Menu
Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Héros

(Nayak)

L'histoire

Arindam Mukherjee est le plus populaire des acteurs bengalis. Au sommet de sa gloire, il voit pourtant le vent tourner. Un scandale apparait, et surtout son dernier film s'annonce comme un échec. Alors qu'un doute sur son avenir s'insinue dans son esprit, il décide sur un coup de tête de se rendre à Delhi pour recevoir un prix d'interprétation qu'il pensait pourtant ne pas accepter. Dans le train qui le conduit de Calcutta à Delhi, il fera de nombreuses rencontres marquantes.

Analyse et critique

Quatorzième film de Satyajit Ray, Le Héros est seulement le deuxième scénario original tourné par le cinéaste bengali, après Kanchenjungha en 1962. Après le diptyque Le Saint et Le Lâche, dont la production fut dictée par des contingences économiques, voici l'occasion pour Ray de revenir à une œuvre plus personnelle, quelque peu atypique dans sa forme, qui lui permet de dresser une sorte de synthèse de son œuvre. Centré sur un personnage fort, Le Héros est principalement l'analyse psychologique d'un homme et de ses choix, comme la plupart des films de Ray. Mais la situation proposée, dans un espace clos et regroupant plusieurs classes sociales, est aussi l'occasion d'un tour d'horizon de la société indienne, de son humanité et de ses dérives.

L'axe principal du Héros est donc le personnage d'Arindam Mukherjee. Il nous est présenté comme l'acteur le plus populaire du cinéma bengali, fort de plusieurs succès au box-office. Dès l'ouverture du film, nous voyons son aisance matérielle, son goût pour les signes extérieurs de richesse, le soin qu'il porte à son image. L'homme expédie ses interlocuteurs, tel un empereur sûr de son pouvoir. Mais une faille semble naître au milieu de ses certitudes : son dernier film connait des débuts difficiles, le succès d'hier n'est plus au rendez-vous. Alors qu'il pensait ne pas se déplacer jusqu'à Delhi pour y recevoir un prix, il fait le choix de s'y rendre et se retrouve donc dans un train, confronté à la population indienne qu'il semble mal connaitre. Comme attendu, il y croise des "fans", des détracteurs, mais aussi, chose qui parait plus surprenante pour lui, une journaliste qui ne semble pas porter le moindre un intérêt à son œuvre. C'est devant cette femme que sa carapace infranchissable va commencer à se fissurer. En quatre rencontres, étalées tout au long de leur voyage, Arindam va se confier à Aditi, la journaliste, mais surtout apprendre sur lui-même. Et pour Ray, se connaitre c'est comprendre les choix que l'on a faits, et plus encore ceux que l'on n'a pas faits. Arindam était un brillant acteur de théâtre. Contrairement aux conseils de son metteur en scène, il a cédé aux sirènes du cinéma populaire, renonçant en partie à sa liberté artistique devant les promesses de succès et d'argent. Arindam qui semblait si sûr de lui dans les premières scènes du film révèle alors une forme de regret, ou au moins de doute, quant à ses choix passés. Il y a perdu l'estime de son metteur en scène et de certains amis, des biens précieux que sa nouvelle vie ne peut pas lui restituer. On retrouve ici une sorte de parallèle avec Le Lâche, dans lequel on avait vu le personnage principal perdre la femme de sa vie pour ne pas avoir choisi. Ici, plus subtilement, Ray n'affirme pas absolument qu'Arindam a fait le mauvais choix mais plutôt qu'il n'a peut-être pas fait le bon, en tout cas pour son épanouissement moral. Ray ne juge pas. il présente le parcours d'un homme à qui, vu de l'extérieur, tout semble avoir souri, mais dont les décisions ont créé des fêlures intérieures. Un portrait touchant, subtil, suggérant que la réussite d'un homme ne se mesure pas forcément à ses succès les plus évidents.

Autour du destin d'Arindam, Ray s'intéresse aussi dans Le Héros aux différents personnages qui peuplent le train. L'occasion pour lui de dresser un portrait de l'Inde contemporaine, de sa population et de ses contradictions morales. Grand cinéaste social, il ne pouvait évidement pas passer à côté de cette belle opportunité de tenir l'Inde dans un train. En premier lieu, évidemment, Aditi, jeune journaliste indépendante, symbole de la femme forte et indépendante telle que la conçoit Satyajit Ray, et qui semble un rappel du personnage d'Ariti dans La Grande ville. On croise aussi un capitaine d'entreprise, fasciné par tout ce qui vient de l'étranger et critique à l'égard de l'Inde, un représentant tentant à tout prix d'obtenir un contrat, au point de demander à sa femme de jouer de ses charmes, ou un sādhu qui a l'issue d'un voyage passé dans le silence s'adresse au représentant pour qu'il lui fasse de la publicité. Place de la femme dans la société, statut de l'Inde, fausseté des religieux, Ray convoque par quelques vignettes tantôt drôles et tantôt tristes les différents sujets forts qui parcourent régulièrement son œuvre. Il offre ainsi quelques salutaires moments de respiration à l'histoire principale tout en donnant une plus grande richesse thématique à son film.

Evidemment, avant ces sujets, le principal centre d'intérêt de Ray dans Le Héros, c'est le cinéma. En décrivant la vie d'Arindam, il trouve l'occasion de nous parler de la situation de son art et d'adresser assez clairement une critique à un certain cinéma bengali, celui qui nie l'art et ne s'intéresse qu'au box-office. C'est le sens des propos que tenait le metteur en scène de théatre à Arindam, c'est aussi ce qui se cache derrière tout le discours de l'acteur, qui finalement ne parle jamais d'art mais uniquement de succès public. Toutefois la condamnation de Ray n'est pas définitive, bien au contraire. Pour interpréter le rôle d'Arindam, Satyajit Ray a choisi Uttam Kumar, véritable star du cinéma populaire de l'époque, qui apporte une grande part de vérité à son rôle. Eblouissant de justesse, il fait la preuve que des ponts existent entre le cinéma purement économique et l'univers plus artistique de Ray. Aucune porte n'est fermée, et Ray n'affiche d'ailleurs aucun mépris pour le personnage d'Arindam, et donc pour l'acteur Kumar. Il montre au contraire que le retour vers un art qui lui semble plus noble, et où chacun sera plus à même de laisser vivre sa créativité artistique, est possible.

Le Héros est d'abord le portrait d'un homme. Le portrait de l'homme qui se cache derrière l'acteur, glorifié par ses fans, héros du grand écran. Un portrait touchant et subtil, mettant en évidence l'humanité qui se cache derrière toute figure publique et qui peut apparaitre le temps d'un instant, le temps d'un voyage. C'est aussi un petit état des lieux du regard que Ray porte sur son pays, les espoirs qu'il fonde en lui et les faiblesses qu'il y décèle. Nous ne trouvons pas ici la richesse de ses plus grandes œuvres, de La Trilogie d'Apu à La Grande ville, en passant par Charulata, ni la force émotionnelle que porte, par exemple, Le Lâche. Mais Le Héros est à l'évidence une réussite de sa filmographie. Un film fluide, émouvant et porté par un acteur brillant, dont la découverte nous semble indispensable à tout amateur de  Satyajit Ray.

DANS LES SALLES

DISTRIBUTEUR : LES ACACIAS
DATE DE SORTIE : 3 DECEMBRE 2014

EN COPIE NUMERIQUE RESTAUREE

La Page du distributeur

Le Dossier de presse

En savoir plus

La fiche IMDb du film

Par Philippe Paul - le 1 décembre 2014