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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Prisonnier d'Alcatraz

(Birdman of Alcatraz)

L'histoire

Emprisonné pour avoir tué un homme, Robert Stroud commet en prison un second meurtre sur la personne d’un gardien l’ayant privé d’une visite de sa mère. Condamné à mort, il voit sa peine commuée en enfermement à vie et à l’isolement dans la prison de Leavenworh, dans le Kansas. Lors d’une promenade, il trouve dans la cour de la prison un oiseau blessé dont il décide de s’occuper. Il le soigne et l’apprivoise, et se prend peu à peu de passion pour l’ornithologie. Stroud invente des remèdes et écrit des livres, qui font de lui l’un des plus grands experts du sujet, jusqu’au jour où il est transféré vers la prison d’Alcatraz, où il sera privé de ses canaris.

Analyse et critique

Le cas de Robert Stroud est l’un des plus marquants de l’histoire du système pénitentiaire américain. En 1909, Stroud est condamné à 12 ans de prison pour le meurtre d’un homme qui aurait molesté une prostituée qu’il connaissait ou, selon les versions, dont il aurait été le souteneur. Stroud aurait dû être rapidement libéré en bénéficiant des remises de peines habituelles, mais son comportement violent l’empêche d’en bénéficier jusqu’à ce qu’il tue un gardien qui l’avait empêché de recevoir une visite de son frère. Stroud est condamné à mort, mais une intervention de sa mère auprès de la femme du président Woodrow Wilson lui permet d’échapper à l’exécution. Il se retrouve alors condamné à l’enfermement à l’isolement à perpétuité. Un cas déjà atypique, qui le devient encore plus lorsque l’on sait que pour tuer le temps, Stroud a petit à petit développé une passion pour les oiseaux, au point après quelques années d’en faire le commerce et de devenir grâce à ses écrits une référence dans les milieux ornithologiques. Au tout début des années 50, son cas attire l’attention de Thomas Gaddis, contrôleur judiciaire et enseignant, qui va se lancer dans la rédaction d’un livre à son sujet. Birdman of Alcatraz paraît en 1955 et devient un véritable succès de librairie. Edulcorant les aspects les plus négatifs de la personnalité de Stroud et vantant ses mérites, le livre en fait le prisonnier le plus connu du monde. Une situation qui attire évidemment l’attention de Hollywood. Après l’échec du réalisateur Joshua Logan puis celui du producteur Jack Cummings, qui se heurtèrent tout deux dans leur volonté d’adaptation du film au refus de l’administration pénitencier américaine, c’est le duo Harold Hecht-Burt Lancaster qui s’empare du sujet. L’acteur s’entiche du personnage, et s’engage alors dans un combat public face à l’administration américaine. Il ne remportera pas ce combat mais qu’importe, le film se tournera en studio et le duo de producteurs se tourne alors vers Charles Crichton, grand maître de la comédie anglaise bien peu habitué aux productions de ce genre, pour en assurer la mise en scène.


Ce qui devait arriver arriva, et au bout d’une semaine de tournage les producteurs constatent que Crichton n’est pas l’homme de la situation. Il est alors renvoyé, et John Frankenheimer est appelé à la rescousse. Le jeune cinéaste s’était imposé dans la décennie précédente comme un réalisateur majeur de la télévision live. Sa réputation grandissante lui avait ouvert pour la première fois les portes du cinéma en 1956 avec Mon père, cet étranger qui fut un échec. C’est Harold Hecht, déjà, qui va lui donner sa seconde chance en 1961 pour Le Temps du châtiment, là aussi avec Burt Lancaster. Si les relations entre l’acteur et le metteur en scène ne furent alors pas exceptionnelles, les deux acceptent pourtant de travailler à nouveau ensemble sur Le Prisonnier d’Alcatraz. Ce qui fut pour chacun une décision pertinente, Lancaster y trouvant l'un des ses rôles les plus marquants alors que Frankenheimer voyait sa carrière au cinéma réellement démarrer. Le Prisonnier d’Alcatraz fait la preuve de son talent de réalisateur : sa caméra mobile et son sens du cadre parviennent à rendre passionnant un récit nous faisant passer près de 2h30 entre quatre murs et proposant très peu d’action. Pourtant de nos jours, l’image de Frankenheimer est brouillée. Sa fin de carrière, constituée de films d’action souvent anodins malgré l’évidence de son savoir-faire, a masqué ses formidables débuts marqués, après Le Prisonnier d’Alcatraz, par sa mémorable trilogie de la paranoïa : Un crime dans la tête, Sept jours en mai et Seconds. Le vide critique concernant le cinéma hollywoodien des années 60, coincé entre l’âge d’or et le Nouvel Hollywood, fait malheureusement disparaître l’essentiel des grands films du cinéaste de l’Histoire classique du cinéma américain. Il est temps de mettre en lumière son talent, petit à petit reconnu grâce à la redécouverte de ses meilleurs films et confirmé par son travail sur Le Prisonnier d’Alcatraz.


Pour Burt Lancaster, tenir le rôle de Robert Stroud est aussi un moment important. L’acteur est totalement absorbé par son personnage, au point de devenir l’un des plus grands défenseurs du prisonnier aux Etats-Unis, et d’en faire l’une de ses plus belles performances à l’écran. Au-delà de l’engagement idéologique de l’acteur, son implication dans son rôle confère une intensité rare à son interprétation Et il le fallait. Lancaster est de toutes les scènes ou presque du film et il le porte sur ses épaules, permettant de créer une réelle empathie pour le personnage. Son engagement est tel qu’il se fâchera d’ailleurs durant le tournage avec Karl Malden, bien moins convaincu de la rédemption. Une opposition bénéfique au film, puisqu’elle nourrit ainsi le personnage de Harvey Shoemaker, le directeur de Leavenworth puis d’Alcatraz incarné par Malden. Les scènes qui opposent les deux hommes y gagnent une intensité et une vérité frappantes, et deviennent le véritable moteur narratif du film. En effet, contrairement à la plupart des films de prison traditionnels, il n’est pas question d’évasion dans Le Prisonnier d’Alcatraz et même le sujet de la libération de Stroud ne constitue pas un réel procédé de suspense. L’intérêt repose alors entièrement sur l’intensité et l’originalité de son personnage principal et de sa situation.


Si l’évasion physique du personnage n’est pas le sujet du film, il y est bien sûr question d’évasion mentale, évidemment symbolisée par la présence des oiseaux. Ces derniers sont presque les autres acteurs majeurs du film tant leur présence sonore et visuelle à l’écran constitue un fil conducteur majeur du Prisonnier d’Alcatraz et aussi un de ses éléments les plus impressionnants. John Frankenheimer décrivait d’ailleurs ces séquences comme les plus difficiles à tourner, et ce défi technique se ressent à l’écran en créant un effet fascinant par le simple son et par la simple présence insolite de ces volatiles dans un univers carcérale, qui font basculer le film dans une atmosphère presque fantastique. Frankenheimer ne propose pas que cette vision métaphorique de l’évasion. Lorsque Stroud construit ses cages à oiseaux, avec les morceaux d’une caisse en bois et quelques plans amateurs, ses gestes sont ceux du héros préparant dans la pénombre de sa cellule les outils de son évasion. Ainsi le cinéaste recrée des images auxquelles le spectateur est habitué, créant pour lui une zone de confort qui le rend disponible pour un récit atypique. Le Prisonnier d’Alcatraz, film long et plutôt statique, devient facile à voir et facile à appréhender par les repères qu’il nous offre.


Le plus grand risque que représentait le tournage d’un tel film était de produire une hagiographie du personnage de Robert Stroud. Un risque renforcé par le matériau de base, le livre de Thomas Gaddis, qui proposait un point de vue unilatéral et favorable au prisonnier. Malgré cela, et malgré l’engagement fort de Lancaster pour Stroud, le résultat est loin d’être manichéen. Frankenheimer donne la parole à Stroud mais la donne également à Shoemaker et aux gardiens de prison maltraités par le prisonnier. Jamais il ne force l’empathie pour son personnage principal, dont la violence et le mauvais caractère ne sont pas masqués, notamment dans la première partie du film. Pour la défense de Stroud, il laisse s’exprimer la puissance d’acteur de Lancaster et la sympathie qu’il inspire naturellement au spectateur. La caméra, quant à elle, est objective, elle laisse les faits parler et le spectateur décider. A la fin du visionnage du Prisonnier d’Alcatraz, nous n’avons pas l’impression d’avoir été les otages d’un message. Nous sommes libres de pencher autant du côté du personnage incarné par Burt Lancaster que de celui interprété par Karl Malden. Il s’agit d‘un film intelligent présentant toute la complexité d’une situation, celle de Stroud et plus largement celle de la situation du monde carcéral américain à l’aube des années 60, tout en laissant son spectateur se faire une idée. Porté par un casting remarquable auquel il ne faut pas oublier d’associer Telly Savalas, particulièrement touchant dans son rôle de voisin de cellule de Stroud, Le Prisonnier d’Alcatraz est un film passionnant et élégant, magnifié par le très beau noir et blanc de Burnett Guffey. Il s’agit probablement d’un des plus beaux films de prison, et incontestablement d'une des productions les plus originales du genre.

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 18 juillet 2018