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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Compagnons de la gloire

(The Glory Guys)

L'histoire

Le Capitaine Demas Harrod (Tom Tryon) conduit ses nouvelles recrues jusqu’au fort où est cantonné le 3ème régiment de cavalerie de l’US Army. Il y retrouve l’opportuniste Général McCabe (Andrew Duggan) en constante recherche de gloriole, qui se prépare à repartir au combat contre les Indiens récalcitrants qu’il compte bien massacrer jusqu’au dernier. Harrod craint qu’il remette à nouveau ses hommes en danger pour être certain de mener à bien sa mission. Quoi qu’il en soit, en attendant, il lui faut entrainer les bleus qui ne devraient pas tarder à subir leur baptême du feu ainsi que gérer le conflit qui l’oppose à son rival en amour, l’éclaireur Sol Rogers (Harve Pernell), pour les beaux yeux de la charmante Lou Woodard (Candice Bergen). Mais les choses sérieuses finissent par arriver et il faut partir "mater" les peaux-rouges ; cela n’ira pas sans immenses pertes humaines car la bataille du film est basée sur celle tristement célèbre de Little Big Horn...

Analyse et critique

Les trois producteurs associés Arthur Gardner, Jules Levin et Arnold Laven, pour qui Sam Peckinpah tourna quelques épisodes de leur série L’Homme à la carabine (The Rifleman), demandèrent à ce dernier d’écrire un scénario d’après le roman The Dice of God écrit par Hoffman Birney. Comme c'était déjà le cas pour le magnifique Fort Apache de John Ford, qui initiait en quelque sorte le western militaire, il s'agissait d'une histoire basée - en modifiant expressément noms et lieux - sur les derniers jours du Général Custer et évidemment sa défaite cuisante à Little Big Horn, emportant dans la mort tous ses hommes avec lui. On proposa à Peckinpah de le réaliser (avec Charlton Heston pour acteur principal et Angie Dickinson pour le rôle de Lou) mais, au vu des problèmes qu’il eut avec la Columbia sur le tournage de Major Dundee, Arnold Laven préféra finalement le tourner lui-même. Son précédent film, Geronimo avec Chuck Connors personnifiant le célèbre chef apache, se révélait assez ridicule en raison principalement d’un script manquant totalement d’inspiration, ce qui était fort dommage car l’exécution était plutôt honnête, le cinéaste prouvant qu’il savait correctement filmer une chevauchée, assez bien rythmer une séquence mouvementée et même savamment cadrer de somptueux paysages. Son deuxième western qui nous concerne ici sera heureusement d’une toute autre trempe. C’est parce qu'il avait déjà démontré sa faculté à tourner d’excellentes scènes d’action dans son film précédent qu’il n’y a pas de raison de douter que celles des Compagnons de la gloire aient été réalisées par lui. En effet, il avait été dit que Sam Peckinpah aurait commencé le tournage et aurait mis en boîte quelques-unes de ces séquences, ce qui a été fortement démenti par la suite. Arnold Laven ne fut pas un réalisateur très inspiré ; il aurait été dommage de le priver en plus de cette sympathique prédisposition.

Ce western de cavalerie - comme d’ailleurs la plupart de ceux qui l’ont précédé - est composé à la manière de ceux de John Ford de deux parties assez distinctes. La première, assez légère, est consacrée à la description et aux rituels de la vie d’une garnison avec l’entrainement des nouvelles recrues sous le commandement d’un sergent-instructeur braillard au grand cœur (ici Slim Pickens), les permissions en ville, les affaires de cœur des officiers comme des soldats, et enfin les conflits qui naissent ou se perpétuent. Dans le film de Laven, on assiste à une rivalité amoureuse entre le capitaine et le chef des éclaireurs qui se disputent les faveurs d’une jeune veuve aux mœurs assez libres menant ouvertement cette double relation amoureuse, ainsi qu’à un antagonisme d'ordre moral et "politique", le capitaine ne supportant pas son supérieur, un Général "massacreur" et va-t-en-guerre qui est capable de sacrifier ses hommes pour mener à bien ses missions et en tirer toute la gloire. Tom Tryon et Andrew Duggan font donc très largement penser aux personnages interprétés par John Wayne et Henry Fonda dans Fort Apache, les premiers se méfiant de leurs supérieurs du fait de bien connaitre leur tempérament belliciste et les drames qui souvent en découlent. Une seconde partie bien plus sombre sera tout logiquement consacrée au départ de la troupe pour la bataille qui s’annonce colossale, avec un grand nombre d’hommes de part et d’autre. Si le mélange des tons était parfaitement maitrisé par John Ford, il n’en va pas toujours de même pour les auteurs de The Glory Guys, que ce soit Sam Peckinpah ou Arnold Laven ; ce qui cause un déséquilibre certain, une mayonnaise qui a parfois du mal à prendre là où chez Ford tout semblait aller de soi, les pitreries de Victor McLaglen et consorts n'allant jamais trop phagocyter un script d’une évidente fluidité. C’est le principal défaut du western d’Arnold Laven de passer sans cesse de la gaudriole à la plus sombre noirceur d’une manière trop hachée et souvent peu convaincante.

Un défaut atténué par une vision assez virulente de la hiérarchie militaire, une bonne tenue d’ensemble de l’interprétation et la grande qualité des séquences de batailles. En effet, comme dans Major Dundee (auprès duquel The Glory Guys ne démérite pas), Peckinpah trace un portrait peu glorieux de son général excellemment interprété par un Andrew Duggan haïssable à souhait. Les deux acteurs principaux sont assez peu connus du grand public, et encore moins par les aficionados du western puisqu’ils ne tournèrent pas beaucoup dans le genre : il s’agit de Tom Tryon, le Cardinal de Preminger dans le film du même titre, ainsi que de Harve Pernell, sosie de Howard Keel au physique un peu plus gringalet, qui a surtout tourné pour la petite lucarne. Si leur coupe de cheveux pourra prêter à sourire, leur talent n’est pas à remettre en cause même si la rencontre des deux personnages est l’occasion d’une des séquences les plus pénibles du film, un combat à poings nus assez puéril, pas mieux monté que filmé. Tom Tryon montre une belle prestance dans le rôle du capitaine qui tient tête à son arrogant général ; quant à Harve Pernell, sa prestation s'avère assez pittoresque, tout comme celle d’un tout jeune James Caan dans le rôle d’un insolent soldat irlandais, un comédien qui fera à nouveau le pitre deux ans plus tard dans le plus célèbre Eldorado de Howard Hawks. Parmi les autres comédiens, on trouve des habitués des films de Peckinpah comme le picaresque Slim Pickens, le jeune Michael Anderson Jr. (déjà à l’affiche de Major Dundee et également l’un des Quatre fils de Katie Elder de Hathaway) et évidemment la charmante Senta Berger dont on arrive facilement à comprendre pourquoi deux hommes sont prêts à en venir aux mains pour ses beaux yeux. Le personnage de Lou est d’ailleurs probablement le mieux écrit et le plus intéressant du film : une femme libre, intelligente et capable d’empathie pour les deux rivaux qu’elle semble aimer d’une même force.

La première partie est un peu longue, pas toujours très fine mais jamais non plus ennuyeuse. On y trouve dans une ambiance plutôt bon enfant des situations assez cocasses plus ou moins drôles, des notations intéressantes sur la folie meurtrière de certains officiers recherchant la gloire ainsi qu’un triangle amoureux pas négligeable au sein de l’intrigue. La violence du conflit qui se prépare et qui rend anxieux la plupart des soldats (leur capitaine les avait prévenus dès lors qu'ils s'étaient engagés en leur disant qu’il y avait de fortes chances pour qu’ils se fassent tous tuer) ainsi que le sentiment du danger omniprésent au dehors nous font glisser lentement vers une seconde partie bien plus sèche qui permet dans le même temps d’apprécier la virtuosité des équipes techniques et la hauteur du budget alloué pour la figuration. Mais c’est avant tout l’occasion d’une démonstration du talent du chef-opérateur James Wong Howe, à propos duquel Bertrand Tavernier n’arrête pas de tarir d’éloges dans sa présentation du film. Ses éclairages des intérieurs étaient déjà très beaux mais le petit photographe d’origine chinoise (surnommé le Chinois de Hollywood) se surpasse en extérieurs, certains cadrages et plans d’ensemble n’ayant pour certains presque rien à envier aux plus beaux de ceux que l’on trouve dans les westerns de John Ford. On notera aussi l’efficacité redoutable des travellings, l’ampleur des mouvements de caméra et l'impressionnante gestion des figurants dans l’espace ; au niveau du placement des protagonistes sur le champ de bataille, avant que le conflit ne se déclenche, on pense parfois au Spartacus de Stanley Kubrick, ce qui n’est pas peu dire ! Un segment mouvementé, parfaitement maîtrisé et dont les plans sur les charniers de l’après-bataille possèdent une sacrée puissance, ce "substitut" de Custer ayant comme lui fait "évacuer" les renforts pour récolter seul les lauriers de la gloire. Peine perdue...

Un western militaire écrit par Sam Peckinpah - qui aurait dû également le réaliser - et qui, malgré le fait qu’il soit finalement tombé entre les mains d’un cinéaste bien plus mineur, n’en demeure pas moins loin d’être inintéressant même si dans l'ensemble assez inégal. Les amateurs d’amples batailles au sein de somptueux décors naturels ne devraient pas être déçus par le dernier quart d’heure de ce film qui à lui seul fait que The Glory Guys aurait mérité d’être mieux considéré.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 13 février 2016