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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Jour des morts-vivants

(Day of the Dead)

L'histoire

Les morts vivants règnent sur terre. Dans un bunker, une poignée de scientifiques essaye de trouver un remède ou une solution à l’invasion. Un bataillon réduit de militaires dirige cette enclave souterraine et, sous l’impulsion du capitaine Rhodes, menace les scientifiques d’arrêter leurs expérimentations. La tension monte entre les deux factions.

Analyse et critique

Les zombies, c’est le grand retour du refoulé. D’un coup, tout ce que l’Amérique cache et enterre remonte à la surface. Une Amérique qui, tout au long de son histoire, n’a cessé de combattre ou de masquer l’ampleur de la contestation existant en son sein. Une contestation pourtant bien palpable au travers des mouvements populaires qui n’ont cessé d’ébranler le pays et dont la plus visible manifestation reste le vaste mouvement des années 60 et 70. Dans le paysage cinématographique américain, Night of the Living Dead marque en 1968 une véritable date dans l’histoire du cinéma de genre. Défendant le plus souvent des valeurs réactionnaires ou jouant sur la peur de l’invasion et de l’autre, le cinéma d’horreur est soudainement repris en main par un enfant de la contestation. Ultra violent, radical, sombre, brut et documentaire, le film marque durablement les esprits de l’époque et devient un film emblématique de la vague sociale qui secoue le pays. Pourtant, les zombies ne sont pas les symboles de tel ou tel groupe contestataire, ils représentent simplement pour Romero le besoin de changement. Figures vides, ils ne demandent qu’à être interprétés par tout un chacun. Les trois premiers films de la saga sont moins des films politiques que des films qui demandent à être politisés. Le premier volet des morts vivants est avant tout un pur film d’horreur. Sa portée critique se limite à la description de la violence des milices et le discours de Romero à la description de l’incapacité de l’homme à communiquer et agir de concert face à une menace. Avec Zombie, le cinéaste franchit un cap et affiche plus littéralement le contenu sociopolitique de son film. Cette suite, dont il a longtemps rejeté l’idée, ouvre la voie à un projet cinématographique qui consiste à dresser à la fin de chaque décennie un portrait de l’Amérique à travers un nouveau volet de la saga des morts vivants.

A la fin des années 70, les zombies de Dawn of the Dead (comme le souligne Jean-Baptiste Thoret dans ses divers écrits consacrés au film), peuvent être perçus comme l’aboutissement de la société de consommation. Les morts vivants ne font plus que consommer, ils vont au bout de la logique capitaliste, tout comme la famille d’anciens ouvriers des abattoirs de Massacre à la tronçonneuse qui poursuivent leur travail à la chaîne avec des êtres humains une fois leur usine d’équarrissage fermée. A chaque décennie correspond donc son zombie. Eux, cadavres déliquescents jamais rassasiés, ne changent pas mais ce que l’on y met, ce qu’ils représentent pour nous, évolue à chaque film. Le Jour des morts vivants met donc en scène les zombies des années 80 et fait le bilan de l’Amérique de l’ère Reagan. Le film vient un peu tôt dans la décennie, il ne la clôture pas comme le faisaient les deux précédents volets, mais les quatre années de présidence de Reagan ont été si violentes à l’encontre des plus pauvres que Romero ressent le besoin de déverser sa colère. Les vieilles valeurs réactionnaires sont de nouveau à la mode. C’est une époque marquée par la destruction systématique du système d’aide aux plus fragiles, c’est le « marche ou crève » érigé en force de loi, l’ère des yuppies et des golden boy. Le cinéma, après une décennie d’expérimentation et de contestation des règles établies, rentre dans le rang. Il plébiscite la politique impérialiste et les vieilles valeurs américaines, il prend sa revanche sur le passé (c’est le triomphe de Rambo II).

Romero, lui, se remet mal de l’échec de son très personnel Knightriders réalisé l’année de l’élection de Reagan. Il réalise ensuite Creepshow, hommage raté aux EC Comics de son enfance. Il produit une série télévisée, Tales from the Darkside, sorte de Twilight Zone qu’il imagine comme un laboratoire où de jeunes réalisateurs (issus de son entourage : Tom Savini réalise deux épisodes, Michael Gornick trois…) pourraient faire leurs preuves. L’expérience, qu’il pensait comme une opportunité pour sa société Laurel Entertainment de renouveler son vivier d’auteurs, est un échec cinglant suite au désistement des financeurs. Dans le cinéma d’horreur, le gore n’a plus la valeur contestataire qu’il possédait dans les années 70. Il est revenu à sa fonction première de spectacle grand guignol, successions de gimmick visuel jouant sur le comique et le dégoût (Evil Dead, Street Trash, Re-animator…). Romero rêve de son côté d’un ambitieux film de zombie qui mettrait en scène des affrontements dantesques entre des armées de morts vivants et les survivants humains. Dans ce projet initial, les hommes vivent repliés dans des zones militarisées tandis que les élites bénéficient de bunkers sous terrains. Dans les camps en plein air, la misère, la prostitution et la drogue sont le lot quotidien des survivants (cette idée sera reprise dans le quatrième volet, Land of the Dead). Les scientifiques essayent de trouver une solution à l’invasion et subissent la pression des autorités militaires et de ceux qui, sous terre, vivent dans l’opulence et ont imposé un gouvernement fascisant. Dans une des versions du scénario original, les scientifiques parviennent à contrôler les zombies et les utilisent comme chair à canon contre leurs congénères, élément qui reprend la conclusion, finalement écartée par Romero, de La Nuit des morts vivants.

Mais le cinéaste n’a pas la cote auprès des studios et ses ambitions semblent complètement déplacées dans le paysage cinématographique sclérosé de l’époque qui privilégie les productions familiales. Le cinéma d’horreur reste une niche qui n’intéresse aucunement les conseils d’administration des studios et le fantastique n’est toléré que lorsqu’il sert des projets consensuels et inoffensifs. Malgré le succès des deux précédents volets (Zombie a rapporté une quarantaine de millions de dollars), Romero n’obtient que 3.5 millions de dollars pour réaliser son film. Il aurait pu parvenir à un budget plus confortable en limitant la violence visuelle de son film, demande totalement inacceptable pour un cinéaste qui considère le gore comme partie intégrante du projet artistique de sa saga des morts vivants. Romero réécrit complètement son script en revoyant ses ambitions à la baisse et ne conserve que le squelette de son projet : un monde livré aux morts où une poignée de scientifiques et de militaires vivent reclus dans des espaces sous terrains encore protégés. On peut imaginer que le film a finalement grandement gagné à se resserrer sur quelques enjeux dramatiques. En effet, aussi intéressant soit-il, le script d’origine courait le risque d’être une traduction trop littérale de la politique américaine d’alors. En grattant la chair de son sujet, en en conservant seulement l’os, Romero offre avec Le Jour des morts vivants une parabole certainement plus inquiétante et troublante que ce que le scénario initial, trop directif, pouvait laisser augurer.

Le film s’ouvre sur un groupe d’humains qui sillonne les ruelles d’une ville de Floride à la recherche d’éventuels survivants. Ce qui s’offre à eux est un paysage d’apocalypse. Outre l’angoisse que diffuse cette scène impressionnante, Romero s’amuse en quelques images à dresser un état des lieux de la société américaine : un zombie dans un cinéma tenant un rouleau de tickets à la main, un crocodile qui surgit d’une banque, un mort vivant assit dans la position d’un mendiant tenant son casque de militaire à la main, des liasses de billets qui s’envolent. Quelques instantanés, et les années Reagan sont là : marchandisation à outrance (notamment du cinéma), suprématie des yuppies et de la bourse, destruction sans précédent des programmes d’aide sociale. Le monde dévasté que nous présente Romero pourrait tout aussi bien être le produit de la politique américaine que celui de l’invasion des morts vivants. Mais nous sommes dans un film fantastique et ce prologue nous fait découvrir une terre ravagée où les humains ont cédé la place aux zombies. Les morts, les enterrés, marchent à la lumière du jour tandis que les humains se terrent dans des tombeaux. L’humanité a perdu le combat et n’a plus d’autre possibilité que de découvrir comment faire avec ce nouvel ordre des choses. Il est impossible de lutter contre la présence des zombies, d’éradiquer la menace et il faut, pour survivre, réinventer une nouvelle société en adéquation avec un monde qui n’a plus rien à voir avec l’ancien.

Comme dans La Nuit des morts vivants et Zombie (mais on pourrait citer la plupart des films de Romero) les héros se trouvent confrontés à une transformation de leur environnement qui les poussent à se replier sur eux-mêmes, que ce soit identitairement ou physiquement. Ce repli ne peut être une fin en soi mais les personnages peinent à le comprendre. Dans chaque épisode de la saga, les humains investissent un espace qu’ils pensent pouvoir contrôler et garder vierge. Et même lorsque les faits leur ont prouvé l’inanité de cet espoir, les survivants conservent l’idée qu’il y a quelque part un Eden : une île dans Zombie, le Canada dans Land of the Dead. Bâtir un sanctuaire est pourtant inutile si les vieux réflexes subsistent, si les occupants ne sont capables que de reproduire un modèle de société hérité d’un temps révolu, si au lieu d’imaginer des utopies ils recyclent des mécanismes obsolètes. Les survivants sont des morts qui s’ignorent.

Dans Dawn of the Dead, les quatre fuyards, une fois qu’ils se sont emparés du centre commercial et l’ont sécurisé, s’ennuient. S’ils s’amusent au départ de ce paradis de la consommation, rapidement ils ne ressentent que du vide face à ce qui leur semblait être un terrain de jeu infini. Bientôt ils ne font plus qu’imiter le bonheur, la vie d’avant. Ils s’épuisent car ils sont incapables d’inventer autre chose. Refusant le monde tel qu’il est, ils en appellent à des images du passé, a priori réconfortantes mais qui les empêchent d’avancer. Dans Le Jour des morts vivants, les quelques survivants réfugiés dans le bunker sont tout aussi incapables d’imaginer une société en accord avec la transformation radicale du monde dont ils sont les témoins. Ils ne parviennent pas à dépasser leurs réflexes identitaires pour simplement communiquer, ce qui, exactement comme dans La Nuit des morts vivants, va précipiter leur chute. Au contraire ils s’enferrent dans ce repli identitaire, exacerbent des réactions primaires héritées de l’ancienne société des hommes : racisme (le soldat Steel jette un « putain de mulâtre à la con » en parlant de Miguel, écho au sergent des SWAT du début de Zombie, frénétique à l’idée d’abattre des portoricains ) ; sexisme (comme dans Zombie, la question de la masculinité est au centre des relations entre hommes et femmes : les individus masculins supportent mal de voir une femme s’émanciper et diriger les opérations, ce qui les pousse constamment à revendiquer leur machisme par des allusions sexuelles ou par des actes qui mènent le groupe à sa perte) et enfin réflexe de castes. Les scientifiques sont persuadés de posséder la vérité et les militaires, qui n'ont jamais été en odeur de sainteté pour Romero (voir The Crazies), sombrent dans le fascisme. Sous Reagan, les films d’action virils abondent, tout à la gloire de la puissance masculine et du bellicisme. Le Jour des morts vivants est la réponse radicale de Romero à cette dérive réactionnaire du cinéma hollywoodien.

De film en film, Romero dresse un portrait effrayant des Etats-Unis, de son incapacité à appréhender l’autre, d’inventer des modèles de solidarité qui dépasseraient les statuts sociaux, ethniques ou religieux. Il montre que même au pied du mur, son pays est incapable de se repenser. Le bunker de Day of the Dead, dernier refuge d’une humanité en voie d’extinction, conserve en son sein la mémoire des institutions du pays : des monceaux de dossiers, d’études, de recensements… autant de documents devenus inutiles. Le bunker (espace qui fait également écho à la peur du nucléaire en cette période de guerre froide) est un mausolée en l’honneur d’une société disparue. Dès l’ouverture, on sait que la civilisation telle qu’on la connaît n’existera plus. La ville est désertée, les façades des magasins éventrées, des journaux et des liasses de billets sont emportés par le vent… argent, consommation, média, tout est foulé aux pieds par les zombies. Le mouvement amorcé dans Night of the Living Dead a emporté l’humanité jusqu’à un point de non retour, et ce malgré le fugace espoir entrevu à la fin de Dawn of the Dead.

Le Jour des morts vivants fait constamment écho à Zombie et ce dès l’ouverture où Sarah se réveille d’un cauchemar, tout comme Fran au début de Dawn of the Dead. Cependant, un glissement s’est effectué entre les deux films : dans Dawn le spectateur ne voyait pas le cauchemar de Fran tandis qu’ici Romero nous le fait partager à l’image. Ce changement fait partie de l’évolution du rapport des personnages féminins à la réalité du retour des morts au fur et à mesure des épisodes. Barbara, dans Night of the Living Dead, sombre dans la catatonie et se sent prisonnière de ce qu’elle perçoit désormais comme un cauchemar sans issue. Dans Dawn, Fran s’éveille d’un mauvais rêve mais, le spectateur n’ayant pas fait l’expérience de son cauchemar, la réalité pourrait tout aussi bien en être le prolongement. Au début de Day, Sarah parvient enfin à scinder le rêve et la réalité. Elle accepte les zombies comme une vérité, une nouvelle donne avec laquelle il faut dorénavant vivre. Mais cette situation insupportable, elle ne sera pas capable de l’accepter jusqu’au bout. [spoiler] A la fin de Zombie, Fran devait mourir, décapitée par les pales de l’hélicoptère, conclusion amère que Romero changea au dernier moment. A la fin du Jour des morts vivants, Sarah parvient à monter dans l’hélicoptère pour s’enfuir mais est agrippée au dernier moment par les mains des zombies, image reprenant celle de son cauchemar du début. Cut. Elle se réveille sur une plage idyllique. A ses côtés les deux autres rescapés jouent au foot. On sait, on sent, que ces dernières images ne sont pas réelles, que Sarah a bel et bien péri dans l’hélicoptère. Cette vision de carte postale nous ramène à cette image vierge d’un champ paisible, sensation rassurante qui l’absorbait lors du songe inaugural. Alors que la fuite des deux survivants dans Zombie laissait planer un espoir sur la suite des évènements, tout ce que Romero peut offrir à Sarah dans ce troisième épisode est un rêve. C’est la seule chose qui reste, la seule chose encore accessible à l’homme. Dans cette réalité, crue, violente, implacable, c’est tout ce qui peut encore apporter un peu de chaleur et de réconfort. Mais ce n’est qu’un mirage. [fin du spoiler]

Si le rapport des humains à la réalité du retour des morts a évolué, les zombies aussi ont changé. Dans Dawn, on découvre qu’ils ne sont pas mus uniquement par l’instinct de prédation mais qu’ils réagissent en fonction d’une certaine forme de mémoire de leur existence passée. C’est ce que le professeur Logan expérimente avec Bub dans Day. Ce personnage de zombie, touchant et enfantin, nous rend les morts vivants étonnamment proches. Ils ne sont plus seulement une force destructrice, ils portent ancrés en eux les marques de notre civilisation. Dans Dawn un mort vivant se saisissait d’une arme à feu, dans Day un autre parvient à l’utiliser. Romero, dans les deux premiers volets, ne s’intéressait pas aux zombies. Ils ne servaient que de catalyseur pour observer le comportement d’un groupe de survivants. Si l’intérêt premier de Romero tient toujours dans l’observation des réactions humaines face au danger, l’humanisation des zombies opère un basculement dans la série et ouvre de nouveaux chantiers de réflexion pour leur auteur. Les expériences menées sur les zombies nous frappent par leur inhumanité et Romero joue finement sur notre capacité d’empathie, sur notre compréhension, notre acceptation de l’autre. Ce qui sépare l’homme de l’animal nous fait réagir à la vue des exactions barbares du professeur Logan. Le même Logan qui est pourtant d’une douceur infinie avec Bub et qui par ses recherches peut effectivement permettre à la société des hommes de trouver une issue à la situation. Nous aussi spectateurs, nous sommes conditionnés par nos anciens réflexes. Logan a dépassé la frontière du bien et du mal, il a une nouvelle morale qui correspond à une situation inédite. Mais ses collègues, les soldats, les spectateurs rejettent celui que l’on surnomme Frankenstein. Romero s’amuse avec l’image du savant fou des films de science fiction des 50’s pour caractériser le personnage de Logan (Zombie faisait aussi référence à un petit classique des années 50, Le Monde, la chair et le diable). Bub, quant à lui, fait effectivement penser à Boris Karloff dans les Frankenstein de James Whale : enfantin, incrédule, perdu, ne sachant pas qui il est ni d’où il vient mais ayant pourtant le sentiment d’une vie antérieure. Si Bub prend une telle importance dans le film, c’est grâce à l’investissement total de son interprète Howard Sherman. Romero, époustouflé par sa performance (Sherman observe longuement le bébé de George et Christine pour imaginer les réactions de Bub) décide en cours de tournage d’enrichir considérablement le personnage. Si le regard de Bub est l’une des images les plus marquantes du Jour des morts vivants, Romero réserve également aux autres zombies un traitement qui les rend véritablement poignants. Cette approche, inédite dans la série, fait que les scènes de dévoration, au-delà du dégoût qu’elles inspirent, provoquent en nous un étrange sentiment de compréhension.

Ces scènes sont filmées de manière frontale. Elles ne visent pas à créer de la peur, elles jouent sur nos attentes de spectateurs. Révulsé, on est tenté de détourner le regard, mais ces scènes, forcément attendues après Night et Dawn, on ne peut que les contempler. Si Romero les avait utilisé pour susciter la frayeur, pour créer du suspens, de fait le spectateur aurait pu s’en détourner. En les débarrassant de leur tension potentielle, Romero nous colle le nez dedans. Dans la saga des morts vivants, la mort se doit d’être omniprésente, elle ne peut être cantonnée à un gimmick, une figure de style ou un effet dramatique. Elle doit faire corps avec le film. Le gore fait partie intégrante du projet artistique de Romero. C’est bien sûr une réaction à l’hypocrisie du cinéma hollywoodien, royaume de la mort aseptisée et ludique. C’est aussi et surtout l’émanation de l’hypocrisie de notre société. Le gore montre ce que l’on garde habituellement caché et de ce fait porte la parole de tous ceux qui n’ont pas droit de cité. Le gore est un moyen de crier ce qui est tu. Chez Cronenberg, l’usage du gore lui permet de montrer sans fard la maladie, la vieillesse, il nous rappelle que nous ne sommes que chair et tissus. Chez Romero, c’est la décrépitude de la société qu’il permet de mettre en avant.

Tom Savini avait subi une grande déconvenue au moment du développement des négatifs de Dawn of the Dead : le sang rouge profond, presque marron, virait alors à l’orangé tandis que les maquillages des zombies passaient du gris verdâtre au bleu. Pour Day, Savini prépare pendant deux mois ses effets spéciaux et multiplie les tests de développement de pellicule. Il visite des morgues, observe la décomposition des cadavres. Il est épaulé par Greg Nicotero (qui joue le soldat Johnson) et Howard Berger qui seront plus tard en charge des effets spéciaux de Land of the Dead. Au total, son équipe créé neuf cent zombies, tous personnalisés, et le résultat est véritablement impressionnant. Chaque mort vivant est saisi comme figé dans l’instant de sa mort, parfois grotesque, parfois touchant. Résultat, Day of the Dead est le plus violemment réaliste des films de la tétralogie des morts vivants.

Ce réalisme tient aussi à la mise en scène de Romero, sobre, discrète et d’une efficacité jamais prise à défaut. Ce réalisme se ressent dans la façon dont le cinéaste gère admirablement l’espace sous terrain. Lors de ce tournage harassant, l’équipe se terre pendant dix semaines dans un véritable sous terrain, ne voyant que rarement la lumière du jour. Les techniciens et les acteurs tombent malades à tour de rôle et Romero doit diriger le film pendant plusieurs jours avec une fièvre de cheval. Cette immersion dans un espace claustrophobique se ressent tout au long du film. Romero est imprégné du lieu et en quelques plans il parvient à nous faire partager son ambiance étouffante. Avec son chef opérateur Michael Gornick (collaborateur de longue date du cinéaste) il joue sur la monotonie des teintes et des décors pour brosser un portrait naturaliste et répétitif de cet espace. La froideur des lieux participe à la déshumanisation des personnages, elle réduit les protagonistes du film à de simples fonctions. Les zombies régnants sur la terre, les humains sont cantonnés dans cette enclave où ils n’existent plus les uns par rapport aux autres que par le rôle qu’ils s’assignent. Les vivants se vident de tout affect tandis que les morts, via Bub, s’en chargent. Les couloirs se ressemblent donc tous, les couleurs sont fades, l’ambiance clinique. En quelques minutes, le spectateur sait se repérer, il connaît l’emplacement des laboratoires, du mess des officiers, de la caravane où vivent à l’écart le pilote et le radio, des grottes infestées de zombies. Il a en tête une cartographie complète de l’espace. Une fois que l’on a prit possession des lieux, que nous les parcourons de manière naturelle avec les personnages, alors Romero peut faire surgir l’horreur et dévaster cet espace devenu familier. [spoiler]Miguel, qui dès le début du film est terrifié à l’idée de se transformer en zombie, ouvre les portes du bunker à la horde vorace. Echappant à la zombification par l’amputation de son bras, il refait cependant la même action que Steve dans Dawn. Son intégrité est bafouée et Miguel est submergé par l’angoisse de ne plus correspondre à son identité de soldat. Il erre sans but, sans fonction et ne peut plus au final que participer à la destruction de cette société qui l’a rejeté. [fin du spoiler]

Romero réalise une œuvre radicale, glacée. Il ne fait plus appel à l’ironie, au suspens, à l’humour ou au grotesque comme dans ses précédents opus. Les relations de couples ne sont plus charnelles et les rapports entre les personnages ne dégagent plus aucune émotion. Les humains sont aussi exsangues que les zombies. La mise en scène posée, lente, impassible participe de ce sentiment. Romero, célébré comme le pape du gore, s’éloigne radicalement du cinéma d’horreur tel qu’il est mis en scène dans ces années 80 par Stuart Gordon ou Sam Raimi. Il oppose au gore ludique une vision froide, glacée, silencieuse, tétanisante. Si Romero a presque toujours œuvré dans le domaine du cinéma fantastique, il ne s’intéresse au genre que pour sa capacité d’abstraction, pour la force d’évocation de ses images, pour la radicalité du propos qu’il permet d’emporter avec lui. Pour Romero le gore n’est pas un gadget, c’est un projet de cinéma, un projet politique, c’est l’essence même de sa saga. La première partie du film est quasi dénuée de tout effet horrifique. C’est un modèle de drame psychologique, d’une incroyable intelligence et d’une pertinence rare dans la description des rapports humains. Contrairement à bon nombre de films d’horreur, les réactions des survivants ne sont jamais prises en défaut de crédibilité. Chaque personnage suit sa logique, jusqu’à ce que celle-ci soit battue en brèche par la réalité. Il y a une véritable complexité à l’œuvre dans la description des personnages. Ainsi Rhodes, ordure fasciste, est parfois le plus sensé du groupe et Sarah se révèle souvent confuse et illogique dans ses réactions (Déjà dans La Nuit des morts vivants, Romero montrait Harry, héros rationnel et efficace, entraîner le groupe à sa perte en l’obligeant à préserver tout l’étage de l’attaque des zombies si bien qu’il donnait raison à Ben, le pleutre, de vouloir se cantonner à la cave). Des rôles extrêmement bien écrits qui jouissent de plus d’une interprétation exemplaire. On retrouve au casting (dirigé par Christine Romero) l’incontournable acteur romerien John Amplas, mais aussi plusieurs interprètes déjà croisés chez le cinéaste comme Taso N. Stavakris (Knightriders), Richard Liberty (The Crazies), Anthony Dileo jr. (Knightriders) et Joseph Pilato (Dawn et Knightriders).

La seconde partie du film laisse la place au gore, mais cette dichotomie ne crée pas un clivage dans le film, elle répond par l’imagerie horrifique à tous les enjeux soulevés dans la première partie. Si le film offre alors des scènes parmi les plus choquantes jamais tournées, la froideur clinique avec lesquelles elles sont offertes interdit tout sentiment de jouissance au spectateur. Cette vision du gore associée à la profusion des dialogues et à la tendance du cinéaste à privilégier les moments en creux fait du Jour des morts vivants un film totalement hors norme, inclassable, qui dérouta à l’époque les amateurs du genre et provoqua un rejet quasi unanime de la presse ciné. Le film est un nouvel échec public et critique pour Romero. Le cinéaste est certes coutumier du fait, mais c’est la première fois que le public rejette un épisode de sa saga des morts vivants. Animé par la certitude qu’il est possible d’offrir des films fantastiques intellectuellement stimulants, Romero se prend de plein fouet d’un côté le conservatisme étouffant des fans de cinéma de genre et de l’autre subi l’insupportable hiérarchisation culturelle de la presse installée. En France, il faut attendre encore quinze ans et la rétrospective de la Cinémathèque Française qui lui est consacrée en 2001, pour voir enfin l’œuvre de Romero reconnue par l’intelligentsia. Mais le mal est fait depuis longtemps. Tourné après Day of the Dead, l’admirable Monkey Shines est un nouvel échec critique et commercial et Romero poursuivra sa traversée du désert jusqu’en 2005 et Land of the Dead. Signe des temps, ce quatrième volet au discours lourdement appuyé est un film quasi unanimement salué par la presse. On peut légitimement regretter que l’égard dont bénéficie désormais Romero ne soit pas survenu au moment de la sortie du Jour des morts vivants, film autrement plus stimulant, intelligent, radical et dérangeant que son piètre descendant.

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La fiche IMDb du film

Politique des zombies, l'Amérique selon George A. Romero sous la direction de Jean-Baptiste Thoret

Par Olivier Bitoun - le 26 avril 2008