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Critique de film
Le film

Les Bannis de la Sierra

(The Outcasts of Poker Flat)

L'histoire

A la nuit tombée dans la petite ville minière de Poker Flat, Ryker (Cameron Mitchell) et ses hommes viennent cambrioler le coffre de la banque. Comme ils se font surprendre, ils sont amenées à abattre deux habitants. Pour s’enfuir, Ryker sacrifie également ses deux comparses et quitte la ville après avoir demandé à son épouse, Cal (Anne Baxter), de l’attendre sagement en gardant le butin bien caché. Le lendemain, les habitants, excédés par cette violence, décident de bannir toutes les "brebis galeuses" de leur ville afin de l’assainir. Un groupe est constitué pour les expulser : John Oakhurst (Dale Roberston), un joueur, "Duchess" Shipton (Miriam Hopkins), une prostituée, Jake Watterson, un alcoolique un peu fou, ainsi que Cal que l’on a vue avec Ryker peu avant le hold-up sans que personne ne sache qu’elle est mariée avec lui. Les voilà partis à travers les montagnes jusqu’au moment ou "Duchess" se fait attaquer par un puma et se blesse au genou. Elle ne peut plus continuer à voyager dans ce froid sans prendre un peu de repos. Il faut trouver un abri pour la nuit d’autant qu’une tempête se lève. Comme par hasard, ils croisent la route d’un jeune couple dont la femme est enceinte ; ces dernier savent où trouver une cabane. Voyant que le temps se gâte, ils décident de tous s’y rendre pour se protéger des intempéries. Les chevaux s’étant enfuis durant la nuit et les vivres venant à manquer, le futur père décide d’aller chercher de l’aide à pied jusqu’à Poker Flat. Peu de temps après, vient les rejoindre dans cet endroit isolé le cruel et inquiétant Ryker qui souhaite récupérer l’argent volé ; il prend en otages tous les hôtes de la cabane, son épouse y compris, de peur que les autorités ne viennent l'arrêter...

Analyse et critique

Au début des années 50, aller voir un western estampillé 20th Century Fox voulait dire qu’on avait environ 50% de chances de tomber sur un western dont l’atmosphère se rapprocherait de celle d’un film noir, ne serait-ce que par l'utilisation particulière du noir et blanc et de ses jeux d'ombres (précédemment William Wellman avec The Ox-Bow Incident et Yellow Sky par exemple). C’est encore le cas concernant cette troisième adaptation du roman de Bret Harte, The Outcasts of Poker Flat, un western claustrophobe dont de nombreux éléments font d’ailleurs penser à un très bon film sorti l’année précédente, L’Enigme du Lac Noir (The Secret of Convict Lake) de Michael Gordon avec Glenn Ford et Gene Tierney. Avec une situation assez similaire, celle d’un groupe à composante majoritairement féminine qui tombe sous la coupe d’un (ici) ou plusieurs hors-la-loi dans un lieu enneigé et coupé du monde ; des hors-la-loi qui vont faire peser ici et là une tension insupportable sur le groupe.

Dans cette troisième adaptation, le personnage de Ryker, le meurtrier par qui le drame arrive, a d’ailleurs été rajouté alors qu’il était absent des deux précédentes versions, signées John Ford en 1919 avec Harry Carey et Christy Cabanne en 1937 avec Preston Foster. Car l’histoire initiale narrait les difficultés d’un groupe à survivre alors qu’il était prisonnier d’une tempête de neige dans une cabane abandonnée loin de toute civilisation, sans vivres à sa disposition ; on voyait alors les égoïsmes disparaître et la solidarité se mettre en place, laissant ressortir les meilleurs côtés de chacun des protagonistes. Mais il n’y était pas question comme dans le scénario de Edmund H. North d’un élément perturbateur supplémentaire en la personne d’un "bad guy" psychotique et violent. Ce qui apporte quand même un changement radical ; de l'œuvre initiale à forte tendance humaniste, on est passé au suspense psychologique concentré en un lieu unique (pour une référence un peu plus récente, et qui parlera probablement mieux à certains, citons par exemple Panic Room de David Fincher).

Le film débute par une superbe séance nocturne formellement très recherchée et qui fait pressentir que nous allons assister à un exercice de style. S’il ne se révèle au final pas autre chose que cela, force est de constater qu’à ce niveau ce huis clos westernien est très réussi. Mais revenons-en à cette scène qui ouvre le film ! La caméra est plantée au milieu d’une rue nocturne, boueuse et détrempée. On voit de dos s’avancer prudemment trois hommes qui semblent ne pas vouloir être repérés. Seuls éléments sonores, les bruits d’ambiance émanant des différentes bâtisses et notamment du saloon. Le premier plan est d’ailleurs un assez long plan séquence qui commence alors que le générique défile. S’ensuit le hold-up plein de suspense et le "massacre" qui y met fin. Il n’aura pas fallu plus de cinq minutes pour que Ryker, très bien interprété par Cameron Mitchell, soit catalogué par nous spectateurs comme un salaud d’une grande brutalité. Le voir former un couple avec la douce et timide Anne Baxter (également superbe) nous révulse d’emblée. Puis ce sont les scènes du bannissement et du commencement du voyage pour les "expatriés". Une fois arrivés à la cabane qui va leur servir de refuge durant la tempête qui s’annonce, les protagonistes n’en sortiront plus (excepté pour le final, une bagarre à poings nus dans la neige) alors qu’il reste quasiment une heure de film. Si le scénario ne brille pas par son originalité, l’efficacité de la mise en scène et l’excellent trio d’acteurs principaux font qu’on ne s’y ennuie pas une seule seconde.

Outre Cameron Mitchell, sadique et inquiétant à souhait (surtout le spectateur sait d'emblée qu’il n’hésitera pas à tuer de sang-froid) et la belle Anne Baxter (inoubliable dans Yellow Sky de William Wellman et bien évidemment dans le rôle titre du Eve de Joseph Mankiewicz) capable de passer avec crédibilité d'une résignation mêlée de loyauté envers un mari qui lui fait peur (durant les ¾ du film) à la haine tenace qui éclate dans la dernière partie alors qu'elle pense ne plus avoir rien à perdre, Dale Robertson ne démérite pas. Pour un de ses premiers rôles d’importance, il emporte l’adhésion, sorte de Clint Walker avant l’heure, cet acteur massif possède une belle prestance et une belle gueule. Son personnage de joueur égoïste mais respectable (« I'm a Gambler, not a Crook ») est probablement le plus intéressant du film, s’étant octroyé au passage quelques belles et laconiques répliques :
Cal (Anne Baxter) : - « I thought gamblers were supposed to be gentlemen. »
John Oakhurst (Dale Robertson) lui répondant en parlant de lui-même : - « Supposed to be. Actually, they're just gamblers. »

Ce sont trois personnages autour desquels tourne toute l'intrigue car, en revanche, tous les autres qui les entourent ne servent pas à grand chose et ont été totalement sacrifiés par le scénariste ; ce qui est bien dommage pour des comédiens de la trempe de Miriam Hopkins par exemple, qui ne fait presque ici office que de figurante.

L'intrigue bien menée (plus attentive à l'atmosphère qu'aux dialogues, finalement assez peu nombreux pour un huis clos) aurait très certainement accouché d'un film ennuyeux si la mise en scène avait été fade. Mais Joseph Newman s'en sort avec les honneurs, nous offrant un travail très soigné à défaut d'être génial. Après la séquence initiale virtuose, il se montre encore plutôt à l'aise en extérieurs et toujours aussi efficace une fois cloitré entre quatre murs. Il faut dire que le réalisateur a bien su s'entourer et, outre ses acteurs, les éclairages très contrastés de Joseph LaShelle et le beau thème musical de Hugo Friedhofer sont également pour beaucoup dans la réussite du film. Ancien garçon de course de la MGM dès l'âge de 13 ans, Joseph Newman se retrouva vite assistant de cinéastes tels Raoul Walsh ou George Cukor. Sa première réalisation date de 1941, Northwest Rangers, remake de Manhattan Melodrama de W.S. Van Dyke. Il mettra en scène de nombreux épisodes de la série Crime Does Not Pay et, juste avant Les Bannis de la Sierra, il nous aura offert une comédie assez délicieuse avec June Haver et Marilyn Monroe dans un de ses premiers rôles, Love Nest (Nid d'amour). Mais le film le plus célèbre de Newman sortira en 1953 et deviendra un grand classique de la science-fiction : Les Survivants de l'infni (This Island Earth).

Les Bannis de la Sierra s'avère un western plutôt agréable au suspense tendu, avec quelques belles idées de mise en scène, une intrigue méticuleusement écrite et trois personnages principaux qui s'en donnent à cœur joie. Il est certain que si ce film avait été réalisé par John Ford (qui avait mis une option auprès d'Argosy Pictures pour mettre en scène une nouvelle version du roman), le ton et le style auraient été été très différents ; les autres réprouvés auraient certainement bénéficié d'une place bien plus prépondérante, l'humanisme de l'auteur aurait probablement été préservé. Mais trêve de suppositions : si Joseph Newman a voulu réussir un thriller westernien, il a réussi son coup même si l'ensemble manque singulièrement d'âme et d'émotion. Le climax de l'ultime séquence nous fait oublier ces petits défauts, et c'est une plutôt bonne impression qui nous reste au final.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 12 juin 2012