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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Géants de l'Ouest

(The Undefeated)

L'histoire

En 1865 aux USA, la guerre de Sécession s'achève tout juste. Le colonel John Henry Thomas quitte l'armée nordiste et, avec ceux qui restent de ses anciens hommes, convoie jusqu'à Durango, au Mexique, les chevaux qu'il vient de vendre à l'Empereur Maximilien. En chemin, il sauve une communauté de familles d’une bande de pillards, menée au Mexique par l'ancien colonel de l'armée sudiste James Langdon, pour fuir la famine et les éventuelles représailles consécutives à ces années de guerre...

Analyse et critique


En 1969, John Wayne est à l’apogée de sa gloire et, disons-le, de son mythe. Mythe qui par ailleurs ne redescendra plus jamais de son Olympe. (1) Un an auparavant, la sortie en salles de son film personnel Les Bérets verts a fait couler beaucoup d’encre et l’a séparé d’une importante partie de la jeunesse américaine, désormais positionnée en adversaire moral. La houle fait tanguer le statut public de Wayne, et cela va continuer jusqu’au début des années 1970. Par la suite, l’acteur n’aura de cesse de converser avec ses détracteurs, par le biais de films cohérents dans leurs démarches thématiques et, malgré quelques avis un peu trop rapidement tranchés à leur encontre, jamais fascisants, bien au contraire (Les Cowboys, Les Cordes de la potence, McQ ou encore Le Dernier des géants). Le Duke se confrontera également en public à la jeunesse contestataire (2), mais aussi à ses adversaires intellectuels, et gagnera au passage, non pas le débat mais au moins le respect de ses idées et la reconnaissance de sa propre tolérance à l’égard de toutes opinions différentes des siennes. Pour l’heure, l’année 1969 marque un pas essentiel dans sa carrière, avec la sortie au cinéma de True Grit (Cent dollars pour un shérif en français), réalisé par Henry Hathaway. Le film, superbe promenade automnale lardée de touches violentes et réflexives, installe définitivement Wayne au sommet de son image populaire d’Américain typique et conforte sa fougue iconique. Pour la première fois, la star y apparait véritablement vieillie, le ventre proéminent, la soixantaine enfin installée mais le regard plus pétillant que jamais, perçant la très affectueuse et subtile caméra de Hathaway de son œil bleu ravageur. On a souvent eu un peu trop tendance à considérer True Grit comme un banal western tranquille dans lequel Wayne cabotine tout son saoul. Mais on peut également admirer ce film pour ce qu’il est, à savoir un magnifique moment de détente, empli de poésie et de douceur, marqué par un Wayne décisif, négociant avec un temps plus enclin à la violence mais en y ôtant tout voyeurisme. Hathaway réussissait là un petit chef-d’œuvre de simplicité et de tendresse, donnant l’occasion à son acteur de changer de visage, de remodeler son attitude et d’entrer dans la dernière partie de sa carrière en asseyant toujours un peu plus sa présence charismatique et sa gouaille.



Wayne aurait sans doute mérité l’Oscar du meilleur acteur pour quantité d’autres films, d’ailleurs souvent réalisés par Ford si l’on y songe, mais l’on peut penser qu’il ne l’a pourtant pas volé à cet instant-là. Cette récompense venait à point nommé couronner toute sa carrière passée, homérique, et souligner le fait que son image vieillissante mais cogneuse avait gagné le cœur du public et de la presse. Il convient également d’observer le succès commercial et critique que le film a soulevé dès sa sortie pour s’en rendre compte, décrochant une jolie série de papiers élogieux ainsi que la 6ème place du box-office annuel aux USA, avec pas moins de 31 millions de dollars de recettes. Si Rooster Cogburn ne constitue pas le plus beau rôle ni la plus belle performance de John Wayne, il demeure néanmoins l’un de ses plus attachants et contradictoires, et même l’un de ses plus émouvants (à condition, dans ce dernier cas de figure, de connaître un peu la carrière et la vie de la star). La même année, le Duke tourne son troisième film sous la direction de son ami et réalisateur Andrew V. McLaglen, fils de l’acteur et ami fordien Victor McLaglen. Il s’agit des Géants de l’Ouest, ou de The Undefeated en version originale (soit Les Invaincus, traduction a fortiori bien plus belle). Après Le Grand McLintock, passade comique tout à fait équivoque et lourde à digérer mais assez sympathique, et Les Feux de l’enfer, solide film d’action aux fondements un peu creux mais visuellement impressionnant sur le milieu des pompiers des puits de pétroles, McLaglen dirige donc à nouveau son ami avec ce relâchement et cette désinvolture qui en caractérisent la collaboration. La suite verra le tandem accoucher d’un Chisum redoutable de médiocrité technique, et surtout des Cordes de la potence, très beau western mature et doux, lieu de pérégrinations symboliques et de remises en questions intimistes. Ce dernier constituera indéniablement le meilleur de leurs opus communs, parmi un cortège de cinq films plus ou moins convaincants. Présentement, Les Géants de l’Ouest est un divertissement de facture ordinaire, mais qui nécessite que l’on y regarde d’un peu plus près pour se rendre compte à quel point il peut être assez joli. Le tournage s’est visiblement déroulé dans une ambiance très bon enfant, Wayne et Hudson sympathisant vite, démontant discrètement par ce biais que le Duke n’était pas un homophobe binaire. Contexte social de l’époque mis à part (très important cela dit, car excessivement différent du notre aujourd’hui), Wayne a montré beaucoup d’affection et de compréhension pour Hudson, ce dernier invitant en outre régulièrement son compagnon sur le tournage. Les deux hommes resteront amis jusqu’au-bout. Les Géants de l’Ouest ne fera pas date, à commencer par sa sortie en salles qui totalisera un peu moins du tiers des recettes de True Grit sur le sol américain. Particulièrement dur à l’égard du résultat final, la star Rock Hudson déclarera que si le film avait obtenu un score décent au box-office, c’était tout simplement parce qu’il profitait de l’aura du film de Hathaway sorti auparavant.


Or le film n’est certes pas un chef-d’œuvre, loin de là, mais s’avère plutôt joliment façonné et parfaitement apte à occuper une soirée en famille. Ce qui est déjà beaucoup. On y retrouve tous les ingrédients du western à la John Wayne, avec son éthique, son code moral, son humanisme, son paternalisme (qui séduira ou déplaira, c’est selon) et bien entendu son goût pour l’action et les embrassades viriles. McLaglen y ajoute sa verve désuète, filmant un récit intéressant en lui donnant l’air d’un film d’une autre époque. Si les années 1960 percent fièrement l’identité de la pellicule, par le grain, les couleurs et l’apparence des acteurs, on peut cependant reconnaître que la teneur générale apparait fondamentalement passéiste. Si True Grit conversait agréablement et intelligemment avec son temps, face à La Horde sauvage de Sam Peckinpah, western de la même année, extrêmement sombre, désespéré et surtout violent (aux limites du gore le plus épouvantable pour l’époque), ce Géants de l’Ouest cherche au contraire à retrouver la fraicheur de la décennie précédente. Et encore, les années 1950 ont vu passer quantité de westerns plus modernes et violents que celui qui nous intéresse ici. McLaglen, c’est en quelque-sorte l’esprit pionnier qui dominait il y a longtemps. Il couvre ses personnages de poussière, les étreint avec une délicatesse virile toute masculine (au sens topique du terme) et les projette à la poursuite de leurs rêves simples aux idéaux sains. Si le réalisateur a dirigé tant de stars durant sa carrière (3), c’est aussi parce qu’il savait facilement comment les mettre à l’aise, et surtout leur faisait comprendre qu’elles étaient là pour s’amuser. On peut apprécier ses films comme de plus ou moins intéressantes pauses festives au sein des carrières de ces stars qui sont passées le saluer. Hormis Shenandoah, La Brigade du diable, Les Cordes de la potence et Les Oies sauvages, films plus austères, dramatiques et équilibrés, le reste de sa filmographie tutoie souvent l’hésitation entre les tonalités, ainsi que la lourdeur de propos un peu trop appuyés. McLaglen récupère Wayne dans cette entreprise de copains, sans doute ravi d’y retrouver ce qui compose le sel de ses illusions valeureuses, mais ne va guère plus loin dans l’introspection de sentiments plus subtils. Les Géants de l’Ouest ne compose pas avec son époque, ni ne cherche à lui répondre. Le film ignore son contexte et concentre sa direction autour d’une histoire de Sudistes obligés de fuir leurs terres afin de retrouver la liberté au Mexique. La guerre de Sécession termine à peine que déjà se dessinent à l’horizon les rêves d’hommes d’honneur précédemment vaincus. C’est en cela que résident à la fois les limites du propos et pourtant sa beauté méritante.


Le sujet de la guerre de Sécession a souvent été traité dans le cinéma de l’âge d’or hollywoodien, et particulièrement au sein du western. Rares sont néanmoins les films à avoir opté pour une histoire frontale de la chose. On y parle souvent de guerre à venir, ou bien de guerre passée, de traumatismes et de douleurs intimes. Mais plus rares sont les films à avoir plongé dans le sujet tête baissée, à la manière du sublime Les Cavaliers de John Ford, par exemple. Original sur ce point précis, Les Géants de l’Ouest débute avec la fin des hostilités. La charge de la cavalerie nordiste ouvrant le récit se révèle rapidement emplie d’une beauté tragique contemplative inattendue, avec ces corps sudistes éparpillés, dont l’un, enveloppé d’un mortuaire drapeau, compose une effarante image de défaite humaine balayée par la mort. Il faut bien le concéder, les quinze premières minutes sont très prometteuses. John Wayne incarne un officier, le cœur gros, décidé à emmener ses survivants ramasser de l’argent en convoyant près de 5 000 chevaux. Ils ont bien mérité leur Eldorado, même s’il leur faudra encore le gagner. Certains, comme le souligne le héros, ne passeront pas l’hiver. De l’autre côté, des familles sudistes s’unissent pour quitter leurs terres. Rock Hudson, ancien officier de l’armée confédérée, brûle sa maison et la salue, par un dernier regard plein d’amertume. Le passage de la rivière afin de gagner le Mexique constitue enfin un joli moment d’émotion, malgré l’honnêteté toujours un peu simpliste du réalisateur. Cela fonctionne, faisant attendre au spectateur un film dans lequel les enjeux moraux seront captivants. Hélas, Les Géants de l’Ouest transforme bientôt ses promesses en chimères et devient un western d’aventure routinier et sans grande mesure. La confrontation Nordistes / Sudistes en relève bien le niveau de temps à autres, mais sans non plus transcender son sujet. Bien qu’adversaires, les deux leaders, John Wayne et Rock Hudson, et leurs deux troupes vont rapidement finir par s’entendre. Et si quelques éléments font contre mauvaise fortune bon cœur, la tournure générale convergera vers une réconciliation prenant la forme de bagarres viriles et de sacrifices idéologiques. Faits prisonniers par ceux qui devaient en réalité être leurs sauveurs, les Sudistes devront compter sur la générosité de leurs nouveaux amis nordistes. Wayne, avec l’assentiment de ses hommes, livrera les chevaux aux Mexicains, condition sine qua non de la libération des familles retenues en otages.


Si Les Géants de l’Ouest déçoit dans une certaine mesure, il ne faut toutefois pas trop lui en tenir rigueur. Car l’émotion, aussi pompière soit-elle parfois, n’en demeure pas moins belle. Soyons honnêtes, on aimerait bien en faire partie de cet univers où les amis se rencontrent et ne se lâchent jamais, chevauchent les uns à côté des autres et font face à tous les maux, unis et indivisibles. Le réalisateur rapproche entre elles les sphères brisées d’une Amérique qui devra absolument se reconstruire, et décrit par l’image l’évolution des tendances. A la fin, ne voit-on pas les deux groupes chevaucher ensemble, délaissant volontairement l’uniforme pourtant si précieux du côté des Sudistes ? Quelques-uns semblent encore avoir du mal à s’y faire, mais l’idée fait déjà son chemin, inexpugnable. A tout cela, il faut ajouter le niveau d’action auquel le film se maintient durant deux bonnes heures, mélangeant chevauchées, fusillades musclées, paysages merveilleux et bagarres esquissées dans un esprit fordien (quoique la chose puisse apparaitre ici bien inférieure). Andrew V. McLaglen rencontre comme souvent des difficultés à filmer l’ensemble avec ingéniosité. Son travail demeure louable, mais sans aucun génie, soulignant banalement mais assez énergiquement ce qu’il raconte. Le montage est de bonne facture, et le CinemaScope de toute beauté. Le cinéaste n’y entend rien dans l’utilisation de diverses focales et ne gère presque jamais la profondeur de ses plans. C’est un cinéma sans grand relief que le sien, ce qui ne l’empêche pas de composer à l’inverse un cadre très convaincant. Le format widescreen de sa caméra est efficacement utilisé, de surcroît renforcé par la photographie de l’illustre William H. Clothier.


L’homme a travaillé sur des films aussi exceptionnels que New Mexico de Sam Peckinpah, Les Cavaliers, L’Homme qui tua Liberty Valance, La Taverne de l’irlandais et Les Cheyennes de John Ford, Les Cinq hors-la-loi de Vincent McEveety ou encore et surtout le fameux Alamo de John Wayne. Fidèle collaborateur du Duke, de Ford ou même de McLaglen, son talent n’a jamais été à démontrer, sachant filtrer la lumière naturelle et composer de façon spectaculaire avec les couleurs. Il demeure à lui seul l’une des rares raisons positives de revoir le décidément fort mauvais Chisum. Les Géants de l’Ouest lui doit beaucoup, ne serait-ce que pour les plus belles scènes du film, plastiquement parlant. La traversée des chevaux d’un côté à l’autre de la rivière, les plans incluant les figurants dans de gigantesques décors naturels apaisés, ou encore ce plan à la beauté fulgurante montrant Rock Hudson, au loin entre deux arbres, tenter de rattraper le convoi de chevaux pour lui demander de l’aide. Quant à la musique de Hugo Montenegro, elle est héroïque à souhait, différente de celle d’un Elmer Bernstein (alors habitué aux films avec John Wayne), quoique relativement proche dans sa structure globale. Reste la distribution, soignée mais en roue libre, comptant sur son expérience afin de porter le film. Rock Hudson étonne par son sérieux, visiblement attaché à son personnage, même si ses meilleures performances semblent lointaines. Eloquent, il rivalise sans problème avec John Wayne, indéboulonnable monstre de charisme, toujours fringant et téméraire. La dégaine encore une fois stylisée mais classique de Wayne fait merveille, même si l’acteur ne se force pas vraiment. On peut même se risquer à dire que John Wayne fait du John Wayne, ce qui ravira évidemment ses admirateurs. Un rôle facile donc, auquel on peut adjoindre un casting de gueules bien connues : Ben Johnson, Bruce Cabot ou encore Harry Carey Jr. Il y aura bien sûr juste ce qu’il faut de féminité pour apprécier pleinement ce western viril décomplexé.

Les Géants de l’Ouest est un bon western au budget visiblement avantageux, conventionnel, désuet pourra-t-on dire, mais sympathique et plein d’entrain. Les réfractaires aux westerns violents de l’époque seront satisfaits de pouvoir trouver un tel refuge, mais les autres pourront éventuellement s’y détendre aussi. Si le film soulève quelques questions intéressantes et propose un récit original, c’est néanmoins surtout par sa nonchalance et son ambiance festive qu’il parvient à exister. On aurait tort de faire le difficile devant ce film réalisé par un Andrew V. McLaglen des bons jours, serein et confortable, bien que monocorde. Un bon moment de détente en perspective.

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(1) Environ 35 ans après sa mort, John Wayne demeure l’une des personnalités préférées des Américains, apparaissant chaque année dans le top 10 annuel dressé par l’institut Harris Interactive (d’après sondages), et cela depuis sa création en 1994. Il avait même pris la 1ère place en 1995. Il était 5ème en 2012, et reste actuellement toujours dans le top 10.
(2) Voir la chronique du film Les Cowboys, réalisé par Mark Rydell en 1972.
(3) Andrew V. McLaglen a réalisé des films avec John Wayne (cinq fois), James Stewart (trois fois), mais aussi Kirk Douglas, Robert Mitchum, Richard Widmark, Charlton Heston, James Coburn, William Holden, Richard Burton, Dana Andrews, Roger Moore...

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Par Julien Léonard - le 5 juillet 2014