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Critique de film
Le film

Les Oies sauvages

(The Wild Geese)

L'histoire

Le richissime Matherson engage le très vétéran colonel Allen Faulkner pour mener une troupe de mercenaires pour sauver le très démocrate président Limbani du "Zembala" et le remettre au pouvoir. Allen recrute ses vieux amis, le charmant et sourcilleux Shawn Fynn et le planificateur idéaliste Rafer Janders et une cinquantaine d'hommes, bientôt entraînés et lâchés en Afrique. Et là, tout s'enchaîne.

Analyse et critique

Un : je prends Les Oies Sauvages pour ce qu'il ne devrait pas être, un film entrant dans la catégorie film du jeudi soir sur FR3 (je n'ai pas dit France 3, ce n'est plus la même chose) : ça renvoie à mes jeunes années. Le jeudi soir voulait dire que c'était bientôt vendredi soir. Le film du jeudi soir sur FR3 est en gros un film multi-diffusé – je cite de mémoire La Grande Menace, Le Dossier Odessa ou La Nuit des Généraux -, sympathique une première fois, et dont le charme fané s'étiole de vision en vision. Je retombe dessus, j'en vois un bout sur le pouce, j'isole une petite séquence que j'aime bien et me lève, ou pas, pour faire autre chose quand elle s'achève. Jon Voight a attrapé le nazi ! Cuisine. Omar Sharif a attrapé le nazi ! Cahier de textes. Je reviens pour une autre séquence favorite. Cuisine, Jon Voight a attrapé le chef des nazis ! Cahier de textes (ou ce que vous voulez), Philippe Noiret a rattrapé le nazi ! Pour Les Oies Sauvages, c'était Télé 7 jours et Roger Moore sadique faisant parler la poudre face à un jeune dealer.


Deux : Roger et moi, c'est une longue histoire, même si c'est pas très à la mode de l'apprécier. J'ai toujours adoré son air fat, cet air qui vous dit constamment "eh oui! C'est moi Roger Moore". Oui, c'est lui, cette prestance un peu lourde pendant des années 70 assez difficiles sur le plan vestimentaire. Sa maîtrise tant décriée du froncement de sourcil en guise de jeu d'acteur, mais telle que sa technique en devient subliminale. Son regard pétillant de je-m'en-foutisme quand il traverse une pièce. Face aux critiques et au public se déchirant pour savoir si c'est un regard champagne ou Champomy, il ne lève pas un doigt mais un sourcil pour signifier que son cachet lui paie sa consommation de cigares cubains. En fait, son don – ou sa malédiction – c'est de ne jamais avoir été autre chose que Roger Moore dans ses apparitions. Et il ne s'en est jamais caché. Il est le seul à pouvoir incarner Roger Moore – la même partition de parapluie mondain en foulard à l'aise de Monaco à Gstaad - et il faut aimer ça. On va m'accuser de partialité puisque dans Les Oies Sauvages, il partage l'affiche avec messieurs Burton et Harris (et fait à peu près tout ce qui a été cité plus haut). Bon, je ne suis pas sectaire, je ne suis pas fan du Saint (il y est trop raide). De là à dire qu'il est la seule bonne raison de revoir Les Oies Sauvages, je n'irai (presque) pas jusque là.

Trois : Les Oies Sauvages est représentatif d'un sous-genre cinématographique éphémère de la fin des années 70 (avec Les Chiens de Guerre, plus réaliste) : le film de mercenaires post-coloniaux, ces soldats de fortune renversant des états africains pour beaucoup d'argent et très peu d'idéologie. En étant plus précis, on peut aussi ranger Les Oies Sauvages dans la case "film de commandos de vieux briscards" (la nostalgie, camarade), Andrew McLaglen ayant entamé avec ce film une trilogie informelle avec Moore en fil rouge, et où des gentlemen plus très verts sautent sur les méchants : Le Commando de sa Majesté (avec Gregory Peck et David Niven) et le meilleur du lot, Les Loups de haute mer, où, misogyne barbu et amateur de chats, Moore affronte Anthony Perkins sur une plate-forme pétrolière sous les yeux d'un James Mason fripé. On pourrait même écrire que ces films font la transition avec un autre genre de la décennie suivante : le film bananier sud-américain (Salvador, Under fire). Ainsi, en Afrique ou ailleurs, de grandes puissances se disputent la main mise sur des états instables et déchirés pour de basses raisons stratégiques. (1)

Le producteur Euan Lloyd avait envisagé Les Oies Sauvages comme un film d'aventures à l'ancienne, dans l'esprit des Canons de Navarone, avec stars (masculines) à la clé. Dernier des indépendants anglais, sorte de petit mogul version Golan-Globus (3) mais en beaucoup plus courtois et gentleman, Lloyd fait tout pour préserver sa liberté sur le projet. Il raconte avoir vendu le manteau de sa femme et sa voiture, résiste aux pressions en tous genres : à Burt Lancaster intéressé par le rôle de Richard Harris (mais menaçant de tirer la couverture à lui), aux agents américains lui proposant O.J. Simpson pour le rôle de Moore, à United Artists lui suggérant un certain Michael Winner comme réalisateur. Mais Lloyd veut son film de (vieux) coqs, de "grands garçons, de vieux camarades" à sa manière, et impose Andrew McLaglen, réputé pour ses films avec beaucoup d'hommes dedans.


Ces Oies Sauvages sont bien datées aujourd'hui, plus proches en fait de L'Ouragan vient de Navarone. Le problème est que le film – (petite) production de prestige vivifiant un cinéma britannique alors en crise et pratiquement maintenu en vie par les James Bond (4) - était déjà franchement daté à sa sortie. Les scènes d'intérieur évoquent un feuilleton télé anglais, l'action est brouillonne et pas toujours passionnante (on court dans la brousse comme des poulets, on tire, ils tombent, on court dans la brousse comme des poulets). Le manque de moyens se fait parfois sentir, puisque la scène de l'attaque du convoi sur le pont aurait été vraiment impressionnante si le pont avait fait un peu plus de deux mètres de haut. McLaglen et le montage un peu trop haché de John Glen vont à l'essentiel, et font suffisamment de bruit et de mouvement dans le cadre pour tenir éveillé le spectateur. On note une violence graphique juste comme il faut (évoquant Il faut sauver le Soldat Ryan dans le commentaire audio, John Glen dit préférer la suggestion à la crudité contemporaine dans le cinéma), un sadisme juste comme il faut (un personnage est tué pour qu'on lui évite d'être découpé en morceaux) et surtout, beaucoup de testostérone. On jure beaucoup et c'est bien. De fait, les femmes – entre autres, la poule croupière de Roger, la mégère du sergent instructeur et l'ancienne maîtresse invisible de Richard Harris – décorent ce film aviaire où le spectateur (enfin moi) picore ce qu'il veut. Ailleurs, un infirmier homosexuel a une pensée émue pour son proctologue et imite Zaza Napoli face à une poignée de soldats agitant leur machette.

Que reste-t-il? Les acteurs mais pas forcément ceux qu'on croit : entre un Richard Burton (sa meilleure réplique est sa dernière, la plus connue : "Emile…") en bois et Moore en mode Moore, Richard Harris tire son épingle du jeu avec son rôle de stratège papa poule, affublé d'un gamin pendant angelot poussin du Damien de La Malédiction. De même que Jack Watson, en sergent instructeur pré-R. Lee Ermey sentant le trèfle. Hardy Krüger (on a échappé à Curd Jürgens) hérite d'un rôle bizarrement écrit (et ingrat) de sud-africain pas si raciste, se plaignant du Fardeau de l'Homme Blanc en Afrique et acquis en une conversation aux idées anti-apartheid. Paradoxalement, c'est de lui que vient la réplique à peu près la plus sensée du film : "vous tuez pour imposer des idées sur la destinée de certains hommes, qu'elles soient justes ou pas." Et là, Burton, Moore et Harris regardent leurs bottes. Critiqué à sa sortie pour avoir été tourné en Afrique du Sud, le film dispense grossièrement quelques idées généreuses sur le cynisme des banquiers, la moralité du mercenaire en principe de peu de foi (alors que Mike Hoare, un mercenaire pur jus de chique et conseiller technique du film, décrète dans le making-of qu'un bon mercenaire est celui qui ne travaille pas par idéologie), l'immoralité des dealers et la réconciliation blancs et noirs (pendant l'intermède dit du baobab). Mais une patine de défaitisme très années 70 recouvre le tout de manière intrigante : ça sent le baroud d'honneur, la dernière croisade pour ne pas sonner l'heure de la retraite. Si le combat du Président Limbani est finalement écarté comme vain, la vengeance finale de Richard Burton l'est toute aussi. On se demande furieusement ce que Michael Winner aurait fait d'un sujet pareil… (Rien, me répond la foule)

(1) L'affaire du putsch avorté en Guinée Equatoriale en 2004 (des mercenaires commandités aux nom d'intérêts pétroliers par le fils de Lady Margaret Thatcher sont arrêtés) rappelle que peu de choses ont changé depuis.

(2) le titre animalier fait référence aux mercenaires irlandais combattant dans les armées européennes du 17ème au 19ème siècle.

(3) Comparaison non fortuite, Lloyd ayant œuvré dans le film de genre au budget serré à partir des années 60 : le western Shalako avec Connery et Bardot, Opération opium et ses stars Mastroianni, Brynner, Sharif et d'autres payés pour un dollar symbolique ou le très thatchérien Who dares wins, où les commandos anglais bottent les fesses d'extrémistes pacifistes menés par Judy Davis. Surtout, Lloyd semble être l'un des premiers producteurs à pré-vendre aux distributeurs un film sur la seule foi du script et de ses têtes d'affiche. Méthode très cannonienne.

(4) On retrouve au générique du film, comme dans nombre de productions anglaises, des noms familiers de l'équipe technique des Bond : entre autres, John Glen bien sûr (monteur, réalisateur de 2nde équipe puis réalisateur de cinq Bonds), Syd Cain aux décors, le cascadeur Bob Simmons et Maurice Binder, substituant aux femmes nues et canons phalliques de ses génériques bondiens des images d'actualités africaines un peu moins glamour.

 


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La fiche IMDb du film

Par John Constantine - le 20 octobre 2005