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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les Briseurs de barrages

(The Dam Busters)

L'histoire

Le docteur Barnes Wallis, ingénieur de génie chez Vickers, découvre une méthode audacieuse qui permettrait le bombardement par avion des grands barrages de la Ruhr. Pour l'Angleterre, atteindre un tel objectif serait frapper l'ennemi en plein cœur, en détruisant son principal centre industriel, et l'occasion de réduire une guerre meurtrière de plusieurs mois. Pourtant Wallis peine à convaincre ceux qui décident. Mais, animé d'une conviction scientifique et patriotique sans faille, il finira par démontrer la viabilité de son idée, et par convaincre l'état-major. L'opération est lancée. Une escadrille composée des meilleurs aviateurs alliés, sous la direction du commandant Guy Gibson, va alors se préparer durement pour l'une des missions les plus périlleuses de la Seconde Guerre mondiale. 

Analyse et critique

La Seconde Guerre mondiale eut un impact profond sur la production cinématographique britannique. Dès les premières heures du conflit, les grands producteurs anglais lancèrent des projets de films de propagande voués à exalter le sentiment national et la combativité de la population. Malgré le risque important de sombrer dans le ridicule, des films importants émergèrent de ce mouvement, comme entre autres Ceux qui servent en mer qui mit le pied à l'étrier au grand réalisateur David Lean. Cette volonté de réalisme et de sobriété dans la démonstration patriotique va rester fortement ancrée dans le cinéma britannique de l'après-guerre, et caractériser beaucoup des films de guerre produits durant les décennies suivant la fin des hostilités. C'est dans ce type de production qu'il faut catégoriser Les Briseurs de barrages, un des premiers films du réalisateur Michael Anderson, qui signe à l'aube d'une carrière prolifique l'une des ses plus belles réussites.


Le film nous raconte des faits réels, qui occupèrent les forces armées britanniques pendant une grande partie du conflit. Depuis les années qui précèdent le début de la guerre, l'objectif de l'état-major et des dirigeants politiques est de frapper le cœur industriel du Reich, la Ruhr. Pour cela, tous ont compris que les cibles prioritaires devraient être les grands barrages de la Möhne, de l'Eder et de la Sorpe pour faire coup double, en coupant les ressources énergétiques des complexes militaro-industriels de la région et surtout en inondant les plaines alentours. Cependant, détruire des barrages est une tâche complexe, impossible à réaliser avec des bombes conventionnelles. C'est un brillant ingénieur de chez Vickers, le Docteur Barnes Wallis, qui trouvera la solution en inventant un concept de bombes rebondissantes capables d'éviter les différentes protections et de se fixer pour exploser à l'endroit adéquat sur le barrage. La première partie du film suit le docteur interprété par l'impeccable Michael Redgrave, qui crée un personnage tout aussi maladroit que brillant, et immédiatement attachant. La narration est habile et n'alourdit jamais le film d'explicationd scientifiques systématiquement pesantes. Anderson filme quelques démonstrations, illustrant l'invention de Wallis de manière très claire pour donner au spectateur la compréhension de la situation sans aucune perte de temps. Le montage de cette partie est très rythmé, évitant tout ennui au public et permettant à ce dernier une implication émotionnelle immédiate grâce à la formidable sympathie dégagée par le personnage. Wallis incarne le sacrifice humain devant la barbarie nazie. Il ne dort pas, mais fait la preuve que l'intelligence humaine triomphera toujours. C'est une aventure scientifique que Michael Anderson met en scène en ouverture de son film, nous montrant les forces de la science en marche. Ces forces sont aussi en lutte avec les lourdeurs administratives. On voit Barnes s'activer et frapper à toutes les portes pour faire accepter son idée, animé par une conviction sans faille. On se retrouve presque devant une séquence à suspense en assistant au parcours du combattant du docteur, qui a déjà convaincu le spectateur de son idée.


Une fois l'idée acceptée, le film entre dans sa deuxième partie qui illustre les préparatifs de la mission. C'est un nouvel élan dramatique qui se crée, avec la course contre la montre que doivent mener d'une part les aviateurs pour acquérir la technique nécessaire à leur périlleuse mission et d'autre part celle de Barnes, qui doit mettre au point son invention en conditions réelles. C'est l'occasion de l'entrée à l'écran de la deuxième moitié du casting, qui incarne les aviateurs, menée par l'excellent Richard Todd, très convainquant dans son interprétation du commandant Guy Gibson. Nous suivons l'entrainement des équipages, qui doivent apprendre à voler à basse altitude, de nuit, et à maitriser leur cap dans des conditions extrêmes. Ces séquences, particulièrement spectaculaires, sont entrecoupées de moments de rire, comme lorsque l'on voit un fermier écrire une lettre au gouvernement pour se plaindre des passages en rase motte des avions au dessus de ses champs. C'est l'occasion aussi d'assister à des instants émouvants, comme lors des tests de la bombe au-dessus de la mer, ou l'on voit Barnes s'éloigner dos à la caméra, les pieds nus dans la vase pour aller à la recherche des débris de son invention. Ces séquences donnent lieu à de belles respirations durant cette longue phase de préparation, qui aurait pu susciter l'ennui mais qui au contraire semble passer très vite grâce à une écriture et un montage brillants. Anderson filme tous ces moments avec une grande sobriété, sans mouvements de caméra spectaculaires, composant des plans très simples, dans une volonté évidente de donner un point de vue presque documentaire sur cette aventure exceptionnelle, évitant à tout prix tout excès de dramaturgie. L'un des seuls véritables mouvements d'appareil en sera d'autant plus touchant, avec un superbe travelling qui passe en revue les différents équipages sur le point d'embarquer dans leurs appareils, avant le décollage vers l'Allemagne.


C'est alors que la mission va enfin avoir lieu que Michael Anderson crée son troisième moment de suspense, en dilatant à l'extrême le temps avant le décollage des appareils. Nous sommes dans la peau de ces aviateurs que nous avons appris à connaitre durant toutes les séquences précédentes et partageons leur sentiments, entre excitation, impatience et crainte. Il faut saluer le réalisateur, engagé dans un film dont le ton est proche du documentaire, d'avoir su ménager avec habileté ces instants de tension, parfaitement insérés à la narration, qui permettent de maintenir durant toute la durée des Briseurs de barrages l'intérêt du spectateur. Alors que les avions décollent, la dernière partie du film s'amorce, consacrée à la mission en elle-même. Comme durant tout le reste du film, la mise en scène reste discrète. Un choix judicieux, la situation étant intrinsèquement bien assez spectaculaire pour impressionner, un excès formel aurait constitué un surlignage excessif et inadéquat des situations particulièrement prenantes.  Au rayon des petits reproches, on regrettera toutefois des effets visuels parfois un peu pauvres et un petit excès de pathos lors de la séquence finale, après la destruction des barrages, où la musique appuie excessivement les scènes d'inondation. Deux petites fautes de goût qui ne sauraient remettre en cause les qualités d'un film impeccablement mené jusque-là. Avec une remarquable sobriété, Les Briseurs de barrages passionne en racontant avec précision et efficacité un épisode remarquable de la Seconde Guerre mondiale. Michael Anderson sait mettre en valeur l'intelligence et le courage de ses protagonistes sans jamais sombrer dans un excès de lyrisme inapproprié. Toujours avec une belle retenue, il n'oubliera pas à l'occasion de conclure sur les pertes humaines qu'engendra la mission, ne les minimisant jamais devant l'ampleur du succès. Une preuve que tout fut fait pour que le film ne sombre jamais dans un excès de triomphalisme déplacé.

Les Briseurs de barrages s'inscrit parfaitement dans la lignée de ces films de guerre britanniques à la fois fidèles aux faits réels et passionnants dans leur narration. Les trois parties du film s'enchainent avec fluidité et logique, ne relâchant jamais l'attention du spectateur. On doit saluer les partis pris de mise en scène de Michael Anderson, qui a su parfaitement traiter le sujet en choisissant la discrétion devant la grandeur de l'histoire et des hommes. Son film sait se faire aussi efficace pour divertir que pour instruire et reste aujourd'hui un spectacle passionnant.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 30 juin 2015