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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Pays de la haine

(Drango)

L'histoire

La Guerre de Sécession vient de prendre fin. Les habitants de Kennesaw voient avec d’un très mauvais œil l’arrivée de deux soldats de l’Union, le Major Drango (Jeff Chandler), accompagné par le Capitaine Banning (John Lupton). Drango se présente devant le juge Allen (Donald Crisp) comme nouveau gouverneur militaire de sa petite ville ; il a été envoyé par le gouvernement pour organiser la reconstruction de la bourgade après qu’elle a été quelques mois auparavant totalement mise à sac par les troupes du Général Sherman. La haine et les rancunes étant tenaces envers les destructeurs de leur bourgade, personne ne veut croire Drango lorsqu’il dit vouloir accomplir sa mission dans la paix et la bonne entente. Il faut dire que le fils du juge, Clay (Ronald Howard), attise les rancœurs de ses concitoyens en les poussant à ne rien faire pour aider les hommes envoyés par l’État, à ne pas accepter leur autorité mais au contraire les pousser à évacuer les lieux quitte à en passer par la violence et les meurtres. Les deux soldats nordistes ne se démontent pas et tentent le tout pour le tout pour s’attirer les bonnes grâces des habitants de Kennesaw. Mais la bonne volonté de Drango se heurte aux tentatives de déstabilisation de Clay Allen. Résultat : le lynchage de Henry Calder (Morris Ankrum), un homme qu’il souhaitait faire juger équitablement en lui promettant un prompt acquittement, la blessure grave du docteur, le seul habitant à avoir pris parti pour la collaboration pacifique, et autres drames... Le jour où les citoyens apprennent que Drango faisait partie du détachement ayant participé à la dévastation de Kennesaw, la situation va en empirant. Seule la fille de Calder (Joanne Dru) est encore là pour soutenir celui qu’au départ elle accusait d’avoir laissé tuer son père. Une romance va d’ailleurs naitre entre eux...

Analyse et critique

Drango fut l’unique western réalisé par Hall Bartlett, cinéaste dont le nom ne dira pas grand-chose à une majorité de spectateurs mais qui signa néanmoins en 1971 un film devenu mondialement connu, sur une musique de Neil Diamond tout aussi célébrée à l’époque, Jonathan Livingston le goéland (Jonathan Livingston Seagull). Aujourd’hui, pour les nouvelles générations, ce titre sera très probablement aussi obscur que le nom de son réalisateur ; mais demandez à tous ceux qui avaient 20 à 30 ans dans les années 70, ils vous parleront très certainement de ce film "animalier" avec enthousiasme puisqu’il eut une résonance toute particulière sur la jeunesse de ce début de décennie, et notamment auprès de la communauté hippie, pour avoir été une sorte de manifeste / plaidoyer en faveur de la liberté et de l’anticonformisme. Mais ceci est une autre histoire et le réalisateur est retombé ensuite dans l’anonymat. Hall Bartlett fut cependant depuis ses débuts un auteur complet puisque, entre 1955 et 1983, il scénarisa et produisit la plupart de ses dix films en tant que metteur en scène, dont Zero Hour, source d’inspiration principale pour les auteurs déjantés de Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (Airplane). Le Pays de la haine est le deuxième titre de sa courte et éclectique filmographie : un western coréalisé par le prolofique "téléaste" Jules Bricken et au postulat de départ historiquement passionnant sur l’ère de la reconstruction dans le Sud des États-Unis (plus précisément en Géorgie) juste après la fin de la Guerre de Sécession.

"In the months that followed the War between the States, the South lay in pitiable desolation. Within the people, a fire still smouldered. Proud, unbowed, they watched with ominous foreboding as the hated Yankees again rode down upon their land-this time as military governors."

Un Nordiste commissionné à la fin de la guerre civile pour rétablir l’ordre, réorganiser la vie quotidienne et superviser la reconstruction d’une ville du Sud dont il avait participé à la dévastation ; ses remords suite aux exactions commises durant le conflit qui le poussent à prendre sa mission très à cœur afin de pouvoir se racheter ; ses difficultés à se faire accepter par une population assez légitimement rancunière et haineuse ; un portrait de cette communauté déprimée et affamée qui pousse même les plus jeunes à se battre à mort pour un bout de viande... Les situations mises en scène sont assez inédites et il est évident que les intentions de Hall Bartlett étaient plus que louables, faisant dans le même temps une sombre description de cette période d’après-guerre dans un pays physiquement et psychologiquement dévasté et ruiné, tout en mettant en place un plaidoyer en faveur de la paix, de la collaboration et de l’entente entre ex-ennemis. Les bonnes intentions ne font pas forcément les bons films mais Drango prouve que c'est possible. Bertrand Tavernier et Jean-Pierre Coursodon, dans leur 50 ans de cinéma américain, faisaient débuter ainsi leur notule sur Hall Bartlett : "Toujours producteur et scénariste (ou coscénariste) de ses propres films, il témoigne dans chacun d'eux une louable ambition mais son talent ne se situe pas toujours au niveau de ses aspirations." Et il est vrai que la mise en scène même si tout à fait honorable manque quelque peu de vigueur. 

Le casting n'est pas inintéressant. Jeff Chandler porte parfaitement la Tunique bleue vu le nombre de fois où il l’a auparavant endossée ; son personnage hanté par le passé récent est très attachant et remarquablement bien écrit ; un homme rongé par les remords de ce qu’il a pu faire durant la guerre, l’humiliation acceptée pour se racheter et la tristesse de ne pas arriver à mener à bien sa difficile mission. Que ce soient John Lupton, Donald Crisp ou Julie London (qui ici ne pousse pas la chansonnette), ils n’ont pas grand-chose à faire alors que Ronald Howard a du mal à nous faire oublier son père même si sa ressemblance avec Leslie est ici frappante au point de parfois fortement faire penser au Ashley Wilkes de Autant en emporte le vent. Sauf qu’au contraire de ce dernier, Clay Allen est un homme méprisable qui ne cherche qu’à semer la discorde en insufflant des idées de vengeance et de haine dans le cœur de ses compatriotes. Quant à la sublime Joanne Dru (qui remplace Linda Darnell, initialement prévue), elle toujours aussi belle et talentueuse même si on a un peu de mal à croire à sa romance de dernière minute avec Jeff Chandler, un homme qu’elle a eu en horreur durant les ¾ du film qui ont précédé ce revirement assez peu crédible.

Étonnamment, les séquences les plus mémorables du film sont celles mettant en scène des enfants plus ou moins jeunes. C’est le plan d’un jeune adolescent allant annoncer la venue des soldats nordistes qui ouvre le film. Le seul gunfight qui aura lieu au sein d’un western avare en action verra violemment se confronter deux jeunes enfants se tirant dessus pour l'appropriation d’un poulet, une séquence très forte qui démontre très simplement et sans discours toute la meurtrissure de ce déprimant après-guerre. Enfin, nous aurons droit à une émouvante séquence de compassion, celle totalement silencieuse au cours de laquelle Jeff Chandler vient essayer d’apprivoiser une famille de jeunes orphelins en leur apportant vêtements et nourriture. On regrettera que certaines autres pistes historiques n’aient été que succinctement soulevées comme le changement d’attitude des militaires immédiatement après la mort de Lincoln. Plastiquement, Drango est également une jolie réussite notamment (et surtout) grâce à la photographie en noir et blanc très stylisée de James Wong Howe. Ainsi, la séquence du lynchage acquiert toute sa puissance grâce au travail de ce dernier sur les contrastes et les ombres. Concernant la musique, le talentueux Elmer Berstein a écrit une partition très agréable même si elle ne colle pas tout le temps ni au ton de drame de l'après-guerre ni à ses images. Premier film produit par la compagnie fondée par Jeff Chandler et son agent Meyer Mishkin, voici un western qui ne manque pas d’audace ni de noblesse. Plus intrigant que réellement excitant, mais néanmoins très intéressant. Un bien beau et atypique western.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 1 mars 2019