sa carrière à traiter avec talent, force et conviction de sujets à caractères sociaux ou politiques et à dénoncer les abus et les idées qui le font s'indigner, en scénarisant lui-même la plupart de ses propres films (ce qui était encore extrêmement rare à Hollywood dans les années 50/60). Auteur complet, il fut réhabilité en France grâce à Patrick Brion, la majorité de la critique ayant jusque-là été toujours assez frileuse à son encontre ; on avait un peu de mal dans notre pays avec les réalisateurs qui se mouillaient politiquement et socialement parlant, on les accusait souvent - pas toujours à bon escient - de manquer de subtilité, de s'avancer avec de gros sabots, etc. A priori, contrairement au déroutant La Dernière chasse, au vu du pitch et des premières séquences, Les Professionnels ressemblait plutôt à ces nouveaux "blockbusters westerniens" du début des sixties initiés par Les Sept mercenaires (The Magnificent Seven), des films à grand spectacle aux scénarios assez basiques et avant tout destinés à mettre en scène des personnages monolithiques et des séquences mouvementés et spectaculaires (et pourquoi pas d'ailleurs, je ne crache pas du tout sur de tels divertissements). Il y a certes peut-être un peu de cela dans le western de Richard Brooks, avec des "mercenaires" rassemblés pour mener à bien une mission suicide "humanitaire" en plein Mexique... Mais le film est beaucoup plus riche et mature, amenant - comme il a été dit ci-dessus - plusieurs pistes de réflexion captivantes : des dilemmes moraux se posent aux différents protagonistes qui aboutissent à des questionnements sur les valeurs révolutionnaires, l’idéalisme, les notions d'honneur, les mutations de l’époque...

Ce western, qui ne manque pas de panache, est construit en à peu près trois parties d’égale longueur encadrées par de "lapidaires" prologue et épilogue sans aucune graisse inutile. Outre sa ressemblance de prime abord avec le film le plus connu de John Sturges - et non pas le meilleur -, il possède également pas mal de points communs avec un autre classique du western, Le Jardin du diable (Garden of Evil) de Henry Hathaway, justement de par sa construction d'ensemble jusqu’à cette dernière partie au cours de laquelle un volontaire doit rester en arrière pour empêcher les poursuivants de rattraper le reste du groupe. La plus grosse différence entre les deux films sera néanmoins l’optimisme jubilatoire du final de Richard Brooks qui contraste énormément avec le "romantisme nihiliste" de celui de Hathaway. Mais revenons-en tout d'abord au point de départ ! Le prologue se déroule alors même que défile le générique sur la musique vigoureuse et très vite entêtante de Maurice Jarre. Il s’agit tout simplement de la présentation des quatre "professionnels" par l’intermédiaire de quatre vignettes successives vite expédiées et assez basiques, chacun de ces mercenaires étant dépeint par un seul trait de caractère : l’homme à femmes (Lancaster), l’amoureux des animaux (Ryan), le soldat pur et dur (Marvin) ainsi que l’homme à la forte musculature qui ne s’en laisse pas compter (Strode). C’est vif et enlevé, mais cela ne donne pas forcément une bonne opinion de ce western qui semble ainsi devoir se montrer simpliste et manichéen ; un préjugé vite pulvérisé après que les quatre aventuriers se sont retrouvés et que leur mission leur a été dictée. Ils devront trouver et ramener la femme d’un rancher millionnaire qui aurait été kidnappée par un dangereux révolutionnaire mexicain, Jesus Raza. Seulement, des failles et des interrogations se révèlent immédiatement ; Marvin et Lancaster, qui ont participé à la révolution mexicaine à ses côtés, n'imaginent pas Raza avoir commis ce genre d’exaction pour de l’argent.

Après ce prologue ultra rapide et des questionnements qui se font jour d’emblée, la première partie peut débuter, celle qui narre le "voyage" de ces quatre hommes vers le domaine du "kidnappeur" en plein désert mexicain. On s’aperçoit immédiatement de l’immense talent du cinéaste dans sa gestion de l’espace et à travers l’astucieuse utilisation des décors naturels, capable de toujours trouver l’angle le plus efficace pour le placement de sa caméra, le bon axe en rapport au positionnement des rochers, de leurs moindres anfractuosités et originalités... Cinématographiquement, il est difficile de prendre le film en défaut ; la construction du récit accolée à la qualité de la mise en scène feront que, malgré ses quelques lacunes, il restera jubilatoire de bout en bout. Puisque nous venons de pointer des faiblesses, il faut savoir que nous avons droit lors de ce premier tiers à des caricatures de Mexicains (tous alors de fieffés imbéciles ou de sadiques assassins au rire tonitruant) dont on pensait s’être débarrassé après l'élément "péniblement perturbateur" du pourtant superbe Rio Bravo de Howard Hawks, à savoir Pedro Gonzales-Gonzales. Et l'on se rend également compte de la manière dont sont sous-employés les pourtant excellents Woody Strode et surtout Robert Ryan, quasiment réduits ici à faire de la figuration ; tout comme Claudia Cardinale - quelle belle figuration néanmoins ! -, le film tenant quasiment sur les seules épaules - mais quelles épaules ! - des impériaux Lee Marvin et Burt Lancaster : le premier préfigure son rôle dans Les Douze salopards (Dirty Dozen) de Robert Aldrich, le second semble sortir tout droit de Vera Cruz - du même Aldrich - mais avec plus de maturité et de ce fait plus d’humanité. Après avoir appris à mieux connaitre ces personnages qui nous apparaissent cependant toujours assez monolithiques, le film nous fait parvenir au domaine du kidnappeur où débute la seconde partie consacrée au plan mis en place pour délivrer la belle ; il s'agit du segment "sauvetage" qui fait le plus penser aux films de commandos initiés par l'immense hit de John Sturges, un sous-genre qui se poursuivra pendant dix bonnes années à partir des Douze salopards évoqués ci-dessus.

Si ce deuxième tiers apparait toujours assez conventionnel (préparation, suspense, exécution, action avec moult explosions), c’est cependant à ce moment-là que l’on s’aperçoit que la mission a quelque chose de grippée. En effet, la femme à délivrer se révèle avoir rejoint les rangs des révolutionnaires mexicains de son plein gré pour aller retrouver son "ravisseur" qui est tout simplement son amour de jeunesse. Elle n’a en fait jamais été kidnappée mais a fui expressément son mari, ce qui confirme les doutes émis d’emblée par Bill qui avait du mal à croire au fait que Raza ait pu commettre un tel acte. Quoi qu’il en soit, nos professionnels comptent bien mener leur mission à bien - la récompense n'étant pas négligeable - et repartent dans une trépidante chevauchée pour une troisième partie qui prend de la hauteur qualitativement à tous les niveaux. Les personnages ont évolué, se sont dévoilés - notamment leur part d’humanité -, le suspense va crescendo, le petit groupe de cinq étant alors poursuivi sur le chemin du retour par toute une horde de Mexicains à leurs trousses conduite par le supposé sanguinaire Raza (on l'a vu auparavant massacrer des soldats mexicains). Alors que Bill a décidé de se porter volontaire pour retenir les poursuivants le temps que le reste du groupe prenne le large, il se retrouve à devoir se confronter au fameux bandit qui délivre - alors que l’on ne s’y attendait absolument pas - le plus beau discours du film, d’un lyrisme échevelé : « La Revolucion is like a great love affair. In the beginning, she is a goddess. A holy cause. But... every love affair has a terrible enemy : time. We see her as she is. La Revolucion is not a goddess but a whore. She was never pure, never saintly, never perfect. And we run away, find another lover, another cause. Quick, sordid affairs. Lust, but no love. Passion, but no compassion. Without love, without a cause, we are... nothing ! We stay because we believe. We leave because we are disillusioned. We come back because we are lost. We die because we are committed. » Superbe envolée que je souhaitais vous faire partager dans son intégralité, une magnifique séquence entre Burt Lancaster et Jack Palance, ce dernier dévoilant alors son véritable visage, celui d’un révolutionnaire romantique qui veut encore sincèrement croire en son combat malgré les innombrables désillusions qui ont jonché son parcours. La mort dans les bras de Burt Lancaster de la jeune femme-soldat - sorte de bras droit du chef mexicain - est un autre très grand moment du film de Richard Brooks.

Le réjouissant épilogue nous donne à voir un dernier et brusque revirement qui nous laisse le sourire aux lèvres ; Brooks achève son film par un pied-de-nez qui lui ressemble bien, remettant les valeurs d’honneur, de pureté et d’idéal sur le devant de la scène, et, comme ses protagonistes, ne cachant pas son admiration pour ces indomptables révolutionnaires. Il décrivait d’ailleurs ainsi son film et son final : "Dans les limites de leur action présente, ces professionnels possèdent toujours les mêmes critères moraux et ne veulent pas les changer. Bien qu'ils n'aient plus été enrôlés dans la révolution, ils ont tâché de conserver ses valeurs de pureté, d'idéal même dans leur métier de mercenaires. Ils pouvaient être "loués" mais ils devaient connaitre le but de leurs actions. Si c'était valable, ils étaient même prêts à perdre leur vie. Si c'était un mensonge, ils se retiraient, se retourneraient même, comme cela se passe à la dernière minute. Ils préfèrent ne pas être payés que de trahir ce pourquoi ils se sont battus." Lee Marvin est parfait dans la peau du chef de groupe, charismatique, amer et brutal mais droit, sachant prendre les bonnes décisions et, malgré ses désillusions, non dépourvu d’idéalisme. Burt Lancaster - qui avait en 1960 gagné un Oscar grâce à Richard Brooks pour son interprétation dans Elmer Gantry - est jubilatoire en mercenaire cynique, jovial, roublard et paillard, n’arrêtant pas de se retrouver sans pantalon, néanmoins loin du clown qu’on aurait pu imaginer au vu de cette description, sachant retrouver son sérieux quand il le faut et même capable d’une grande humanité. Des hommes ayant perdu beaucoup de leurs illusions de jeunesse, qui ne sont pas des héros, qui se battent d'ailleurs désormais pour de l’argent et accomplissent des missions pas spécialement glorieuses mais dans le cœur desquelles il reste une étincelle de pureté et où il n’y a aucune place pour la lâcheté. Enfin, Ralph Bellamy pourrait être une sorte de symbole représentant une Amérique entre les mains de politiciens qui flouent les citoyens en leur racontant des mensonges pour faire passer la pilule de leurs actions douteuses (d’où le rapport à cette époque avec l’engagement par Lyndon B. Johnson de son pays dans le conflit vietnamien).

Deux personnages principaux marqués par leur passé révolutionnaire, établissant d’intéressants rapports entre eux et dont les comportements évoluent au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue ; une situation initiale qui finit par s’inverser pour notre plus grand bonheur ; une splendide utilisation des extérieurs (dont ceux de Death Valley) ; une photographie somptueuse en Cinémascope / Technicolor de Conrad J. Hall ; une musique trépidante de Maurice jarre ; des répliques savoureuses qui fusent et crépitent ; des scènes d’action d’une redoutable efficacité... Dommage en revanche que certains personnages aient été à ce point sacrifiés et que le film - malgré l’indéniable savoir-faire de son réalisateur - paraisse parfois un peu guindé et mécanique, auquel cas contraire nous n’étions guère éloignés du chef-d’œuvre. Néanmoins, Les Professionnels est un grand spectacle adulte, intelligent, souvent passionnant par ses enjeux dramatiques et tout à fait recommandable aussi par le fait de prôner entre autres valeurs l’amitié, la loyauté et l’engagement. Un des meilleurs "westerns d’aventure" qui soit, à la fois musclé, spectaculaire et haut en couleurs, cependant non dénué de vertus morales, philosophiques et politiques. Grandeur des sentiments, profondeur, humanisme et foi en l’homme au travers d'un grand film de divertissement : en quelque sorte du Richard Brooks parfaitement résumé !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 31 décembre 2016