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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Fiancés

(I fidanzati)

 

L'histoire

Ouvrier soudeur dans une usine milanaise, Giovanni (Carlo Cabrini) accepte d'aller travailler en Sicile, pensant ainsi obtenir une meilleure qualification. Il laisse derrière lui sa fiancée Liliana (Anna Canzi) avec qui cela ne se passait pas très bien ces derniers temps ; ils ne se parlaient quasiment plus, y compris lors de leurs ennuyeux dimanches. Mais la différence de culture et de coutumes entre le Nord et le Sud ainsi que l’éloignement des deux fiancés vont finir par les rapprocher ; Giovanni  renoue avec elle d'abord par lettre puis par téléphone. Leur amour renait...


Analyse et critique

Après une quarantaine de documentaires industriels pour Edisonvolta, la société d’électricité milanaise pour laquelle il travaillait, Ermanno Olmi se lance dans le septième art et nous offre coup sur coup l’intéressant Le Temps s’est arrêté (Il tempo si è fermato) puis le magnifique L’Emploi (Il Posto), mélange improbable mais pleinement réussi de néoréalisme, de Nouvelle Vague, de Buster Keaton et de Kafka. Les Fiancés, son troisième long métrage - produit par sa propre société -, s’inscrit dans la droite lignée du précédent même s’il est un peu moins aisé à appréhender par sa tridimensionnalité temporelle et qu'il s’avère de prime abord plus austère par son scénario quasiment privé de tout dramatisme. Il narre les errances d’un homme qui a quitté Milan en espérant voir sa carrière évoluer en Sicile, et qui pour ce faire a dû abandonner sa fiancée durant une année complète. Une sorte de description de la solitude, du désœuvrement et de l’ennui qui vont s’ensuivre à travers ses déambulations et divers petits tableaux descriptifs.


Le film débute par une longue séquence qui renvoie à une autre dans Il Posto, une scène de bal populaire assez déprimante et sinistre qui se déroule dans une salle où sont assis tout autour dans un silence de mort les futurs danseurs qui attendent passivement que les deux musiciens s’installent et se mettent à jouer. Les personnes présentes semblent ne s’être rendues ici que par habitude et sans aucun entrain ; le couple de "fiancés" que nous découvrons à cette occasion ne semble pas respirer la gaieté plus que les autres. Et pour cause - et nous l’apprendrons par fragments interposés - l’homme a avisé sa compagne de l’offre qu’on lui proposait de s’enrichir sur un plan professionnel à condition d’accepter de se déplacer à l’autre bout du pays. L’amour entre les deux membres du couple semblant s’être délité, le silence de l’incommunicabilité s’être installé depuis un moment et malgré le fait que la femme paraisse ne pas être vraiment ravi par ce changement - on le devine plus qu’on nous le dit car le film d’Olmi est quasiment privé de dialogue durant sa majeure partie -, son compagnon a pris la décision de partir.


Durant les trois quarts de sa durée, Les Fiancés ne fera que décrire les flâneries de l’homme dans les environs de la cité industrielle où il habite désormais, observateur de tout ce qui se passe autour de lui que ce soit au travail et en dehors. Désemparé par la réalité qu’il côtoie dans cet endroit où il fait une chaleur étouffante (60° au soleil dit-il), confronté à un quotidien, à un monde et à une culture avec lesquels il ne se sent aucun lien, il se trouve de plus en plus isolé et, en observant ses congénères, cherche tous les petits détails cocasses qui pourraient le sortir de sa torpeur et de sa tristesse. C’est ainsi qu’il se "délectera" d’un serveur qui lui conte ses malheurs, d’un chien qui dérange une messe ou d’un tout jeune garçon qui se dépêche de finir son travail de barman avec des gestes mécaniques ultra-rapides pour pouvoir sortir. Avec son regard acéré de documentariste, Olmi en profite pour nous offrir de superbes plans de la Sicile - des salines fantomatiques, des moulins dont les pales sont faites de vieux draps, des plages avec vue sur les usines, des rues de pierre désertes écrasées par le soleil où seule une voiture diffusant un avis de recherche passe et se fait entendre, des paysages industriels qu’on croirait sortis tout droit d’un film d’Antonioni - ainsi que des images prégnantes comme ce snack-bar quasi déserté, ce balai de l'ambulance dans la cour de l'usine, cette salle de télévision au foyer où tous les ingénieurs sont avachis devant des programmes a priori sans intérêt, ou encore celles d'un harassant carnaval sicilien. A ce propos, Olmi a beau clamer "je déteste les jolis cadrages ; mieux encore, je les évite", il faut se rendre à l’évidence que ses vues sont souvent splendides, aidé en cela par son chef opérateur Lamberto Caimi. Car oui, contrairement à ce qu’il voudrait nous faire entendre, son film s'avère plastiquement très beau surtout qu’il est encore rehaussé par un commentaire musical tout à fait plaisant signé Gianni Ferrio.


"La banalité me fascine profondément. Je crois davantage au mystère de la banalité qu’à la clameur bruyante des discours officiels. Ce qui est authentique n'est jamais banal." disait Olmi qui filme l’ennui, l’aliénation de la société industrielle et la banalité avec une poésie du quotidien qui fait que son film n’est justement jamais ennuyeux pour celui qui accepte une œuvre sans quasiment de progression dramatique ni de dramatisation et à la structure narrative un peu éclatée - une construction cubiste comme la nomme Aldo Tassone - par le fait de mélanger au montage le présent et quelques saynètes du passé dont celles, bouleversantes, concernant le père du protagoniste que ce dernier est obligé d’envoyer à l’hospice durant son absence. Godard proclama son admiration pour ce film qui, empreint de néoréalisme - le "maitre à filmer" d’Olmi était Rossellini -, n’en ose pas moins une narration assez Nouvelle Vague. On a en revanche beaucoup reproché à l’époque à Olmi de ne pas avoir fait assez œuvre politique en ne s’appesantissant pas assez sur la situation sociale de la Sicile et de l’opposition Nord / Sud. Seulement, ce n’étaient pas les intentions premières de l’auteur qui s’en défendait d’ailleurs très bien : "Dans une discussion où chacun s'égosille à qui mieux mieux, je tiens beaucoup à m'exprimer sur un ton qui n'a rien d'écrasant. Dans un monde où tout le monde hurle présentant les faits avec une redondance épique et d'une voix tonitruante, autoritaire, il est fatal que mon point de vue, solide et lucide quant à l'observation de la réalité quotidienne, soit pris pour un signe de faiblesse."


Ce cinéaste de l’intime et de l’observation qui préfère décrire que de raconter voulait ici avant tout parler de la douleur de l’exil, faire le constat d’un échec professionnel mais également, grâce à la tristesse de l’éloignement, d’une victoire sentimentale des deux fiancés qui recomposent le lien brisé petit à petit et à distance. Le dernier quart d’heure remet en avant la jeune femme aux travers des lettres qu’elle envoie et reçoit, certaines lues en voix off ou face caméra, les deux acteurs non professionnels faisant passer beaucoup d’émotion dans leurs regards, dans leurs gestes et dans leurs voix. Les dernières séquences sont d’un lyrisme d’autant plus bouleversant qu’elles font suite à une certaine aridité d’ensemble. Quant au dernier plan, il est d’un optimisme inespéré, l’homme retrouvant sa liberté en décidant de ne pas se rendre à son travail, lui qui juste auparavant avait réussi à faire renaitre l’amour au sein de son couple. Superbe et poignant final qui entérine la grande qualité humaine d’un film attachant, sans amertume, jamais totalement sordide, tout en pudeur et en délicatesse et qui annonce plus globalement l’œuvre à venir du cinéaste italien qui culminera dans le célèbre, splendide et "palmé" L’Arbre aux sabots.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : tamasa

DATE DE SORTIE : 27 septembre 2017

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 27 septembre 2017