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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Hussard sur le toit

L'histoire

1832, le colonel de hussards Angelo Pardi (Olivier Martinez), qui fuit son Piémont natal après avoir tué un officier autrichien, arrive en Provence où sévit une épidémie de choléra. Chargé de prévenir ses amis révolutionnaires exilés que les Autrichiens sont à leurs trousses, il arrive à Manosque où il est immédiatement accusé par la foule de vouloir empoisonner les fontaines. Il doit se réfugier sur les toits de la ville où il survit grâce à ses explorations des différents appartements abandonnés par les habitants. C’est à cette occasion qu’il fait la connaissance de Pauline de Théus (Juliette Binoche), qui ne semble pas craindre la contagion et qui est sur le point de partir rejoindre son mari un peu plus au Nord. Ils vont entamer le voyage tous les deux dans ce pays ravagé par la maladie, cette tragique situation faisant ressortir le pire ou le meilleur des différents individus qu’ils croisent. Une épopée non sans dangers...

Analyse et critique


Quel amoureux de ce monument de la littérature mondiale qu’est ce chef-d’œuvre de Jean Giono aurait pu croire qu’une de ses adaptations cinématographiques lui aurait procuré presque autant d’émotions que la lecture du roman ? Mais avec Jean-Paul Rappeneau à la baguette, il n’est finalement pas étonnant que la réussite soit au rendez-vous, surtout que nous avions tous encore en tête sa non moins fabuleuse et virevoltante appropriation du Cyrano de Bergerac d’Edmond Rostand, avec Gérard Depardieu dans le rôle-titre ; Depardieu qui fait d’ailleurs une apparition cocasse, tonitruante et remarquée dans Le Hussard sur le toit. Ce dernier est une réussite d’autant plus exemplaire que le roman fait partie de ces supposés livres « inadaptables » : René Clément, Jean Delannoy, Giono lui-même, François Villiers, Luis Buñuel, Christian Marquand, Frédéric Rossif, Édouard Niermans et quelques autres s’y étaient cassé les dents...


S’étant passionné pour le roman de Jean Giono grâce à la sœur de Jean Becker qui le lui avait fait découvrir peu après sa publication en 1951, Rappeneau avait rapproché à l’époque cette « épopée à cheval » du western, genre qu’il appréciait énormément en tant que jeune spectateur. Plusieurs décennies plus tard, décidé à tenter l’expérience à son tour après les multiples tentatives avortées, mais intimidé lui aussi par la réputation du livre, il reçoit de la plupart de ses collaborateurs ainsi que de la fille de Giono le conseil « qu’il ne pourrait réussir son film qu’en trahissant totalement le roman mais en conservant la hauteur des personnages. » Le comprenant parfaitement, d’autant qu’il savait que le roman n’était pas très "remuant", le réalisateur déclara « qu’il fallait qu’il réinvente une histoire cinématographiquement crédible afin de ne pas perdre le spectateur. » Quant à Giono, on sait qu’il avait eu le choc de sa vie en découvrant Stendhal. Avec Le Hussard sur le toit il changeait alors un peu de style et faisait de son Angelo une sorte de Fabrice Del Dongo du début de La Chartreuse de Parme, un naïf perdu dans un monde tourneboulé. Giono nous livrait alors une vision du monde assez noire, encore sous le choc des délations et de l’épuration de la fin de la Seconde Guerre mondiale, et en profitait pour régler quelques comptes avec les veules et les lâches, son Angelo perché sur les toits de Manosque regardant le monde d’en bas avec horreur, témoin de la vulgarité, de l’égoïsme, de la cruauté, de la méchanceté et de la bêtise de la foule prête à lyncher le premier venu par paranoïa galopante.


Angelo est un personnage assez unique dans la littérature, un jeune homme qui ne se doute pas un instant de son arrogance ni de son insolence instinctives, que nous lui pardonnons d’autant plus facilement qu’il est par ailleurs un être spontané, beau, courageux, dévoué et pur, n’ayant peur de rien pas même de la mort, bravant celle-ci à chaque instant en sauvant la vie de ceux qu’il rencontre sans qu’elle ose jamais s’attaquer à lui, incapable de laisser une femme sans défense, ne supportant l’injustice ni la lâcheté. Un "ange" foncièrement bon et redresseur de torts qui va tomber amoureux d’une femme qui n’a pas froid aux yeux, un héros romanesque et romantique comme nous avons tous un jour ou l’autre rêvé de l’être ou d’en rencontrer. Un jeune homme admirable, néanmoins non dépourvu de défauts comme ceux évoqués plus haut, ce qui le rend encore plus humain et attachant d’autant qu’il se sermonne lui-même avec une certaine sévérité, ne se trouvant pas assez digne ou honorable, en certaines circonstances pas aussi parfait qu’il aurait souhaité l’être. Comment arriver à incarner ce héros mythique de la littérature française, ce jeune homme naïf, timide, maladroit, soupe au lait mais d’une noblesse de cœur qui pourrait passer pour anachronique à notre époque ? Huée par la critique à sa sortie, la prestation d’Olivier Martinez est pourtant tout à fait remarquable. Il EST Angelo et après l’avoir vu, on a du mal à imaginer que quelqu’un d’autre aurait pu être meilleur, Martinez se mouvant avec grâce, son cheveu sur la langue le rendant encore plus charmant. Juliette Binoche ne démérite pas, tout au contraire, et leur couple est un des plus romantiques qu’on ait vus sur grand écran ces dernières années, leurs rapports parfois cocasses et (ou) mouvementés faisant partie des choses les plus réussies d’un scénario déjà remarquable - la patte de Nina Companeez se faisait alors bien sentir.


Il ne faudrait pas non plus oublier les seconds rôles, tous croqués à la perfection par une toute jeune Isabelle Carré et un Jean Yanne hilarant, sans omettre François Cluzet, Gérard Depardieu, Pierre Arditi, Yolande Moreau... Nous noterons également la brève apparition de Paul Freeman à la fin du film, comédien surtout connu pour avoir campé le vil Belloq dans la première aventure d’Indiana Jones... Outre le fait d’être superbement réalisé, le film de Rappeneau est donc aussi porté à bout de bras par ses acteurs. Malgré la difficulté du projet, le réalisateur des jubilatoires La Vie de château, Les Mariées de l’an II ou Le Sauvage mène son film tambour battant et de main de maître, à tous les niveaux. A commencer par une mise en scène déliée, ample et lyrique qui embrase à merveille cette émouvante histoire d’amour entre Angelo, jeune homme fougueux, et la belle Pauline de Théus, à travers la Provence ravagée par le choléra. Angelo est poursuivi par les Autrichiens, tout comme ses amis carbonari en exil dans le Sud de la France. C’est ainsi par des combats, des tueries et des courses-poursuites que débute le film, en pleine effervescence d’une fête populaire alors que des meurtres ont lieu aux quatre coins de la ville, les espions autrichiens faisant passer de vie à trépas quelques amis d’Angelo. C’est donc par le mouvement que s’ouvre le film alors que le roman de Giono s’appesantissait au contraire sur la chaleur étouffante d'une Provence ressemblant à l’enfer sur terre, les corbeaux ayant la mainmise sur cette région, dévorant les corps défigurés par la maladie et la mort. Cette découverte macabre, le film l’abordera avec un grand réalisme juste après ce prologue qui démontrait d’emblée chez Rappeneau - ce dont nous ne doutions d’ailleurs pas - une ampleur et un sens du rythme assez rares dans le cinéma français d’aventure.



Rappeneau a su gérer à merveille un tournage de plus de douze mois ainsi que son très gros budget, l’équivalent de 26 millions d’euros : il s’agissait à l’époque du film le plus cher du cinéma français - un budget restitué sur l’écran pour le bonheur des spectateurs qui en ont pour leur argent et leurs émotions : décors, costumes, maquillage, reconstitution... tout est aux petits oignons. Et l’alchimie fonctionne : on tremble (les ravages du choléra, le suspense lié aux espions autrichiens sans scrupules), on rit (surtout grâce au caractère soupe au lait d’Angelo), on pleure (la mort de plusieurs personnages secondaires), on est ému (la romance). Au départ, le Cinémascope faisait peur à Rappeneau, qui avait l’intention de tourner en 1.85. Le format large s’est finalement imposé, et il faut se rendre à l’évidence : il l’utilise ici formidablement bien, la photographie de Thierry Arbogast pouvant s’y déployer à merveille, nous octroyant des plans de toute beauté comme ceux - entre nombreux autres - des paysans dans les champs de blé. Le cinéaste maîtrise également à merveille ses cadrages et filme les mouvements de foule, les chevauchées et ses séquences d’action avec une grande fluidité. Le réalisateur parlait de road movie à propos du Hussard sur le toit car ses personnages ne se posent jamais nulle part, leurs pérégrinations semblant ne jamais devoir s’interrompre ; effectivement, les lieux de tournage auront été multiples et variés, à concurrence d’une cinquantaine au total ! Signalons aussi le score très enlevé de Jean-Claude Petit qui emporte parfois le film dans de belles envolées lyriques, notamment lors des cavalcades dans les magnifiques paysages de la région Rhône-Alpes.


Du vrai, du très bon cinéma populaire dans le sens noble du terme, certainement une des plus belles réussites du cinéma français dans ce domaine. Sans vouloir établir de hiérarchie mais seulement dans le but d’attiser la curiosité des plus réfractaires aux Angélique, Capitaine Fracasse, Pardaillan ou autres films de cape et d'épée, n’ayons pas peur d'affirmer que nous volons ici à cent coudées au-dessus des œuvres de MM. Hunebelle, Borderie ou Gaspard-Huit pour ce qui est des films d’aventures "à costumes" des années cinquante et soixante. Comme le dit Juliette Binoche à propos de cette gageure amplement menée à bien, Le Hussard sur le toit : « C’est le panache français, de l’enthousiasme, du cinéma large et classique. » Une œuvre aussi fougueuse, généreuse, exaltée, virevoltante et somme toute admirable que son héros, une adaptation qui respecte l’esprit du roman tout en le trahissant avec intelligence, un mélange brillant de romance et d’aventure.

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 17 octobre 2018