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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Paradis des monte-en-l'air

(Two Way Stretch)

L'histoire

Dodge Lane, Lennie Price et Jelly Knight sont trois détenus de la prison de Huntleigh, institution carcérale pour le moins... libérale. Soumis à une autorité pour le moins souple et permissive, les trois hommes s'accommodent finalement bien de la détention, qui ne les empêche pas vraiment de vaquer à leurs occupations. Un jour, Dodge reçoit la visite de leur ancien complice, Soapy Stevens, déguisé en pasteur, venu lui proposer une affaire en or. Mais au même moment, la prison engage un nouveau gardien-chef, Crout, bien décidé à rétablir l'ordre dans l'établissement.

Analyse et critique

Quelques secondes suffisent à définir l’esprit de Two Way Stretch : un générique très graphique avec des prisonniers qui sourient, une ritournelle jazzy qui swingue, et l’illustration par l’exemple du système D de ces trois taulards qui vivent comme des pachas dans leur cellule tout-confort. Le ton du film est à l’insolence bonne-enfant, et pendant une vingtaine de minutes, le film se contentera de ce carburant modeste mais efficace : entre les astuces des prisonniers pour dissimuler leurs véritables activités lors de la visite des dames du Comité, la candeur du directeur convaincu qu’il parviendra à les réinsérer par la broderie ou le jardinage et la bienveillance complice des gardiens, on en arriverait presque à jalouser ces pensionnaires de luxe...

Une séquence s’offre comme un résumé, succinct et direct, de cet esprit, celle de la visite des familles ou des proches. Dodge y dit d’ailleurs à sa poule, Ethel,  qu’ « il se verrait bien passer le reste de ses jours ici », avec au départ une ironie flegmatique qu’elle saisit d’autant plus mal que, d’après ce que l’on a vu, on le comprendrait presque. Lors de cette visite, on découvre notamment la mère de Lennie, à l’origine de l’un des running gags les plus sympathiques du film : cette mère-poule qui reproche à son fils non pas d’être en prison mais de ne rien faire pour s’en évader. Et le garçon, trop gentil pour assimiler les codes du milieu, de ne pas savoir quoi faire de cette mère encombrante qui lui cache par exemple des limes dans le gâteau d’anniversaire destiné au gardien-chef ! A côté, un prisonnier reçoit la visite de sa femme et de son fils, âgé de huit mois, alors qu’il est sous les verrous depuis 2 ans... Et enfin, pour tout ce joli monde, la pulpeuse Ethel va sacrifier ses gambettes aux yeux du gardien du parloir, le temps que les autres visiteurs puissent passer en douce toute la contrebande qu’ils ont emmenée avec eux... Il faut d’ailleurs noter que la comédienne interprétant Ethel, Liz Fraser, avait déjà partagé l’écran avec Peter Sellers l’année précédente dans I’m All right Jack, dans lequel elle interprétait… sa fille, et la jeune femme n’en avait d’ailleurs pas gardé un souvenir confortable : « Je me souviens avec lui de scènes - et je ne parle pas de scènes du film - extrêmement embarrassantes, dont je peinais à m’extirper. Rétrospectivement, je me dis que ce n’était pas tant un méchant homme qu’un garçon un peu puéril. » (1)

Après ces vingt bonnes minutes d’installation, un peu faciles mais finalement plutôt réjouissantes, l’intrigue rebondit selon deux directions : la première est une idée scénaristique plutôt maline (et plutôt caractéristique de la torsion des esprits des scénaristes de la bonne comédie anglaise), qui repose sur le simple constat que l’alibi idéal pour ne pas être accusé d’un crime est d’être déjà en prison au moment où celui-ci est commis ! La deuxième est l’arrivée, suite au départ à la retraite du gardien-chef bonhomme avec qui les trois prisonniers aimaient prendre le thé en taillant le bout de gras, d’un nouveau gardien autoritaire risquant de contrecarrer leur plan, le redoutable Crout. La première tension attirant le film vers le polar et la seconde davantage vers la comédie burlesque (façon Bip-Bip et Coyote, en quelque sorte), le film poursuit son petit bonhomme de chemin jusqu’à son terme avec facétie et efficacité, sa concision n’étant finalement pas la moindre de ses vertus.

Dans le rôle principal, Peter Sellers, tout auréolé de la belle notoriété consécutive à I’m All Right Jack, livre une performance plutôt retenue, sans éclat particulier, mais habitée d’une belle distance ironique. Il ne s’agit évidemment pas de son interprétation la plus éblouissante, d’autant qu’il se fait assez vite voler la vedette par Lionel Jeffries, qui cabotine remarquablement dans le rôle de Crout. Ce drôle de comédien, devenu chauve à l’âge de 19 ans, passa donc sa vie à être engagé pour interpréter des personnages plus vieux qu’il ne l’était réellement, par exemple en incarnant à 41 ans le rôle de Grandpa Potts dans Chitty Chitty Bang Bang (alors qu’il avait six mois de moins que Dick van Dyke, qui y incarne son fils !). Au moment de tourner Two Way Stretch, Jeffries commençait à se rapprocher des leading parts du cinéma britannique, et Sellers et lui étaient alors professionnellement souvent en rivalité. Peter Sellers déclara à l’occasion trouver le jeu de Jeffries un peu exagéré (« over the top »), mais le biographe Roger Lewis soutient que le style de celui-ci influença partiellement Sellers, notamment avec sa performance de Two Way Stretch. On peut en effet s’amuser à comparer la droiture de ce personnage de fonctionnaire un peu borné, qui tente tant bien que mal de conserver sa dignité même lorsqu’il atteint les cimes du ridicule, avec celle de l’inspecteur Clouseau que Sellers incarnera, à partir de 1963, dans la saga de la Panthère Rose. Plus explicitement, Sellers reprit une des répliques les plus percutantes de Crout dans Two Way Stretch (« Silence when you’re talking to me ! ») pour se l’approprier dans What’s New, Pussycat ? Les deux hommes se recroisèrent à l’occasion dans des rôles assez similaires (l’escroc filou face au policier obsessionnel), par exemple dans The Wrong Arm of the Law de Cliff Owen (également avec Bernard Cribbins), puis tournèrent leur dernier film ensemble en 1979 avec The Prisoner of Zenda de Richard Quine, durant le tournage duquel on raconte que, quelques mois à peine avant sa disparition, Sellers appelait régulièrement Jeffries, à toute heure du jour et de la nuit, pour lui demander conseil. Drôle de relation, comme pour illustrer la personnalité troublée et pleine de contradictions de Peter Sellers.

Si Two Way Stretch, très honnête divertissement, ne possède donc objectivement aucune raison d’être considéré comme un grand film, l’une de ses images les plus célèbres, située dans la dernière séquence du film (lorsque les trois malfrats, enfin libérés, se rapprochent de la cour du calife pour lui dérober ses bijoux), semble comme annoncer une partie de la suite de la carrière de Sellers : les diamants, l’exotisme et les déguisements... C’est sûr, le Renard ou la Panthère Rose ne sont plus très loin.

(1) Citée par Ed Sikov dans Mr. Strangelove, éd. Hyperion

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Antoine Royer - le 28 février 2013