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Critique de film
Le film

Le Solitaire des Rocheuses

(The Lone Hand)

L'histoire

Son épouse venant de décéder, Zachary Hallock (Joel McCrea) vient s’installer à Timberline avec son jeune garçon Joshua (Jimmy Hunt), estimant qu’au sein de ces grands espaces son fils pourrait mieux s’épanouir. Ils s’endettent pour s’acheter une vieille ferme délabrée tout en espérant que les premières récoltes leurs permettront d’être financièrement à jour. Malheureusement ils se rendent vite compte de la difficulté à vivre décemment en tant que fermier ; l’argent commence sérieusement à faire défaut. Un jour, Joshua est témoin du meurtre d’un détective de l’agence Pinkerton par les deux frères Warden, Gus (James Arness) et Jonah (Alex Nicol). Il reconnait même la botte de l’un des deux, la même que celle de l’assassin du shérif, crime auquel le jeune garçon avait également assisté le premier jour de son arrivée en ville. Il en avise son père qui, étrangement, l’oblige à ne surtout en parler à personne. Peu après, sachant Zachary empêtré dans des embarras financiers, ces mêmes frères Warden viennent lui proposer de s’associer à eux pour mettre la région à feu et à sang. Fatigué de travailler durement pour ne récolter que des clopinettes, il accepte, au grand désespoir de son fils qui jusqu’ici voyait son père comme un homme honnête et loyal. Quelles vont être également les réactions de sa toute jeune et nouvelle épouse, Sarah Jane (Barbara Hale), en découvrant les malversations que commet son mari ?

Analyse et critique

Après nous avoir offert à la fin des années 40 des westerns aussi plaisants et colorés que Black Bart (Bandits de grands chemins) et Calamity Jane and Sam Bass (La Fille de la prairie), George Sherman entamait en début de décennie suivante une série de westerns pro-Indiens aujourd’hui un peu oubliés mais pourtant tout à fait dignes d’éloges. Ce fut tout d'abord Sur le territoire des Comanches (Comanche Territory) dont le côté bon enfant et l’imagerie naïve étaient totalement assumés, puis surtout le splendide et méconnu Tomahawk ainsi que le très bon Au mépris des lois (Battle at Apache Pass), traités tous deux au contraire avec le plus grand sérieux, la plus grande gravité. Dès l’année suivante, en 1953, The Lone Hand marquait un net recul qualitatif comparativement à tous ces précédents films ; d’ailleurs, même si cet argument n’est pas nécessairement toujours valable, il ne bénéficie même pas d’une notule dans la ‘bible westernienne’ américaine, l'imposant catalogue publié par Phil Hardy. Les deux westerns de Sherman qui suivront immédiatement ne seront guère plus mémorables, que ce soit A l’assaut de Fort Clark (War Arrow) ou Les Rebelles (Border River), ce dernier à nouveau avec Joel McCrea en tête d’affiche. Dans ce domaine, le cinéaste ne retrouvera d’ailleurs à mon avis jamais plus le niveau de ceux tournés à l’orée des années 50, même si certains autres aficionados du genre portent encore au pinacle des titres plus récents tels Le Trésor de Pancho Villa (The Treasure of Pancho Villa), Duel dans la Sierra (The Last of the Fast Guns) avec l’injustement méconnu Jock Mahoney, voire même son dernier film avec John Wayne, Big Jake, aujourd'hui encore son film le plus connu.

Si The Lone Hand ne vous semblera probablement pas inoubliable, il n’aura cependant pas été désagréable à visionner d’autant qu’il n’est pas dépourvu de qualités à commencer par son postulat de départ et son point de vue. En effet, même si la première séquence semble annoncer par ses images un western idyllique voire une douce tranche d’americana, la voix-off du jeune garçon, tout en posant les bases du récit -à savoir l’installation de lui et son père nouvellement veuf en tant que fermiers dans une région verdoyante du Colorado- prévient d’emblée que son paternel va mal tourner, narrant des évènements qui ont déjà eu lieu. Le spectateur, tout en assistant à des séquences de chroniques paysannes typiques d’un western familial, s’attend d’un moment à l’autre à l’irruption du drame, à ce que le film bifurque vers plus de noirceur. Et ce léger suspense est immédiatement mis en branle puis accentué dès l’arrivée en ville, séquence au cours de laquelle le jeune narrateur assiste à des scènes assez violentes alors que son père est en train de s’occuper de l’achat d’un terrain et d’une ferme ; en effet il est témoin d’un hold-up qui se solde par la mort du shérif abattu à bout portant. Mais les défauts du scénario (qui demande un peu trop au spectateur la suspension d’incrédulité) sont eux aussi d’emblée présents et c’est cette constante oscillation entre originalité et manque de crédibilité qui va rendre le film assez bancal et au final plutôt moyen. Non seulement Joshua ne parle quasiment pas à son père de ce dont il vient d’être témoin mais les deux hommes semblent ne pas en être bouleversés outre-mesure oubliant aussitôt ce fait sanglant. Mais l'audace du scénario reprend le dessus : quelque temps après le jeune Joshua se trouve à nouveau sur les lieux d’un autre meurtre, celui d’un détective de l’agence Pinkerton. En faisant part à son père, ainsi que du fait d’avoir reconnu l’un des assassins du shérif, il est étonné de se voir réduit au silence, menacé de punition s’il en parle à qui que ce soit ; d’homme noble et loyal qu’il vénérait, son père descend de plus en plus de son piédestal. Il va d’abord le trouver lâche de ne pas vouloir être mêlé à ces faits avant d’être désespéré de le voir prendre la mauvaise voie, celle du crime. Idée assez passionnante !

Les deux principales qualités du film sont donc une histoire contée à postériori du point de vue d’un enfant d’une dizaine d’année ainsi que le fait que ce jeune garçon ait été fortement troublé par les évènements dont il a été témoin avec un pic émotionnel face à l’attitude amorale qu’il commence à percevoir chez un père devant lequel il était jusqu’à présent en admiration : pourquoi ce modèle de loyauté ne supportant pas la violence devient-il du jour au lendemain non seulement un couard mais également un hors-la-loi ? Seulement l’intensité dramatique liée à cette consternation et à cette sensation de désespoir n’est pas vraiment de la partie : le spectateur a non seulement du mal à croire que Joel McCrea puisse passer du mauvais côté de la loi, surtout après nous avoir été présenté comme une sorte de père idéal, mais [Spoilers] il est tout autant invraisemblable de savoir que cet ‘infiltré’ (puisqu’il s’agit également d’un western à twist) en est passé par plus de six mois de labeur acharné avant d’intégrer la bande et encore plus de le voir fracasser des cranes lors des méfaits perpétrés par le gang : tuer des innocents pour faire aboutir son enquête n’est absolument pas crédible. Outre ce retournement de situation finalement assez prévisible en connaissance de cause (notamment par le fait de connaitre la filmographie du comédien principal et sa rectitude morale quant aux personnages qu’il avait à interpréter), une autre surprise amenée par le scénario est celle de l’identité du chef de gang que je dois avouer en revanche ne jamais avoir deviné [fin des spoilers]. Joel McCrea avait déjà tourné deux westerns avec pour partenaire un enfant-vedette : Saddle Tramp de Hugo Fregonese et Cattle Drive de Kurt Neumann. C’est à nouveau le cas avec The Lone Hand où il donne la réplique au jeune Jimmy Hunt (Invaders from Mars de William Cameron Menzies). Sans posséder autant de naturel et de talent que Dean Stockwell, il se révèle cependant assez crédible, tout autant que la charmante Barbara Hale dans un rôle plutôt mûr et complexe. Dommage en revanche que les Bad Guys soient aussi peu étoffés d’autant qu’ils bénéficiaient du talent d’acteurs tels Alex Nicol et James Arness.

Un western assez original et audacieux dans la conduite de son récit mais néanmoins mineur par son manque de rigueur dans l’écriture. Formellement, même si l’ensemble reste très professionnel (avec notamment des séquences d’action bien menées, aidées en cela par cascadeurs chevronnés), rien qui ne nous marque vraiment malgré les décors naturels du Colorado très ressemblants à nos majestueuses Alpes françaises ; dans sa mise en scène, sa gestion de l'espace et du rythme, George Sherman fut préalablement souvent bien plus inspiré qu’ici. Cependant, les aficionados des westerns Universal en Technicolor des années 50 devraient passer un agréable moment. A signaler pour finir que le titre français inventé par Sidonis n'a pas vraiment de rapport avec l'intrigue du film.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 19 décembre 2015