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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Désaxés

(The Misfits)

L'histoire

A Reno (Nevada), Roslyn Tabor (Marilyn Monroe) divorce d'avec son mari Raymond (Kevin McCarthy). Isabelle Steers (Thelma Ritter), sa propriétaire, la présente à Guido (Eli Wallach), un veuf que la mort de sa femme a beaucoup affecté. Guido se sent attiré par Roslyn ; il lui fait faire la connaissance d'un cowboy, Gay Langland (Clark Gable). Roslyn et Langland tombent amoureux l'un de l'autre. Caractère ombrageux et indépendant, Langland projette de capturer un troupeau de chevaux sauvages. Pour ce faire, il fera équipe avec Guido et Perce Howland (Montgomery Clift), spécialisé dans les rodéos.

Analyse et critique

Film crépusculaire par sa thématique, Les Désaxés endosse cette dimension de façon plus puissante encore a postériori de par le destin tragique de ses interprètes et son statut symbole de la fin de l’âge d’or hollywoodien. Le film est l’adaptation d’un roman d’Arthur Miller par lui-même et constitue un cadeau à son épouse Marilyn Monroe, un écrin à son talent avec un personnage largement inspiré de sa vie. C’est aussi une tentative de faire se ressaisir une Marilyn à la dérive depuis quelques années entre addictions aux médicaments, mal de vivre et un mariage qui se délite. Plutôt qu’une thérapie, Les Désaxés constituera surtout un testament pour la star qui tourne là son dernier film (terminé puisque le Something Got to Give de George Cukor restera inachevé) tout en trouvant l'un de ses rôles les plus touchants.


Roslyn est une jeune femme se trouvant à Reno pour divorcer. Mélancolique, déçue par les hommes et ne sachant que faire de sa vie, elle va faire la rencontre du cowboy vieillissant Gay et de son ami Guido. Elle va les suivre pour un temps et découvrir les plaisirs d’un Nevada sauvage oublié, tout en cédant au charme viril de Gay. Ce paradis perdu va pourtant montrer progressivement son envers plus torturé, tandis que de révèlent les fêlures des protagonistes. Marilyn Monroe arrive comme déjà dit sur le tournage dans un état physique et psychologique désastreux qui sur confirmera durant la production difficile entre ses nombreux retards, les absences et les interruptions de tournage - comme lorsqu’en aout 1960 elle doit être admise en cure de désintoxication pour deux semaines. Ce rythme épuisera un Clark Gable vieillissant et en perte de vitesse, qui depuis quelques années accepte enfin son âge dans le choix de ses rôles. Les nombreuses prises dues aux atermoiements d’une Marilyn ne sachant pas et/ou remaniant son texte, le choix courageux de réaliser lui-même ses cascades, tout cela conduira à lui faire perdre pied et il mourra deux semaines après la fin du tournage. Montgomery Clift vient également accompagné de ses démons sur le plateau, sa dépression et son alcoolisme s’ajoutant à un visage abimé par un terrible accident de voiture en 1956 après lequel il ne sera plus jamais le même à l’écran. Jamais aussi à l’aise que dans ce type de chaos, John Huston dirige l’ensemble avec le sens de l’anarchie qu’on lui connaît, arrivant fin saoul certains matins du tournage et accumulant les dettes de jeu que la production doit couvrir.


L’usine à rêves se montre sous un jour fort déplaisant derrière les paillettes et offre un pendant réel à la dérive de l’autre terre de légende dépeinte dans l’intrigue, l’Ouest. La vie au grand air, l’abandon de soi et l’amour passionné semblent ainsi faire renaître une Roslyn rayonnante auprès d’un Gay attentionné. Les personnages doivent pourtant se reconstruire d’une manière plus profonde car l’existence qu’ils poursuivent est une illusion. Ils s’y raccrochent tous pour des raisons que l’on découvrira progressivement : Perce est un éleveur dépossédé de son domaine errant de ville en ville, Guido ne s’est jamais remis de la mort de sa femme ainsi que de son expérience de la guerre, et Gay sous la désinvolture souffre de ne plus voir ses enfants. Dès lors chacun s’agrippe à son mirage avec la force du désespoir, quitte à se perdre. Le visage défait de Montgomery Clift et son allure frêle viennent ainsi se frotter aux rigueurs du rodéo où chaque choc est une façon de mieux oublier les douleurs plus profondes. Guido n’aura de cesse d’observer Roslyn d’un désir brûlant et angoissé, sans oser franchir le pas si ce n’est de façon révoltante dans la dernière partie. Enfin Gay poursuit le geste valeureux des pionniers en partant à la chasse aux chevaux mustangs dans le désert du Nevada.


Mais quand cette chasse relevait d’un geste à la fois valeureux et pragmatique - rite d’initiation et plaisir de chevaucher les bêtes se conjuguant à leur réelle utilité à la vie dans l’Ouest, l’issue ne sert désormais plus qu’un vain argument pécuniaire. A quoi bon si les derniers vestiges d’un temps révolu ne reposent plus sur rien ? Le western crépusculaire et post-moderne naît en partie ici et trouvera son essor avec le tout aussi nostalgique et réussi Seul sont les indomptés (1962) de David Miller où la tradition de cette vie sauvage sera tout aussi anachronique et désespérée. Marilyn Monroe, d’une sensibilité à fleur de peau, semble prête à s’effondrer au moindre désagrément. Ayant toujours su exprimer cette vulnérabilité même dans ses rôles les plus comiques, elle fascine et émeut comme jamais ici en se mettant à nu (au propre comme au figuré, sa beauté n’ayant jamais été plus palpable et naturelle) avec un naturel confondant. Les fêlures se devinent douloureusement sous l’attrait, tout comme l’usure sous la présence virile de Gable et le mal-être dans le visage reconstruit et le regard perdu de Montgomery Clift. Les icônes sont à bout de forces dans ce Hollywood changeant, ils sont enfin libres d’exprimer cette faiblesse à l’écran.

L’Ouest est un cimetière, un mirage dont les héros doivent s’échapper s’ils veulent renaître ; et après l’ouverture idéalisée, Huston capture cet espace d’une façon funèbre à travers les nuances noires ténébreuses de la photo de Russel Metty. S’il laisse une chance de renouveau à ses personnages dans un magnifique final, la vie n’en laissera guère à ses acteurs brûlant leur derniers feux - si ce n’est un Eli Wallach disparu récemment et dont le meilleur était encore à venir.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 19 février 2015