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Critique de film
Le film
Affiche du film

Le Fils du désert

(Three Godfathers)

L'histoire

Peu avant Noël dans une région de l’Arizona plombée par le soleil, Robert (John Wayne), Pete (Pedro Armendariz) et William (Harry Carey Jr.) arrivent à Welcome dans le but de cambrioler la banque. Ils réussissent leur coup et prennent la fuite, poursuivis par la milice locale levée par le shérif Buck Sweet (Ward Bond) qui précise d’emblée à ses hommes qu’il n’a pas été élu pour tuer. Le trio de hors-la-loi atteint le désert qu’il est bientôt obligé de traverser, le shérif ayant placé des hommes à chaque réservoir d’eau afin d’assoiffer les fuyards. A bout de souffle après avoir dû batailler contre une violente tempête de sable, William étant blessé à l’épaule et les chevaux s’étant sauvés, ils perdent tout espoir quant ils arrivent à une source tarie par la faute d’un pionnier maladroit qui l'a fait exploser en pensant y faire jaillir l’eau. Cet inconscient, qui a payé sa bêtise de sa vie, a laissé dans un chariot sa femme sur le point d’accoucher. Au moment de succomber suite à sa "délivrance", elle fait de nos trois outlaws les parrains de son nouveau-né, non sans leur avoir fait promettre de le protéger coûte que coûte. Les voici investis d’une mission sacrée : la survie du nouveau-né. Après s’être improvisés nourrices, ils doivent vite repartir, la police étant toujours à leurs trousses. C’est une bible trouvée dans les affaires du couple décédé qui va guider les trois nouveaux "rois mages" jusqu’à une ville située de l’autre côté d’un lac salé, la Nouvelle Jerusalem. Tous ne survivront pas au périple...

Analyse et critique

Après avoir laissé ses spectateurs les rétines éblouies par le travail de Bert Glennon et Ray Rennahan sur Drums along the Mohawk (Sur la piste des Mohawks), John Ford aura fait bouillir son public d’impatience presque dix ans durant avant de revenir à la couleur avec ce remake d’un de ses propres films muets, Marked Men (et non de Three Bad Men comme on aurait pu le penser, les trois hors-la-loi de ce dernier se faisant les anges gardiens d’un couple et non d’un nourrisson comme dans le film qui nous occupe ici). Le résultat est néanmoins à la hauteur des nos plus fortes attentes puisque la photographie en Technicolor de Winton C. Hoch pour Le Fils du désert est un éblouissement de chaque instant. Il s’agit aussi d’une belle passation de pouvoir, celui d’un père à son fils, l’un des acteurs du trio étant Harry Carey Jr. alors que par ailleurs le film est dédicacé à l’inoubliable Harry Carey qui fut le héros d’un nombre incalculable de premières "bandes" du réalisateur au temps du muet avant de revenir à intervalles réguliers en temps que second rôle dans d’innombrables westerns, dont le dernier et non des moindres n’était autre que le magnifique Red River de Howard Hawks. Sa silhouette et sa singulière façon de se tenir sur un cheval étaient devenues familières aux aficionados du genre, et l'acteur était par exemple particulièrement touchant dans L’Ange et le mauvais garçon (The Angel and the Badman) de James Edwart Grant l’année précédente qui fut aussi celle de sa mort. « To the Memory of Harry Carey, Bright Star of the Early Western Sky » : telle est la phrase qui apparait à la fin du générique de début, Clyff Lyons ayant pris le soin de personnifier en contre-jour le légendaire acteur.

On devine aisément la parabole biblique ou (et) le conte de Noël au vu de l’histoire et de son déroulement. C’est bien évidemment intentionnel, d’innombrables éléments venant parsemer le film pour nous en convaincre : ce sont les personnages eux-mêmes qui s’érigent en nouveaux rois mages, quelques notes de la partition de Richard Hageman évoquent Holy Night ; il est aussi question d’un chemin de croix constitué par une traversée du désert, de la découverte providentielle d’une ânesse, d’une bible qui par le hasard des pages tournées conduit nos aimables hors-la-loi vers la rédemption, le sacrifice et la délivrance. L’aspect fable de ce scénario fait l’originalité du film mais aussi malheureusement sa plus grande faiblesse, l’allégorie n’étant pas toujours exempte de lourdeurs, les connotations religieuses se révélant bien trop appuyées. Si le film s’avère donc plastiquement somptueux, après d’aussi belles réussites que My Darling Clementine ou surtout Fort Apache, nous étions en droit d’espérer bien plus de ce retour de John Ford au western et à la couleur. Très honorable, Le Fils du désert n’en est pas moins assez décevant faute à un scénario inégal et à un mauvais choix de casting pour le trio incarnant les personnages principaux.

Pedro Armendariz et Harry Carey ont beau avoir toute mon estime et ma sympathie, ils ne possèdent pas assez de charisme ni encore assez de talent pour nous rendre leurs personnages inoubliables. De son côté, l’écriture de ces derniers n’est d’ailleurs pas forcément d’une grande richesse. On regrette aussi parfois la sobriété du John Wayne de Fort Apache ; il nous surprend à ne pas toujours être très juste dans ce rôle d’ailleurs pas très facile. Dans la situation cocasse de se retrouver avec un bébé dans les bras, il était par exemple bien plus amusant dans The Angel and the Badman qu’en forçant un peu trop la note dans ce film de John Ford, même si dans l’ensemble il nous octroie une fois encore une belle interprétation notamment lors de ses instants de désespoir ou de cynisme qui emmènent le film vers de beaux moments de noirceur. Quoi qu’il en soit, et c’est un comble, voici un trio de "héros" bien en deçà d’autres personnages moins importants qui parcourent le film ,à commencer par un merveilleux Ward Bond qui se coulait alors à merveille dans l’univers fordien. Malgré de très courtes apparitions, Mae Marsh et Jane Darwell nous font aussi forte impression ; décidément, John Ford n’a pas son pareil quand il s’agit de croquer des portraits de femmes douces ou truculentes ! Et puis quel bonheur de croiser à nouveau Guy Kibbee (le juge qui a hâte de finir le procès pour rouvrir le bar : « La séance est levée, le bar est ouvert » ) ou Hank Worden empêtré tout le film durant avec ses mules qu’il a du mal à faire déplacer, et aussi d’apercevoir pendant quelques minutes la silhouette imposante de Ben Johnson, toujours aussi bon par la suite chez John Ford que chez Sam Peckinpah.

Tous ces acteurs composent le petit monde bienveillant de John Ford que les aficionados du cinéaste aiment tant ; ils animent d’ailleurs les parties les plus réussies du film, la première demi-heure (avec entre autres la rencontre cocasse des trois outlaws avec le shérif et le dialogue qui s’ensuit sur le surnom de ce dernier, ou encore l’arrivée de la milice dans une gare tenue par une Jane Darwell picaresque et en manque d’hommes) ainsi que le superbe épilogue une fois John Wayne sorti d’affaire. Durant les dix dernières minutes du film, nous retrouvons l’univers qui nous est cher avec ces séquences affables et pétries d’humanité, la naissance d’une amitié entre le prisonnier et son gardien : John Wayne derrière les barreaux jouant aux échecs avec le shérif avant de s’installer à sa table de salle à manger pour y déguster un repas composé avec amour par l’épouse du Marshall ; le procès puis le départ en fanfare pour la prison, Mae Marsh s’effondrant en larmes... S’il nous a parfois déçu par son manque de rythme et son trop grand bavardage durant sa partie centrale, Le Fils du désert se termine en beauté en retrouvant tous les éléments chaleureux qui réjouissent les fans du cinéaste et qui avaient fait défaut durant une grande partie du film.

Cette partie centrale la plus importante, qui débute avec la découverte du chariot pour se terminer dans la Vallée de la Mort, fortement chargée en symbolisme, comporte des moments et des images formidables (les personnages en clair-obscur sur la tombe, leurs ombres portées sur le sable, des gros plans sur les visages à tomber par terre, les trois cavaliers filmés en plongée s’élançant dans le désert…) ; mais faute à un scénario inégal et à une interprétation que l’on aurait souhaité plus habitée, elle manque singulièrement de force et de puissance dramatique. De plus, John Ford ne peut pas s'empêcher à deux ou trois reprises de passer de l'autre côté de la barrière de la sensibilité pour tomber dans la sensiblerie ; les scènes avec le bébé se révèlent parfois assez gênantes à force de cabotinage de certains d’autant rehaussé par la fadeur des autres. Il faut dire que Harry Carey Jr., vu la dureté avec laquelle il a été traité par Ford, a dû être quelque peu traumatisé - le cinéaste, qui l’avait pris pour tête de turc, lui disait à la première occasion que s’il avait su qu’il aurait été aussi mauvais, il l’aurait remplacé dès le début par Audie Murphy.

Comme nous l’avions déjà remarqué récemment, les années 1947/48 virent l’arrivée sur les écrans de nombreux westerns sans aucune brutalité, dont le dernier exemple en date est justement constitué par ce Three Godfathers. Ici encore, malgré de nombreux personnages perdant la vie, il n'y a aucune mort violente, la milice est emmenée par un homme de loi refusant de tuer et les sympathiques aventuriers hors-la-loi ne sont pas non plus prêts à faire de mal à une mouche. C’est tout à l’honneur de Ford et de ses scénaristes de s’être à leur tour éloignés de toute violence au sein d’un genre qui en a fait l’un de ses éléments essentiels. Pour cette raison, malgré ses défauts, le film risque de grandement plaire à ceux qui ne sont justement pas forcément attachés au western. Néanmoins, que les avides d’action ne pensent pas que le film en soit dénué : la poursuite qui suit l’attaque de la banque est même superbement réalisée avec des travellings latéraux qui décoiffent. Autrement, il n'y pas de soucis à se faire, John Ford n’a rien perdu de son génie pour filmer les paysages : difficile d’oublier le bleu intense des cieux, la tempête de sable ou la traversée du désert de Mojave puis du lac salé de la Vallée de la Mort, l'ensemble de ces séquences restant esthétiquement bluffant.

Le Fils du désert aurait probablement gagné à être plus léger à l’image des scènes qui l'encadrant mais en l’état le film n'a rien de déshonorant, d’autant que ce mélange de tendresse et de tragédie, de chaleur et de noirceur lui confère une singularité estimable. On regrette juste une forte tendance au bavardage, de grosses approximations dans le scénario (le hold-up semble d’une facilité déconcertante), un symbolisme manquant de finesse et la difficulté à nous faire ressentir de l’empathie pour les principaux protagonistes de l'histoire. Ce western est loin d’être mauvais mais, par rapport à nos souvenirs émerveillés lors de sa découverte puis aux nombreuses diffusions sur la petite lucarne (ce fut un classique des rediffusions télévisuelles durant les années 70 et 80), force est d’admettre qu’en me concernant il s’agit d’un Ford mineur, une semi-réussite !

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La fiche IMDb du film

Par Erick Maurel - le 8 mars 2012