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Critique de film
Le film

Le Secret de la pyramide

(Young Sherlock Holmes)

L'histoire

Londres, 1870. John Watson est un adolescent qui fait son entrée dans la prestigieuse Brompton Academy. Là, il se lie très vite d'amitié avec un jeune homme d'une grande vivacité d'esprit, qui l'impressionne par son esprit de déduction. Son nom ? Sherlock Holmes.

Analyse et critique

Sherlock Holmes, le célèbre détective imaginé par Sir Arthur Conan Doyle, est régulièrement présenté comme l’un des personnages de fiction les plus illustrés par le cinéma, avec plusieurs centaines d’adaptations depuis 1900 jusqu’à nos jours, et de nombreuses incarnations, au gré des décennies, ont su marquer les esprits cinéphiles. Les années 1970 s’étaient notoirement démarquées du canon traditionnel en offrant des relectures assez iconoclastes, telles que La Vie privée de Sherlock Holmes de Billy Wilder, Sherlock Holmes attaque l’Orient-Express de Herbert Ross, Meurtre par décret de Bob Clark, voire Le Frère le plus futé de Sherlock Holmes, comédie de Gene Wilder. Probablement en réaction, la BBC avait lancé en 1984 une série télévisée revenant plutôt fidèlement aux récits originaux, aujourd’hui encore largement appréciée par les gardiens du temple holmésien, notamment pour l’interprétation exemplaire de Jeremy Brett. Dans ce contexte, lorsque Amblin Entertainment, société de production américaine de Steven Spielberg encore toute récente mais bouillonnante de créativité, envisage une nouvelle adaptation des aventures de Sherlock Holmes, les responsables du studio savent qu’ils ne pourront se démarquer qu’en parvenant à proposer une approche tout à fait originale du mythe. Qu’on ne s’y trompe pas : si elle peut paraître émoussée aujourd’hui que les modes du prequel ou de l’origin story ont flori (1), l’idée consistant à relater ce que Doyle n’avait pas imaginé - une prime rencontre entre Holmes et Watson, bien avant celle rapportée dans Une étude en rouge, et les effets durables de cette toute première aventure sur le caractère de Sherlock Holmes - avait alors tenu du coup de génie. Ainsi donc, c’est là que tout avait commencé. The game is afoot !

Soyons lucides : la réputation acquise par les productions Amblin au fil des décennies a assez largement dépassé leur nature propre, et la perception qui les accompagne conditionne largement l’appréciation du spectateur d’aujourd’hui. Pour le dire autrement, ceux qui entretiennent avec cette période une nostalgie un peu régressive (la fameuse nostalgie « doudou ») seront plus certainement comblés par Le Secret de la pyramide que les autres, qui ne manqueront pas d’y percevoir des effets, des recettes ou des facilités assez typiques de l’époque. L’objectivité n’étant donc certainement pas de mise ici, l’auteur de ces lignes se permet donc de préciser son cas très personnel : je suis né au début des années 80, ai été bercé par les diffusions dominicales de ces divertissements dont j’ai connu des séquences par cœur avant de savoir si je les aimais ou pas, et suis aujourd’hui arrivé à un point d’exaspération optimal face à la manière dont la production audiovisuelle actuelle ressasse inlassablement les mêmes clichés fantasmatiques liés aux années 80 (par souci de concision, on peut réduire la situation à une phrase et une seule : la série Stranger Things m’est tombée des yeux), à tel point que j’en viens (de façon très injuste, certainement) à dévaluer certains des films à l’origine de ces figures imposées, de E.T. l’extraterrestre aux Goonies. Ceci étant posé, Le Secret de la pyramide fait partie des rares contrexemples qui continue d’opérer pleinement sur moi, et je vais essayer d’expliquer pourquoi.

Le premier charme du Secret de la pyramide qui parvient, malgré son essence très eighties, à passer l’épreuve du temps tient à sa direction artistique : la non-contemporanéité de l’intrigue permet d’éviter le catalogue des obsolescences (BMX, VHS, T-shirts de métal, etc...) et donne l’occasion d’une reconstitution d’une fin de 19ème siècle londonien d’une très belle élégance, dans une sorte de folklore dickensien parfaitement assumé, costumes chics et matte paintings virtuoses inclus.

A cet égard, Le Secret de la pyramide témoigne d’un sens visuel affirmé, dont on ne peut tout à fait attribuer la totale paternité à Barry Levinson (2), mais qui aura marqué la rétine de nombreux de ses plus jeunes spectateurs. Depuis ce pré-générique qui introduit cette inquiétante silhouette encapuchonnée jusqu’aux hallucinations spectaculaires de ceux frappés par le poison de sa funeste sarbacane sculptée, le film impose une atmosphère spectaculairement sombre, susceptible d’impressionner durablement un jeune public : la jeune femme momifiée avant d’être sacrifiée ; le crâne rasé de Susanne Fleetwood ; les sucreries maléfiques attaquant Watson ; le cauchemar d’Holmes mettant en scène ses parents ; jusqu’à la pyramide secrète s’enflammant en un gigantesque brasier, le film contient bon nombre d’images marquantes et reste d’ailleurs fameux pour ses effets spéciaux, qui combinent des effets physiques (la volaille de la première hallucination...) et certains des tout premiers effets numériques de l’histoire du cinéma : le vitrail animé durant la scène de l’église est considéré comme le premier personnage entièrement généré par ordinateur et fut élaboré par John Lasseter pour ILM.


De cette noirceur inhabituelle pour un film considéré comme « tous publics », il faut faire ressortir un instant particulier, que l’on va placer entre balises « spoiler » mais dont les parents souhaitant montrer le film à leurs enfants (en particulier les filles) feraient tout de même bien de prendre connaissance : [SPOILER] le film s’achève sur la mort du personnage féminin principal, Elizabeth, jeune femme modèle décrite durant tout le film comme un idéal de beauté, de sensibilité, de dignité, de courage et d’intelligence, et qui se sacrifie pour Holmes. Une décision scénaristique courageuse, qui fait office de trauma original pour Holmes et explique donc l’être froid et défiant qu’il deviendra adulte dans les récits de Doyle, mais dont la brutalité nécessite un accompagnement auprès du jeune public. [FIN DU SPOILER]

Parmi les autres artisans ayant œuvré à la réussite du Secret de la pyramide, il serait inélégant de ne pas mentionner Chris Columbus, alors scénariste vedette d’Amblin (on lui doit Gremlins et Les Goonies) et qui passera lui-même à la réalisation (avec des réussites très inégales (3)) en 1987. Conscient du numéro d’équilibriste qu’il doit opérer entre le respect du canon holmésien et les impératifs d’un divertissement d’aventures échevelé tous publics, il construit un récit tout à fait accessible, et y glisse d’assez nombreux clins d’œil malicieux (quoique limités à ses principaux archétypes) à la légende du détective. Non dénué ni de rythme, ni d’humour, ni de mystère, son scénario s’achève, en post-générique, sur une pirouette habile qui aura fait jubiler de nombreux spectateurs, et qui laissait augurer d’une suite qui n’eut jamais lieu, faute d’un succès public suffisant.

Citons enfin le travail très intéressant du compositeur Bruce Broughton, qui offre au moins deux points d’intérêt : son thème principal, vif et complexe, assez typique de ces mélodies percutantes qui accompagnaient souvent les productions Amblin ; et son impressionnant Rame-Tep, très largement inspiré par le Carmina Burana de Carl Orff, qui accompagne toutes les séquences liées à la secte égyptienne. Comme la plupart des autres protagonistes à l’œuvre sur ce film, Broughton aura ainsi contribué à la réussite d’un divertissement dont la décontraction apparente est en réalité, et de façon assez incontestable, le fruit d’un travail collectif extrêmement appliqué. La belle résistance du film, dans le registre du divertissement familial, face au temps et aux productions contemporaines équivalentes, tient peut-être en partie à ce constat : chez Amblin, on ne se prenait peut-être pas au sérieux, mais on le faisait avec sérieux.
 

(1) Amblin refera le coup en 1992 avec la série The Young Indiana Jones Chronicles. Depuis, Darth Vader, James Bond, Michael Myers, Cruella d’Enfer, les Xénomorphes d’Alien, les Singes de la Planète, le Joker et à peu près tous les super-héros possibles et imaginables ont eu la leur...
(2) Cinéaste très inégal, pas toujours à l’aise avec le système de production hollywoodien, et dont, à terme, les films les plus intéressants nous semblent être ceux, personnels et sis à Baltimore, dont il était également scénariste (Diner, Tin Men, Avalon, Liberty Heights).
(3) Columbus réalisera notamment en 2001 et 2002 les deux premières adaptations des romans de JK Rowling mettant en scène Harry Potter à l'école des sorciers, saga dont les quelques points communs avec Le Secret de la pyramide ont régulièrement été relevés.

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La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 13 avril 2023