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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Clandestines

L'histoire

Véronique, jeune mannequin dans une maison de couture, finit par accepter de devenir escort girl sous l'influence de son amie Éliane. Mais elle ignore faire partie d'un véritable réseau de drogue et de prostitution dirigé par Madame Baduel, qui abrite cette activité derrière l'enseigne d’une librairie. La jeune femme rencontre heureusement Pierre, à la recherche de la vérité sur son grand-père qui habitait autrefois ce paisible immeuble et dont le suicide coïncide étrangement avec le mystérieux va-et-vient qui l'anime désormais.

Analyse et critique

Raoul André traîne une réputation de vrai-faux maître du nanar français. Il faut dire que sa filmographie abonde en titres alléchants : L’Assassin est à l’écoute (1948), Une fille à croquer (1951), Les Pépées font la loi (1954), Une fille épatante (1955), Les Pépées au service secret (1956), La Polka des menottes (1957), Des frissons partout (1963), Mission spéciale à Caracas (1965), Ces messieurs de la gâchette (1969), Y’a un os dans la moulinette (1974)... Sa façon de construire une intrigue, aussi, vaut le détour : rapide mise en place des personnages, interactions tirées par les cheveux, parti pris populaire, bagarres dantesques, final à l’emporte-pièce. Au milieu de tout cela, Les Clandestines occupent une place particulière. Surfant sur le même thème que Marchandes d’illusions, sorti la même année (à savoir : la prostitution), en un peu moins mélodramatique, Les Clandestines s’autorise une esthétique et un propos relevant clairement du film noir. Pas un des meilleurs films de Raoul André, mais un honnête polar, de type série B, qui aurait très bien pu être une adaptation d’un roman de Jim Thompson.


L’introduction du film, à base de manchettes internationales et de conversations badines, introduit la question, novatrice pour l’époque, des call-girls. Les personnages de l’avocat (Maître Larieux), du riche bibliophile (M. Girault) et des épouses (Colette et Suzanne) sont introduits par une voix off. Une fois passé le générique, un ensemble de poncifs nous est proposé : le milieu de la haute couture, ses grandes stars, ses ragots et son Prince d’Osterkoff (PL, pour les intimes). Une grande bourgeoisie naïve et licencieuse, des rapports de classes antagonistes. Nous sommes dans un tout petit monde où les pauvres, manipulables et vulnérables, pour survivre se jettent dans les rets des décadents. D’ailleurs, avant chaque scène importante, une partition au piano-bar accentue cet effet carnavalesque, où chacun se démène mais reste à sa place. Raoul André développera, tout au long de son œuvre, un rapport prolétarien (malheureusement sans danger) au réel, préférant développer la psychologie des "petits". Plusieurs symboles vont dans ce sens : par exemple, avec les pseudonymes donnés aux prostituées par la tenancière (Madame Bovary, Madame Chrysanthème, Ambre...). Un rapport d’esthète, libertin, légèrement sadien, aux dominations sexuelles. Il y a vraiment une représentation caricaturale et cynique du propriétaire et du bourgeois (qui n’est pas inappréciable en ces temps de faux consensus). Des partis pris radicaux qui peuvent donner de la force aux propos, comme lorsque Dominique Wilms balance : « Une femme n’a que sa beauté pour se défendre. » Ou encore, en parlant du métier de call-girl : « C’est mieux que de faire le trottoir ! »


Une autre phrase, encore : « C’est pas avec ton bout de jambon et ta croûte de fromage que tu vas te remonter le moral. » Il y a de la transgression dans les dialogues, qui place Les Clandestines dans un registre sordide : « putain », « engueuler », « salaud »... Des termes qui ne vont pas de soi dans les années 1950 et qui s’accordent avec une enquête policière prétexte à l’exploration des milieux sociaux. Prenons cet échange en deux temps : la souteneuse vante les atours de Véronique (« Elle a le visage d’Anne Boleyn et le port de Marie-Antoinette »), M. Girault lui répond : « C’est bien pourquoi j’espère lui faire perdre la tête »). Badinage. Frivolité. Évidemment, quand ce dernier se rend compte qu’elle n’est prostituée que par nécessité, il déchante (et change de ton). Le spectacle devient pathétique. S’instaure une véritable contradiction entre une attitude immorale et une réalité matérielle indigente. C’est fort bien mis en scène et cela donne à penser, malgré les aspects sentencieux. Un ton exemplaire qui vire, hélas trop rapidement, au panégyrique : Pierre se débarrasse de l’homme de main du proxénète, avertit son avocat, ruine l’entreprise criminelle en un quart d’heure... et sauve des abîmes la fragile Véronique. (1) La conclusion est en deux temps : les malfrats, Merteuil et Valmont d’opérette, s’en sortent en rigolant (« Décidément, en France, on fera tout pour ruiner les petites et moyennes entreprises »), Pierre détruit les photos compromettantes. Tout est dit à mots couverts : le complot est dévoilé... mais rien n’ira plus loin. Sur une partition hermannienne, on comprend (hélas !) que la bourgeoisie saura s’en sortir.


Les Clandestines est un film audacieux, plaisant, qui s’égare malheureusement dans des démonstrations par trop cyniques. Le jeu est trop appuyé, ce qui enferme les personnages dans des rôles et des psychologies hermétiques. La mise en scène, qui s’autorise quelques rares initiatives, alourdit l’ensemble, ce qui est dommage vu la teneur du scénario. Nous retiendrons une structure narrative originale, une interprétation juste et une manière intéressante de parler de la prostitution. Il faut dire que les "parties fines" n’ont pas toujours été bien traitées au cinéma...


(1) D’ailleurs, la scène des baisers est l’unique scène où un mouvement de caméra figure une émotion.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Florian Bezaud - le 10 juillet 2017