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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Veuf

(Il Vedovo)

L'histoire

Homme d'affaires médiocre et dépensier, Alberto Nardi est marié à Elvira, issue d'une riche famille à la tête d'une fortune conséquente. Alors que les créanciers le harcèlent, son banquier accepte de lui prêter de l'argent uniquement si son épouse le garantit. Mais lassée d'éponger les dettes de son mari, Elvira refuse et Alberto se prend à espérer un prompt veuvage...

Analyse et critique

Il Vedovo est la première collaboration majeure entre Dino Risi et Alberto Sordi, dont les précédents films en commun n'avaient pas été marquants pour le réalisateur dans le mineur Venise, la lune et toi (1958) ou l'acteur dans Le Signe de Venus (1953) dans lequel il tenait un rôle secondaire. S'il faudra attendre le film suivant, Une vie difficile (1961), pour que les deux signent un chef-d'œuvre de la comédie italienne, Le Veuf est déjà une fort amusante réussite. Ce dernier annonce en moins féroce le génial Il Boom (1963) de Vittorio De Sica, qui y fustigeait la génération de jeunes viveurs dépensiers et oisifs qu'avait créée l'embellie économique que rencontrait l'Italie. Héros d’Il Boom, Alberto Sordi répète en quelque sorte son rôle à venir en campant déjà ici un industriel médiocre et imbu de lui-même. Alberto est un homme tout en paraître et en belle paroles qui ne séduisent que les sots (ses subalternes ou sa jeune maîtresse écervelée jouée par la charmante Leonora Ruffo), quand les plus clairvoyants ne sont pas dupes et devinent le perdant qu'il est vraiment. Le début du film le cerne en quelques séquences où on le voit poursuivi par les créanciers, feindre la réussite sociale (c'est plus simple en empruntant la voiture neuve de Madame) et céder à toutes les bassesses pour s'en sortir comme revendre les luxueux cadeaux faits à sa maîtresse pour régler ses dettes.

Dans son malheur, Alberto subit l'humiliation du miroir déformant renvoyé par sa femme Elvira (Franca Valeri) qui, elle, est richissime, habile en affaires et réussit dans tout ce qu'elle entreprend. Elvira, lasse de ses mensonges et de ses échecs, le méprise désormais et ne lui est plus d'aucun secours financier, ce qui le place dans une impasse pour le prêt qu'il souhaite obtenir pour lequel la signature de son épouse est nécessaire. Risi pose ici un regard féroce sur la bêtise de ces parvenus bons à rien, se montre d'un progressisme étonnant avec ce personnage de femme entrepreneuse (d'autant que Franca Valeri est charmante et pleine d'esprit, jamais présentée comme une épouse castratrice et monstrueuse), mais il fustige aussi dans le même temps les grands hommes d'affaires dont la réussite leur confère une arrogance détestable (l'industriel cynique Carlo Fenoglio joué avec délectation par Ruggero Marchi). Les "petites gens" ne valent guère mieux tels la maîtresse Gioia (Leonora Ruffo) et sa famille qui s'accrochent aux premiers nouveaux bienfaiteurs venus tant que celui-ci a le portefeuille bien rempli. Ce constat éclate avec plus de force encore lorsque l'intrigue rend soudainement Alberto veuf après que le train de son épouse a déraillé et coulé dans un lac. C'est du pain béni pour un Alberto Sordi aux larmes de crocodile et au sourire en coin lorsqu'il apprend la nouvelle, et l'acteur déploie avec un plaisir jubilatoire son registre le plus odieux, bombant le torse et fanfaronnant en vue de son futur héritage. Dino Risi orchestre de savoureux moments de cynisme avec une scène tordante de veillée funèbre où anciens créanciers, amis gentiment méprisants et divers vautours deviennent soudain des êtres compatissants qui ne désespèrent pas d'avoir leur part du gâteau.

Le film plane très haut dans la drôlerie jusque-là et l'on rit aux éclats devant cette avalanche de comportements irrécupérables. Il est dommage en revanche que la dernière partie lorgne sur la comédie policière et les stratagèmes alambiqués - le sort de l'épouse gênante n’étant bien sûr pas celui que l’on croit - qui sans être désagréable est nettement moins savoureuse et originale que la pure satire. Un peu à la manière de L’Homme aux cent visages sorti la même année (et première grande collaboration avec Vittorio Gassman, autre futur acteur fétiche), on sent un Dino Risi qui se cherche encore, vampirisé par sa vedette et encore trop soumis à son script (du sur-mesure pour Sordi avec la participation de son scénariste attitré Rodolfo Sonego) pour laisser totalement s’exprimer sa méchanceté. Si la personnalité d’Alberto Sordi était désormais bien établie, l’identité filmique de Risi restait incertaine avec des incursions dans la comédie donnant plutôt dans le néoréalisme rose plus - la série des Pauvres mais beaux - ou moins - le très raté troisième volet de la saga Comencini / De Sica Pain, amour, ainsi soit-il (1955) - réussi et avait surtout convaincu dans un registre plus doux-amer comme Le Signe de Vénus (1953). La réussite du Pigeon (1958) de Mario Monicelli l’a donc libéré avec toute une génération de cinéastes italiens, dont Risi qui se montrera plus incisif avec le grandiose Une vie difficile à venir. Malgré les scories évoquées, Le Veuf reste cependant une comédie truculente qui annonce les grandes heures de sa filmographie.

DANS LES SALLES

le veuf
UN FILM De dino risi (1959)

DISTRIBUTEUR : LES ACACIAS
DATE DE SORTIE : 30 AOUT 2017

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En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Justin Kwedi - le 30 août 2017