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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Saint

(Mahapurush)

L'histoire

Birinchi est un escroc qui se fait passer pour un "sādhu", un saint. Dans un train, il fait la rencontre d'un avocat, Gurupada Mitter, et de sa fille Buchki. Veuf et désemparé, l'avocat voit en Birinchi l'homme qui va apaiser son âme et, avec sa fille, tombe sous sa coupe. Une situation que Satya, le fiancé de Buchki, voit d'un mauvais œil. Si elle se convertit, elle lui échappera. Avec ses amis, il élabore un plan pour récupérer sa dulcinée et démasquer l'escroc.

Analyse et critique

Immédiatement après Charulata, Satyajit Ray tourne un film double, Le Lâche et le Saint, souvent considéré par la critique comme mineur, et décrit par son auteur comme alimentaire puisqu'il découle selon lui d'un « besoin économique de faire au moins un film par an. » (1) En fait de film double, il faut toutefois, d'un point de vue artistique, bien distinguer ces deux œuvres. Elles diffèrent du tout au tout par leur ton et surtout par leur valeur. Malheureusement, si Le Lâche, contrairement à son statut, nous semble être un film sublime et l'une des plus précieuse réussites de son auteur, Le Saint est effectivement une œuvre mineure, voire même totalement oubliable à l'ombre de l'imposante filmographie du cinéaste Bengali.

En 1960, juste après Le Monde d'Apu, Satyajit Ray tournait La Déesse, formidable plaidoyer contre l'obscurantisme qui voyait une femme mourir d'avoir été érigée en déesse. On pourrait, jusqu'à un certain point, rapprocher Le Saint de La Déesse, à un basculement de ton près, du dramatique au comique. Le Saint se veut une charge contre la crédulité et les charlatans qui l'exploitent. Au centre du film, le personnage de Birinchi, charlatan habile à manipuler les faibles et à fasciner les foules. Il se fait passer pour un sādhu, qui désigne en Inde le saint homme, qui à renoncé à la société pour se consacrer au spirituel. Les sādhu pratiquent des rituels mystiques et vivent dans l'errance, de l'aumône des croyants. Tout ce que fait semblant de faire Birinchi, bedonnant mais vivant au crochet de ses disciples, simulant les transes et faisant croire tout et n'importe quoi à son public. Alors que son influence s'étend sur un avocat et sa fille, il va déclencher la colère du fiancé de cette dernière, qui aidé de ses amis fera tout pour le mener à sa perte.

Le Saint est placé sous le signe de la caricature et du comique. Et c'est dans sa dimension caricaturale que le film est le plus réussi. Birinchi est l'image opposée du sādhu. Il est gras et vénal, et l'interprétation de Charuprakash Ghosh, qui cabotine sans réserve, en fait un personnage savoureux. L'une des scènes les plus amusantes du film le montre en coulisse, accompagné de ses faux assistants, se réjouissant de sa situation avant de revenir dans son personnage à l'entrée de son hôte, l'avocat Gurupada Mitter. Dans cette séquence où le masque tombe, le film se fait féroce, grinçant et drôle. Un ton souvent obtenu par la qualité du dialogue, notamment des mots employés par Birinchi, ses expressions extravagantes, ses formules improbables qui fascinent ses disciples. On rit donc, ou tout du moins on sourit devant Le Saint. Mais il s'agit malheureusement d'un sentiment qui se fait trop rare, et qui ne suffit à faire de ce film une réussite.

Car en effet, le reste du temps, on s'ennuie ferme. Les personnages positifs, auxquels on devrait s'identifier, sont loin d'avoir la force de Birinchi et il est bien difficile de s'y attacher. Et encore plus difficile de rire grâce à eux. Ce sont des personnages ternes dont les actions le sont tout autant, le déroulement de l'histoire étant sans grand intérêt tout comme son dénouement, que l'on est pourtant en droit d'attendre spectaculaire. Le bien triomphera, le Tartuffe sera démasqué, mais le spectateur sera bien en peine de s'y intéresser. Le Saint manque de rythme et il est heureux que le film soit si court, une demi-heure supplémentaire l'aurait plombé définitivement, effaçant ses quelques qualités.

Le cinéma de Ray est profondément empreint d'humanité. Ray croit en l'homme, en ses qualités et sa bonté. Il n'y a que rarement, dans ses grands films, de personnages vraiment négatifs. La plupart du temps, les femmes et les hommes de ses films luttent contre des destins contraires en faisant valoir leur culture, leur intelligence, ou perdent le combat par excès de sensibilité, de pudeur, de respect. La méchanceté absolue n'est pas vraiment de mise dans cette œuvre, fondamentalement Ray n'y croit pas, ou plutôt ne veut pas y croire. Surtout, il ne veut pas la montrer. Pour s'attaquer à un film comme Le Saint, et le réussir, il semble pourtant qu'il aurait fallu montrer cette méchanceté. A l'excès. On pense à ce que les maîtres de la comédie italienne, Monicelli, Risi, Scola, auraient pu faire d'un tel sujet et du personnage de Birinchi. Nous l'avons vu, nous rions aux apparitions de Birinchi, mais nous ne rions pas vraiment de lui. Ray ne peut s'empêcher de montrer une certaine bienveillance pour son personnage. En définitive, il ne nous semble pas si nocif. Le cinéaste le filme comme un clown plus que comme un escroc, et ce faisant casse le ressort principal d'un film construit autour d'un tel sujet.

Il serait excessif de qualifier Le Saint de mauvais film. Mais on peut tout de même parler d'échec. Ray s'essaie à la comédie, mais ne convainc pas. Il livre une œuvre inoffensive, sans grand relief et sans le rythme nécessaire à toute production du genre. Malgré quelques instants plaisants, on l'oubliera donc rapidement, tant son auteur nous a habitué à des réalisations d'un tout autre calibre.


(1)  Entretien avec S. Ray dans Satyajit Ray, par Henri Micciolo, Editions L'Age D'Homme

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DISTRIBUTEUR : LES ACACIAS
DATE DE SORTIE : 3 DECEMBRE 2014

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Par Philippe Paul - le 1 décembre 2014