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Critique de film
Le film

Le Repas

(Meshi)

L'histoire

Michiyo et Hatsunosuke sont mariés depuis cinq ans et habitent dans un quartier modeste d’Osaka. Lui est un petit agent de change ; elle, s’occupe exclusivement des tâches ménagères. Malgré qu’ils se soient mariés par amour et contre la volonté de leurs parents, ils forment désormais un couple désabusé, fragilisé par la monotonie de leur vie. La visite à l’improviste de Satoko, leur nièce de 20 ans, insouciante et délurée, va agir comme un détonateur. La jeune fille bouscule leur quotidien et suscite bien des remises en question car le mari n’est pas indifférent à ses charmes et à sa jeunesse. Jalouse, Michiyo quitte le foyer et part à Tokyo où elle souhaite prendre du recul pour réfléchir à l’avenir de son couple vacillant et éventuellement trouver un travail…

Analyse et critique

Dans Le Repas (Meshi), qui narre la crise éphémère d’un couple de japonais moyens, c’est la voix off de Michiyo qui nous accueille et nous commente les premières images alors qu’elle apporte le repas à son époux : « Mariée à Tokyo il y a cinq ans contre l’avis de ma famille, installée à Osaka depuis trois ans suite à la mutation de mon mari, mes attentes et mes rêves de jeune mariée, où sont-ils passés ? Mon mari est attablé, j’apporte la soupière. Hier, aujourd’hui et demain, je vis les mêmes matins et les mêmes soirs, 365 jours par an. Entre cuisine et salon, ma vie de femme se consumera-t-elle en silence et sans espoir ? » A la fin du film, après avoir pris la décision de venir revivre auprès de son mari après qu’il se soient séparés quelque temps pour une histoire de jalousie, dans le train qui les ramène chez eux, voici sa conclusion : « A côté de moi, il y a mon mari. Il somnole. Son visage est ordinaire. La route du quotidien l’épuise. Il fait une halte. Il reprend son souffle pour reprendre la route. Je suis à ses côtés. Marcher côte à côte dans la vie à la recherche du bonheur, c’est peut-être cela mon vrai bonheur. Le bonheur, le bonheur des femmes ne serait-ce pas cela ? » Non, Naruse ne prend pas fait et cause pour un discours antiféministe mais effectue un simple constat pessimiste et amer sur la condition de la femme au Japon ! Le ‘peut-être’ et le questionnement de Michiyo sont tout le contraire d’une affirmation et d’une réponse convenable à la recherche du bonheur. Après cette réconciliation ‘forcée’ reviendra sans aucun doute la routine, puis la monotonie et la tristesse se réinstalleront. Malgré tout, on n’échappe pas à son destin aussi facilement et le renoncement se révèle être la seule voie possible selon Naruse et Hayashi qui semblent croire à la pérennité du malheur, suivant en cela un certain fatalisme japonais. Bref, malgré son cheminement, Michiyo a fait du sur place ; elle a renoncé à la fois à un travail qui l’aurait rendu plus libre et à l’amour souterrain qu’elle éprouvait pour un cousin plus ambitieux et attentionné que son mari. Si elle décide au final de retourner auprès de son époux, c’est sous la pression de sa famille. Son expression de tristesse résignée qui va à l’encontre de son monologue fait dire qu’elle n’est pas dupe mais veut se forcer à croire au bonheur ne serait-ce qu’un bref instant.

Comme de nombreux autres films du réalisateur, Le Repas est adapté d’un roman de son écrivain préféré, Fumiko Hayashi (en l’occurrence son ultime roman inachevé). L’histoire de ce couple confronté à la lassitude d’un morne quotidien est illuminée par le visage et le sourire de l’actrice de Printemps Tardif ou de Voyage à Tokyo d’Ozu, Setsuko Hara, ici tout simplement remarquable ; tout passe par ses regards sans qu’elle ait besoin de parler. D’ailleurs, chez Michiyo, les sentiments affleurent mais ne se dévoilent jamais au grand jour ; très peu expansive quant à ses idées et ses émotions, elle ne répond jamais aux questions trop intimes, les élude au contraire en abordant d’autres sujets. Ses constantes hésitations, qu’elle n’ose partager avec quiconque, font obstacle à sa sérénité. C’est le spectateur qui les ressent mieux que les protagonistes tous plus ou moins égoïstes et peu attentifs à cette tristesse, à commencer par le mari veule et taciturne qui se préoccupe plus de sa petite personne (et de la beauté de sa nièce) que de son épouse. Ce drame intimiste se déroule peu de temps après la Seconde Guerre Mondiale à une époque où les circonstances économiques rendaient la vie encore plus difficile. A l’aide d’une abondance de notations réalistes et dans une atmosphère ‘aigre-douce’, par l’intermédiaire de courtes séquences et d’un montage rapide, tout en restant à une certaine distance de ce monde qu’il dépeint, Naruse, en sociologue qui s’ignore, observe avec retenue et précision cette période sombre du Japon.
 

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Portrait de Mikio Naruse

Par Erick Maurel - le 28 septembre 2006