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Critique de film
Le film

Le Grand attentat

(Dai satsujin)

L'histoire

Sous le règne d’Ietsuna, 4ème Shogun Tokugawa, fut adoptée une fiscalité agraire qui pesa lourdement sur les paysans. Les révoltes se multiplièrent dans tout le pays. Nous sommes le 6 avril 1678, le secrétaire d’état Hotta Bichu Masatoshi, suspecté de complot politique est assigné devant le tribunal shogunal. On le soupçonne de préparer pour le 8 avril, le jour des cérémonies fêtant la naissance de Bouddha une révolte en ville et au château pour renverser le ministre Sakai Yutanokami. Celui-ci a conclu un pacte avec le chancelier Kofu en échange des pleins pouvoirs. Le grand inspecteur Hojo enquête pour dénoncer le complot tandis que dans l’ombre, un petit groupe prépare l’attentat.

Analyse et critique

« La raison agit avec le bras des hommes » (Yamaga Soko)

Bien que déroulant une intrigue fort proche de Les Treize tueurs – un seigneur en passe de se voir accorder les pouvoirs devient la cible d’un groupe contestataire qui va organiser un attentat qui se terminera en boucherie – Le grand attentat témoigne d’une implication plus personelle du réalisateur dans la thématique et d’une évolution plus radicale dans ses partis pris narratifs et de mise en scène. Les Treize tueurs se montrait brillant, mais encore relativement sage et classique dans ses audaces formelles. Le grand attentat va plus loin dans l’utilisation de la caméra à l’épaule, dans le style documentaire. Les scènes les plus éprouvantes du film sont filmées sans recul. La caméra colle au plus près des personnages, est maculée de sang et de boue tout comme eux. Comme il l’avait déjà fait auparavant, Kudo ne filme pas des combats stylisés et propres, il filme un chaos de sabres et de kimonos où les cris des combattants dans la bousculade sont autant de cris de rage, de douleur ou d’effroi… La mort est lente, douloureuse, sale… Le sabre doit frapper plusieurs fois pour abattre l’adversaire. Lorsque le sang coule, c’est de manière réaliste sans aucun excès gore, pour coller au plus près d’une réalité qu’on sait éprouvante. Ce parti pris de mise en scène met en avant les conséquences d’un esprit samouraï qui au-delà de l’honneur et de l’obéissance au clan ne peut avoir que la mort comme issue ainsi que l’exprimera Shinzaemon dans Les Treize tueurs : « Tu sais, on dit qu’il n’y a pas de règle à suivre dans la vie. Chez le samouraï, si ! Vivre quand on veut mourir au combat. Mourir quand on veut survivre au combat. » Sans qu’il n’y ait de discours ouvertement pacifiste chez Kudo (il ne dénonce pas vraiment la violence et le meurtre, il se contente d’en montrer les conséquences), cette volonté de dépeindre froidement, crûment, sans le recul d’une mise en scène léchée la violence, la torture, la brutalité et la cruauté ne peut qu’impliquer plus le spectateur, le faire réfléchir sur le sens à donner à tout ça, le forcer à une certaine empathie. Cette façon de laisser glisser la caméra sur les corps meurtris, ces plans panoramiques sur un « champ de bataille » jonché de cadavres, cette « folie hébétée» d’après le combat que l’on retrouve notamment dans Les Treize tueurs et Les Onze guerriers du devoir au travers de personnages hagards ou hilares n’est pas sans rappeler la démarche de Kurosawa dans les derniers plans sur le champ de bataille de Kagemusha avec cette « ombre » ayant pour ainsi dire perdu la raison s’offrant en sacrifice… Ce qui devait être fait a été réalisé mais à quel prix ? Cela valait-il tant de sacrifices ? La vie humaine ne devrait-elle pas être placée au dessus de tout comme l’exprime encore une fois Shinzaemon : « Messire Doi, il n’est rien de plus précieux que la vie. Je sais bien qu’elle est irremplaçable. » N’y a t’il pas une certaine vanité dans un tel sacrifice ? « Pour ce plan, j’ai souffert dans mon cœur et dans ma chair. J’ai dû éliminer des alliés, faire face à des trahisons, J’ai dû aussi sacrifier mon corps, par crainte de voir le plan échouer. Quelle idiote j’ai été. Mais à chaque fois, je ne l’ai pas regretté. Je pensais que c’était bien ainsi. J’avais décidé dans mon cœur que c’était le destin que je m’étais choisi. Pourquoi me suis-je tant attachée à ce plan ? Je l’ignore moi-même. » (Miya) Kudo ne pose pas ouvertement ces questions, mais les regards de ses personnages, leur comportement après le combat, ses choix de mise en scène interrogent indirectement le spectateur.

Si, dans Les Treize tueurs, le sacrifice et l’honneur samouraï était presque dans toutes les bouches et découlait de l’obéissance à un ordre décidé par le gouvernement, dans Le grand attentat, le sacrifice, bien présent, a une autre signification. Les samouraïs présents le sont de leur propre initiative et dans le but de servir une cause révolutionnaire (il faut renverser un gouvernement qui opprime le peuple). Si la motivation des divers personnages est différente (Jinbo se rallie à la cause en partie pour venger son épouse, Hoshino parce qu’il ne supporte pas d’imposer sa condition à sa famille (1) ce qui le conduira d’ailleurs à un geste effroyable…), le sacrifice est plus « social », il doit à avoir un but qui sert la collectivité et non plus les intérêts d’un seul clan. « Vous savez maintenant de quelles cruautés est capable le pouvoir. (…) Venger votre femme, soit, vous sacrifier pour ça, soit, mais faites le en servant une cause utile à tous. La vie ne nous est donnée qu’une fois. Avant de la gâcher, pensez à quoi elle pourrait servir. » (Miya)

Eiichi Kudo qui descendait d’une famille de samouraï, n’était pas spécialement admiratif de cet esprit samouraï et pensait que c’était à ceux-ci d’agir pour renverser la société corrompue qu’ils avaient mise en place. Pour Kudo, il est important d’agir. Le grand attentat montre cette nécessité d’une prise de conscience, de cette nécessité de réaction face à une société ou un pouvoir néfaste. Tout comme le neveu dans Les Treize tueurs, le personnage d’Asari Matanoshin et dans une moindre mesure le personnage de Jinbo sont là pour souligner cela au travers de leur prise de responsabilités respectives (l’un au décès de son épouse, l’autre devant le corps de son ami). Voir à ce titre les paroles de Jinbo à Asari : « Une politique absurde entraîne les gens dans le malheur. Ils perdent leur travail, leur maison, leur famille, leurs femmes et leurs enfants. Et le monde s’en accommode. C’est le propre d’une tyrannie. Et qui souffre de cette tyrannie ? Les samouraïs comme moi attachés à leur travail. Et ceux de ton espèce : les oisifs. Si tel est le monde de samouraï, moi en tant que samouraï je sais ce qu’il me reste à faire. Tu ne mérites pas ce sabre. Moi, je m’en servirai. » ou sa confession : « C’est quand même étrange, il y a 7 jours, j’avais une vie paisible. Cela me paraît loin. (…)Ma vie aura été courte, mais je l’aurai vécue pleinement. Ma vie n’aura jamais été plus dense que pendant ces 7 jours. » La vie n’a de sens que dans l’action et non la résignation. Kudo semble vouloir responsabiliser le peuple, lui dire de bouger (il ne faut pas oublier qu’il a été syndicaliste). Il n’y a pas de place pour l’oisiveté et l’inaction. Quand on a les moyens (cfr. la scène de sabre du père d’Asari), il faut agir et non se résigner. Discours d’autant plus révolutionnaire que le film est tourné au moment des violentes émeutes contre le traité nippo-américain qui secouèrent le pays. Comme le souligne Dirty Kudo dans les bonus, ce parti pris politique n’est pas fortuit puisqu’il semble que Kudo ait mêlé des son réels des manifestaions contre l’ANPO dans la bande-son du Grand attentat.


(1) « Il faut bien que je travaille. Je suis un samouraï pauvre, j’ai à peine de quoi nourrir les miens. Bien sûr, je risque de me faire arrêter. Mais de toute façon, je ne puis aller nulle part. Un samouraï aisé comme vous ne peut comprendre. Je n’ai aucun avenir. Je pourrais me faire une raison. Mais personne ne se préoccupe de ma condition misérable. Elle continuera des générations encore, c’est insupportable. Mais celui qui se révolte, je suis prêt à l’aider dans son action » (Hoshino)

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Par Christophe Buchet - le 17 mars 2007