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Critique de film
Le film
Affiche du film

Les 14 amazones

(Shi si nu ying hao)

L'histoire

« Une âme mélancolique s’avance dans le bois, c’est un vertueux qui ne trouve pas de corps pour s’incarner. Pour la patrie et le peuple, il est mort atrocement. L’âme éminente erre dans le sable et la poussière. La voici avec le vent et la lune, son souffle est puissant comme la montagne. Même le ciel, même la terre versent des larmes pour elles… » Le général Yang Tsung Pao, dernier descendant mâle de la famille Yang (si on excepte son fils Wen-Kuang), famille ayant versé beaucoup de sang pour l’Empereur depuis des décennies tombe dans une embuscade et meurt courageusement en défendant la frontière contre l’ennemi, le roi Hsia et ses 5 fils. Apprenant la nouvelle, sa veuve Mu Kuei Ying escortée du reste des femmes de la famille, la Grande dame en tête, part en croisade vengeresse.

Analyse et critique

En 1970, la Shaw Brothers est devenue un véritable empire comptant studios, salles de cinéma et même parcs d’attraction. Depuis quelques années, les productions du studio détrônent systématiquement les productions étrangères au box-office. La compagnie est une affaire qui tourne. Encore tout auréolé du succès de Les 12 médaillons d’or sorti un peu plus d’un an auparavant qui avait fait un carton, se classant juste derrière La vengeance du tigre de Jimmy Wang-Yu, Cheng Kang se voit offrir par Sir Run Run Shaw, un budget conséquent (pour ne pas dire colossal pour une production de la firme) afin de réaliser une superproduction basée sur l’histoire des guerrières de la famille Yang (1) et destinée à être une vitrine mondiale pour le cinéma Mandarin. Inspiré directement d’un opéra populaire chinois (2), Les 14 amazones est, fait assez rare pour un film de la Shaw Brothers, tourné en grande partie en extérieurs (tournage qui dura plus d’un an en raison de difficultés de production, de conciliation des ego des différentes stars féminines et du comportement caractériel du réalisateur qui ne tournait que quand il le sentait…). Kang s’offre le luxe d’un casting féminin trois étoiles réunissant les plus grandes stars du studio de l’époque. On retrouve ainsi, Lisa Lu (Le dernier empereur, Génération proteus) importée des Etats-Unis pour l’occasion, Ivy Ling Po (découverte dans The Love Eterne de Li Han-Hsiang) en redoutable veuve vengeresse, Li Ching (Hong Kong Rhapsody, Le sabreur solitaire), Chen Yen Yen aperçue dans Un Seul Bras les Tua Tous, Shu Pei Pei, Tina Chin Fei (La tentatrice aux 1000 visages) dans le rôle Tu Chin Ngo, la tante maître d’arme surtout Lily Ho (qui sort tout juste de sa composition dans le rôle titre de Intimate confession of a chinese courtisan) dans un rôle diamétralement opposé, celui de Wen-Kuang, dernier descendant mâle (!!!) de la famille ; rôle qui lui valut d’ailleurs une distinction comme meilleur premier rôle féminin (!) au 19ème Asian film festival (3)... Le casting masculin n’est pas en reste avec un Lo Lieh (La vengeance du tigre, Le retour de l’hirondelle d’or) machiavélique à souhait, Yueh Hua (L’hirondelle d’or, Les 12 médaillons d’or), Bolo Yeung (futur adversaire de Jean-Claude Van Damme dans Bloodsport) dans un rôle de barbare qui lui sied comme un gant ou Tien Feng dans le rôle du roi mongol pour ne citer qu’eux parmi les nombreux interprètes du film.

Pour le pays et pour le peuple

« Seigneur Wang, vous offensez la famille Yang ! Retournez-vous ! Le Mont des Deux Loups, la grotte Hongyang, les Trois Passes… Dans toutes ces batailles, pères et fils sont tombés… Levez les yeux ! Pour le pays et pour le peuple, notre sang a teinté tous les champs de bataille ! Notre malheureuse famille ne compte désormais plus qu’un orphelin et des veuves. Comment osez-vous parler de vengeance personnelle ? Seigneur Wang ! L’éternité ne suffirait pas à assouvir la haine accumulée par notre famille. »

Si les paroles de la Grande Dame au Seigneur Yang ne laissent planer aucun doute sur sa façon de penser et sur l’éthique qu’elle suivra jusqu’au bout (les règles martiales sont sacrées comme le montrera l’épisode du vol de grain et la patrie passe avant tout), les intentions qui animent sa belle-fille sont plus ambiguës, moins affirmées. Son rôle de mère et son statut tout récent de veuve d’un côté et son statut de chef de guerre de l’autre la mettent dans une position délicate qui donne un peu plus d’épaisseur à son personnage. Elle oscillera pendant tout le film entre son devoir envers la patrie et ses intérêts personnels et familiaux. Kang illustre bien cet état de fait par exemple dans la scène qui suit l’épisode du vol de grain. Wen-Kuang n’est pas revenu de l’expédition et le camp des amazones est sur le point d’être attaqué par une armée entière ; plus question pour elles de tarder sur place sous peine d’être massacrées. La matriarche pousse alors sa belle-fille vers douloureux dilemme à savoir, choisir entre le pays ou son fils : « Tu es sa mère et le chef de notre avant-garde. Pour ton fils, tu dois attendre, pour le pays tu dois avancer. A toi de décider. ». Ce à quoi répondra Mu Kuei Ying, non sans une hésitation : « Entre le pays et mon fils, je suis obligée de choisir. La patrie passe avant tout. ». Malgré ce patriotisme stoïque et affiché, ses intentions sont avant tout personnelles. Dès l’annonce du décès de son mari elle affiche clairement son désir de vengeance et lorsque le Roi lui demandera : « Au nom de quoi oses-tu me défier ? », elle ne répondra pas au nom de la patrie, mais bien un catégorique : « En mon nom ! ». Si la croisade des amazones sert officiellement les intérêts du pays, celle de Mu Kuei Ying est vengeresse avant tout. Malgré cette thématique patriotique qui sous-tend tout ce métrage qui est une véritable ode au courage et à l’abnégation de ces guerrières mythiques ((«Le pot de terre a vaincu le pot de fer» dira le Seigneur Kou au Seigneur Wang à la toute fin), force est de constater que Les 14 Amazones n’est absolument pas un film à thèse. Comme la plupart des productions Shaw Brothers, c’est avant tout un pur produit de divertissement. En tant que tel, le film satisfait pleinement à un cahier des charges bien rempli. On ne peut que regretter cependant que les personnages ne soient pas plus approfondis, le scénario privilégiant l’action et le spectaculaire.



Divertissement avant tout

Bien qu’ayant à son actif, en tant que réalisateur, quelques succès de la firme, c’est surtout en tant que scénariste que Cheng Kang s’est distingué, ce qui rend le manque d’épaisseur des personnages d’autant plus regrettable. Sa mise en scène est beaucoup moins inspirée que celles de contemporains comme King Hu ou Chang Cheh. S’il s’en tire honnêtement surtout dans le premier tiers du film, jusqu’au départ des amazones et l’altercation avec le Seigneur Wang (la fameuse scène de la canne Dragon), on le sent moins à l’aise dans les scènes d’action pure et de combat ; scènes qui doivent beaucoup son propre fils Ching Siu-Tung qui a orchestré presque toutes les chorégraphies de combat, leur imprimant une brutalité et un dynamisme surprenants. Toute cette partie et notamment les scènes d’intérieur au Palais (4) dénotent d’une maîtrise tant dans les mouvements de caméra que dans l’écriture du scénario et des dialogues qui contiennent quelques réparties savoureuses («Creusez le sol sur trois pouces… Les empreintes de cet infâme ne souilleront pas le sol de notre demeure !»). Le reste du métrage se montre malheureusement nettement plus faible d’un point de vue dramatique au profit de péripéties guerrières dont les rares enjeux dramatiques seront le dilemme de Mu Kuei Ying évoqué plus haut et la disparition çà et là d’un des membre du groupe. L’épopée guerrière se montre riche en rebondissements opérant de constants allez et retours entre le château du Roi Hsia où rien n’est épargné aux prisonniers (tortures tant physiques que psychologiques (le film se montrant d’ailleurs assez corsé sur ce point), humiliations, flagellations et mises à mort arbitraires) et les différents lieux de confrontation entre les amazones et l’armée de ce dernier. Confrontations qui donnent lieu à de féroces scènes de barbarie où Kang utilise tous les moyens inventés par l’homme pour étaler un superbe sang écarlate sur la pellicule (démembrements, décapitations, empalements divers ,une guerrière est coupée en deux !) dans des scènes dont la violence et la brutalité sont à peine atténuées par la légèreté de la mise en scène. Les deux scènes d’anthologie, si on excepte la boucherie finale au château, dans l’arène des 5 Dragons, sont sans contestation possible, la fameuse scène du pont humain qui valut son lot de blessures aux acteurs / cascadeurs et une scène de destruction de barrage filmée sur maquette qui n’a rien à envier aux productions catastrophes hollywoodiennes des seventies.

Malgré une esthétique gentiment, mais résolument kitch, malgré des tics de mise en scène un peu cheap (zooms dramatiques dont Kang abuse), des décors et accessoires qui sentent bon le carton pâte, Les 14 amazones est traversé d’un incontestable souffle épique et satisfera, en dépit de quelques baisse de régime (probablement consécutives à la carence de réels enjeux dramatiques), les amateurs de ce genre de spectacle haut en couleurs. Monument de cinéma comme voudraient le faire croire certains ? Chef d’œuvre ultime ? Certainement pas, mais le film de Cheng Kang, s’il n’est pas essentiel, constitue cependant un excellent divertissement spectaculaire à réserver peut-être aux curieux (qui ne seront pas déçus) et bien évidemment à tous fan qui se respecte de la firme de Hong Kong.

« Dites de ma part à sa majesté qu’elle fasse offrande de ce banquet aux veuves de la famille Yang qui sont tombées et qu’elle honore leurs âmes. » (La Grande Dame)
« De génération en génération, la vaillance des Yang reste la même. Eternellement, ses enfants et petits-enfants feront vivre son nom. » (Le Seigneur Kou)

(1) Famille connue de la Chine entière pour avoir, sous la Dynastie Song et selon la légende, protégé le pays contre les invasions mongoles. L’histoire des guerriers Yang est par ailleurs au centre d’une multitude de films et séries télévisées tant en Chine qu’à Taiwan. Les 8 diagrammes de Wu-Lang de Lu Chia-Liang s’inspireégalement des exploits guerriers de cette famille…
(2) Law Kar, historien du cinéma, explique dans les bonus pourquoi Cheng Kang et Sir Run Run Shaw dûrent passer sous silence leur source 'chinoise' dans les crédits du film au profit du livre du Taiwanais Kao Yang, Biographie des héros Yang. Le film devant être exporté vers Taiwan et ce pays étant en froid avec la Chine, pour assurer le succès du film, celui-ci ne pouvait pas être inspiré d’une source chinoise.
(3) Parmi les autres distinctions du film, on notera au 11ème Taipei Golden Horse film festival, meilleur directeur, meilleur second rôle pour Lisa Lu et meilleur son…
(4) Le générique, l’annonce de la mort de Yang Tsung Pao, la confrontation avec le Seigneur Wang venu rendre hommage au défunt, le duel mère / fils qui permettra à ce dernier de participer à l’épopée sont autant d’épisodes dramatiques superbement filmés et scénarisés avec intelligence.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Christophe Buchet - le 12 janvier 2007