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Critique de film
Le film

Les Jarretières rouges

(Red Garters)

L'histoire

Reb Randall (Guy Mitchell) arrive à Limbo County (ville imaginaire de Californie) sur son cheval « qui n’aime pas les chevaux et qui, s’il avait été un homme, aurait probablement été voleur de chevaux. » La ville est actuellement désertée : seul un enfant d’une dizaine d’années, puni pour avoir tiré des coups de feu sur l’école, erre dans la rue principale avec son revolver à la ceinture. Ce dernier lui apprend que les autres habitants se sont rendus au barbecue traditionnel qui suit chaque enterrement. Aujourd’hui, c’est Robin Randall que l’on met joyeusement sous terre ; d’autant plus gaiment qu’il s’agissait d’un type peu fréquentable. Seulement, le code de l’Ouest stipulant qu’un homme digne de ce nom se doit de venger son frère, Reb est là pour accomplir cette tâche. En attendant de trouver le coupable, il participe aux festivités et tourne autour de la jolie Susanna Martinez de la Cruz (Pat Crowley) ; ce qui n’est pas du goût du tuteur de cette dernière, l’homme qui règne sur la ville, l’arrogant Jason Carberry (Jack Carson) qui est incapable de monter ou de descendre de cheval sans s’étaler par terre de tout son long. Jason a pour petite amie la pulpeuse chanteuse du Red Dog Saloon, Calaveras Kate (Rosemary Clooney), seule femme de la ville à vouloir empêcher les mâles de vouloir dégainer leur arme à tout bout de champ et pour n’importe quelle futile raison. D’ailleurs, Reb est sur le point de se battre en duel avec Rafael Moreno (Gene Barry), un pistolero tout de noir vêtu, « né pour séduire les femmes et tirer vite » qui vient de lui lancer un regard qu’il n’a guère apprécié !

Analyse et critique

« You're about to see a new kind of western » prévient un carton avant même que le logo de la Paramount n’apparaisse à l’écran. Et quand c’est justement au tour des montagnes majestueuses du studio de se montrer à nous, elles se dévoilent sous un jour nouveau, en se découpant sur un fond rouge vif alors que les étoiles qui les entourent se mettent à entamer une sarabande endiablée pour se retrouver à l’image en tant que lampes de théâtre éclairant une scène de spectacle sur laquelle Rosemary Clooney (oui, la tante du fameux George) et ses girls dansent, portant les jarretières rouges du titre ! Autant dire qu’une joyeuse originalité semble d’emblée être mise en avant. Et effectivement, cette comédie musicale westernienne sera avant tout destinée aux amateurs de curiosités (musicales de surcroit) plus qu’aux fans de westerns. Après une période de vache maigre dans le western, George Marshall, au moins mémorable pour son réjouissant Femme ou démon (Destry Rides Again) avec James Stewart et Marlène Dietrich, faisait son retour avec ce Red Garters surprenant à défaut d’être palpitant ! Car passé l’effet de surprise bien réel, si certains continueront à s’y amuser, il est fort probable qu’une majorité s’y ennuiera.

Pas facile de narrer l’intrigue de cette parodie enjouée de western. Car si le film fourmille d’idées amusantes, il faut bien vite se rendre à l’évidence : son scénario est totalement inconsistant et finira assez vite par lasser une majorité de spectateurs. Les histoires de Annie Get your Gun, Calamity Jane ou Harvey Girls (pour ne citer que les autres comédies musicales westerniennes déjà sorties) n’étaient guère plus originales mais possédaient l’avantage d’être bien écrites alors que Red Garters est une sorte de vaudeville sans quiproquos narrant dans le même temps trois romances simultanées, sans qu’aucune d’entre elles ne possède de saveur. Bref, il faut prendre le film pour ce qu’il est (et c’est déjà pas mal) : une parodie cocasse de western avec plusieurs bons gags et situations drolatiques, ainsi que de nombreuses répliques délectables au sein d’une intrigue squelettique et sans intérêt. L’humour parfois surréaliste du film est dû en partie à Frank Tashlin qui avait au départ participé à l’écriture du scénario. C’est probablement sous son influence que sont nées les idées réjouissantes et saugrenues du cheval qui n’aimait pas les chevaux, du gamin aux révolvers seul "gardien" de la ville désertée, ou drolatiques de la cavalerie arrivant après la fin des événements, du running gag des cowboys soulevant leur chapeau à chaque fois qu’est évoqué le sacro-saint "Code of the West"… Beaucoup d’autres situations s'avèrent très drôles comme le couard fier de l’être, les habitants de la ville dépités lorsque Rosemary Clooney fait capoter un duel qui aurait pu être sanglant et meurtrier, et qui aurait donc pu être suivi par un nouveau barbecue...

La grande originalité du film, ce qui aurait pu faire une œuvre culte, c’est sa direction artistique, son style visuel donnant l'impression au spectateur d'assister à une représentation de comédie musicale dans une salle de spectacle. Red Garters a d’ailleurs été nommé aux Oscars pour ses superbes décors mis au point par Hal Pereira et Roland Anderson. Des décors stylisés au maximum, totalement abstraits, sur fond de couleurs vives sans aucun dégradés : ce qui donne les scènes en extérieurs dans des coloris jaunes avec le sol tapissé de sable, les séquences se passant dans le saloon dans des teintes rouges, celles de nuit sur fond bleu clair. Les personnages passent d’une pièce à l’autre en ouvrant des portes qui donnent sur des pièces sans murs, les fenêtres sont suspendues dans le vide, les arbres sont clairement en cartons… Edith Head a confectionné de superbes costumes, "kitchissimes" à souhait, flashant sacrément lors des quelques séquences de danse avec forte figuration, d’autant que le Technicolor est très bien utilisé pour accentuer ces couleurs anti-naturelles au possible. Autre bel effet plastique ; celui des costumes noirs du couple formé par Gene Barry (parodiant un Mexicain) et la jolie Joanne Gilbert qui de détachent magnifiquement lors d’une séquence où on les voit danser tous les deux sur fond bleu.

Les acteurs cabotinent à souhait pour notre plus grand plaisir (Jack Carson est parfaitement rôdé à cet exercice et se fait de nouveau grandement plaisir à interpréter un homme fat et arrogant) ; emmenée par la charmante Rosemary Clooney, nous nous retrouvons devant une jolie "brochette" de comédiennes plus attrayantes que réellement talentueuses. Quant à la musique écrite par Jay Livingston et Ray Evans, les duettistes auteurs de Silver Bells et Que sera, sera, elle n’est pas désagréable même si presque aucune mélodie ne vous restera en mémoire à l’exception de l’air que chante Guy Mitchell à plusieurs reprises, Dime and a dollar, ainsi que celui qui fait pendant aux deux séquences de "scènes de ménage" entre Howard Keel et Betty Hutton d’une part, Doris Day de l’autre dans respectivement Annie reine du cirque et Calamity Jane : l’amusante Man and Woman. Il est dommage que les chorégraphies de Nick Castle manquent à ce point d’imagination et de dynamisme car, à l’aide de ces décors expressément artificiels ultra-colorés et de ces costumes chatoyants, il y aurait eu de quoi rivaliser avec celles, géniales, signées Busby Berkeley ou d'autres, énergiques, mises en place par Michael Kidd (ce dernier en fera d’ailleurs la démonstration dans le courant de cette même année avec Les Sept femmes de Barbe Rousse).

Un tiers western, un tiers comédie, un tiers musical : voilà un film surprenant, tournant en dérision tous les clichés du western sans presque jamais être lourd (excepté le personnage de la squaw idiote) ni ennuyeux, même si l'ensemble tourne assez rapidement à vide au fur et à mesure de l’avancée du film. Filmé dans des décors totalement abstraits, entièrement en studio, Les Jarretière rouges est un film entraînant, drôle et comprenant d’assez bonnes chansons. Où le "Code de l'Ouest" est ridiculisé et où il vaut mieux être un couard vivant qu'un héros mort ! Une curiosité fraîche et joyeuse plutôt bien mise en scène par un George Marshall qui balade à son aise sa caméra au milieu de ses décors en carton-pâte. Mais il aurait été curieux de voir le résultat s’il avait été mis en scène par le réalisateur pressenti au commencement du projet, le plus délicat Mitchell Leisen. Enfin, il est dommage que le film soit dépourvu d’une bonne histoire et d’un background musical plus facilement identifiable. En l’état, il peut néanmoins délasser !

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 22 mai 2012